C'est à partir des lycées et des écoles que les étincelles de la première révolte urbaine du Maroc se sont déclenchées. Une révolte étouffée dans l'œuf qui allait donner naissance au radicalisme. C'est au Rond-point d'Europe, un site névralgique à la rencontre des artères Al Mouqawama, Zerktouni, 2 Mars et Mers Sultan, à Casablanca, que l'une des premières confrontations entre les forces de l'ordre et des manifestants ont eu lieu, ce lundi 22 mars 1965. Les étincelles du déclenchement de l'émeute se sont manifestées à partir de l'école «Abdelkrim Lahlou» (dirigée par un ancien ministre de l'Information) et des lycées «Al Azhar», «Moulay Abdellah» et «Mohammed V». Selon des personnes, qui étaient au cœur de ces événements, les élèves du lycée «Al Azhar», à «l'Ermitage», avaient décidé en parfaite coordination avec leurs camarades du lycée «Moulay Abdellah », d'observer une manifestation en direction du lycée «Mohammed V». Arrivés au «Stade Mohammed V», ils tiennent un rassemblement auquel a participé un nombre important d'élèves et d ‘étudiants. Au cours de ce rassemblement des accrochages ont eu lieu entre forces de l'ordre et manifestants. Alors que ces derniers descendirent l'«Avenu 2 mars», ils furent bloqués au rond-point précité. La manifestation dispersée, momentanément, allait reprendre de plus belle dans d'autres quartiers. Le lendemain, comme un feu de paille, l'émotion allait prendre d'assaut la ville entière et la contagion toucha les principales villes du Royaume. Dans son livre, «Positions et propositions», Dr. Mohamed Lahbabi, député de l'USFP à l'époque, écrit qu'à «Casablanca, les élèves de 13 lycées sont descendus dans la rue, en ce lundi 22 mars». Des jeunes, précise –t-il, âgés de 13 à 20 ans. Et ce furent les arrestations massives estimées à plus de 3000 personnes. Le lendemain, les parents se sont joints aux jeunes manifestants en proie à la répression. L'émeute se solda par des dizaines de morts, des centaines de blessés et des milliers d'arrestations. Mohamed Elyazghi, membre du Bureau politique de l'USFP, dira plusieurs années plus tard que le nombre de morts au cours de ces événements est estimé à quelque 1500 personnes. Ainsi, la vague de mécontentement suscitée par l'adoption, encore en cati mini, de mesures privant les élèves ayant plus de 17 ans de poursuivre leur étude au cycle supérieur de l'enseignement secondaire, allait se transformer en émotion collective et marquer l'ascension du radicalisme tous azimuts au Maroc. La spontanéité de ce mouvement et son développement expliquent, en fait, le cumul des rancœurs et des déceptions. Car, avant cette date, il y a eu des centaines d'accrochages et de confrontations entre les citoyens et les autorités d'une part, et entre celles-ci et les forces de l'opposition d'autre part. En mai 1960, le gouvernement national de Abdallâh Ibrahim est limogé. En juin 1961, l'UMT déclare une grève générale dans la fonction publique. En juin 1963, des centaines de militants de l'UNFP sont arrêtés et traduits devant la justice. La même année, du 5 octobre au 10 novembre, se déclenche la guerre des sables entre le Maroc et l'Algérie .En août 1964, la rébellion du Cheikh Al Arab, va se solder par le décès de ce dernier et la mort ou l'arrestation de ses compagnons. Dans la même année, l'opposition au parlement va présenter une motion de censure contre le gouvernement. En mars 1965, c'est le sursaut de Casablanca et des grandes villes du royaume, mais c'est aussi l'ascension du général Oufkir et l'état d'exception, annoncé le 7 juin de la même année.