Le Premier ministre Abderrahmane Youssoufi accordait une large place à la moralisation de la vie publique dans sa deuxième déclaration de politique générale. Le Maroc, sentait-on dans les propos du chef du gouvernement, allait inaugurer une ère nouvelle. On avait effectivement vu les choses en grand. Une campagne nationale sous le thème « non à la corruption » fut lancée dans les lycées, collèges et maisons de jeunes. On a visé une cible de pas moins de 3 millions de jeunes à travers 71 préfectures et provinces dans le royaume. Une campagne de communication tous azimuts devait aussi toucher quelque neuf autres millions de jeunes. Des journées portes ouvertes furent organisées dans les administrations les plus hermétiquement fermées auparavant. Il s'agissait, en quelque sorte, de traiter le mal à la racine, de sensibiliser ces jeunes qui seront les administrateurs et administrés de demain au caractère vital de la lutte contre la corruption. Mais aussi de les préparer à vivre sans complexe de nouveaux rapports avec l'administration, basés sur le principe du service public payé à l'origine par le contribuable. Une éducation au civisme que l'on a prescrite comme premier remède au mal qui ronge la société et la réputation marocaines. Mais, ce premier remède, pour efficace qu'il puisse être, est loin d'être radical. La valeur de l'exemple manquait. Ce qui faisait dire aux citoyens interrogés lors des micro-trottoirs des deux chaînes de télévision : «jusqu'a présent, nous n'avons pas encore vu de grand responsable corrompu puni publiquement pour ses actes». «ce sont toujours les petits qui trinquent» et autres remarques du genre exprimant une sorte de méfiance du citoyen ordinaire quant à la réelle portée de la campagne. L'opinion publique avait besoin de voir des têtes tomber pour croire vraiment à cette nouveauté de la scène nationale. Pourtant, plusieurs milliers d'affaires de corruption ont été publiquement traitées. Des agents d'autorité ont été radiés, des présidents de conseils communaux ont été révoqués, des juges ont été poursuivis, des audits ont été menés un peu partout, même là où l'impunité semblait devoir à jamais régner. Sans doute faudra-t-il aussi du temps pour que la moralisation, réalité sur le terrain, soit acceptée par la collectivité.