Avec cet incroyable passif, qui aurait cru que le continent noir relèverait la tête et connaîtrait, dans des pays de plus en plus nombreux, des expériences démocratiques prometteuses ? Qui aurait pensé que parmi les 10 pays les plus performants en matière de croissance économique entre 2000 et 2010, six seraient africains et que ce chiffre serait porté à 7 selon les perspectives de croissance à l'horizon 2015 ? L'Afrique se réveille enfin ! Mais contrairement à ce que prévoyait Alain Peyrefitte pour le cas de la Chine, le monde ne tremblera pas, cette fois-ci! Au contraire, il jubilera, car le continent ouvrira une nouvelle opportunité de croissance et de développement dont l'économie mondiale dans son ensemble tirera profit. Certes, tout n'est pas rose en Afrique, loin s'en faut. Plusieurs pays souffrent encore de fragilité ; la marche vers la démocratie dans plusieurs pays est encore trop lente ; la croissance est largement basée sur les matières premières ; les capacités institutionnelles n'ont pas encore atteint le niveau requis pour consolider les appareils étatiques et offrir de meilleurs services aux populations ; la gouvernance laisse encore à désirer dans bien des pays africains et, enfin, le secteur privé reste encore largement informel et mal outillé pour soutenir la concurrence et jouer son rôle de locomotive de la croissance. Pourtant, la dynamique est bien là. La Chine, l'Inde, le Brésil, la Corée du Sud et même les pays du Golfe l'ont bien compris: le continent est en train de bouger dans le bon sens pour saisir sa chance historique, non seulement de sortir de la trappe de la pauvreté mais également de tirer la croissance de l'économie mondiale vers le haut. C'est ce que démontrent Jean-Joseph Boillot et Stanislas Dembinski dans leur ouvrage: «Chindiafrique, la Chine, l'Inde et l'Afrique feront le monde de demain». Il n'est pas étonnant, dans ce cas, que tous les acteurs qui comptent dans l'économie mondiale fassent les yeux doux à l'Afrique : les investissements étrangers en Afrique ont dépassé 50 milliards de dollars en moyenne annuelle ces dernières années et les échanges commerciaux entre le continent et le reste du monde ont connu une croissance non négligeable en volume, bien qu'en termes de part dans les échanges commerciaux globaux, ils représentent encore moins de 3%, soit un niveau bien en deçà des potentialités des économies africaines. L'essentiel, cependant, est que la dynamique est bien installée comme l'atteste la nette augmentation des échanges avec les nouvelles locomotives que sont les BRICS. Le Maroc a, pour sa part, bien compris le sens de cette dynamique, lui qui a fait, au cours de ces dernières années, de ses relations économiques avec l'Afrique subsaharienne, notamment avec Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale, un des fondements de sa stratégie de développement économique et social. Aujourd'hui, les trois premières banques marocaines, en l'occurrence Attijariwafa bank, la Banque populaire et la Banque marocaine du commerce extérieur sont fortement implantées sur le continent africain, particulièrement au niveau des régions de l'Union économique et monétaire ouest-africaine et de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale, la Royal Air Maroc dessert plus de la moitié des pays du continent et des entreprises publiques et privées marocaines s'activent dans plusieurs pays et y réalisent des projets ambitieux. En outre, des centaines de jeunes Subsahariens étudient dans les universités et les écoles supérieures marocaines, ce qui fera d'eux un véritable trait d'union entre le Maroc et leurs pays d'origine. A cela s'ajoute le fait quasi unique dans le monde arabe, sauf le cas du Liban, que des communautés marocaines importantes sont installées dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne depuis des décennies, comme au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Mali. Enfin, les liens spirituels entre les populations musulmanes africaines et le Royaume chérifien constituent assurément un ciment garantissant la pérennité de la relation d'amitié et de solidarité entre le peuple marocain et les peuples d'Afrique subsaharienne. Il ne fait pas de doute que la consolidation des relations politiques avec ces pays, à travers les échanges de visite au plus haut niveau, à l'instar de la récente tournée de Sa Majesté le Roi au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Gabon, est de nature à raffermir davantage les partenariats économiques et commerciaux bilatéraux. En plus des transports aériens, des télécommunications, du secteur bancaire, du secteur de l'eau et de l'électricité, il existe un domaine où le Maroc pourrait tirer le plus grand profit de ses relations avec les pays africains au Sud du Sahara : c'est celui de l'agriculture. Aujourd'hui la Chine, l'Arabie Saoudite et même un petit pays comme Djibouti louent des terres dans des pays africains et les exploitent pour produire des denrées dont ils ont besoin comme le riz ou le blé. Les agriculteurs marocains sont connus comme étant des travailleurs capables de tirer le maximum de leurs lopins de terre dans des conditions climatiques parfois très désavantageuses. Dans des pays comme la République démocratique du Congo, la République centrafricaine, le Mali ou le Gabon, les terres agricoles sont fertiles et souvent très vastes et le problème de la disponibilité des ressources hydriques ne se pose pas en général. Un partenariat gagnant-gagnant entre le Maroc et certains pays d'Afrique subsaharienne serait hautement bénéfique pour toutes les parties. Le Maroc cultive ses relations politiques et économiques avec les pays d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale en raison des liens historiques et culturels, mais aussi linguistiques qui l'unissent à ces pays. En effet, la plupart de ces pays ont pour langue officielle le français, ce qui facilite les contacts entre leurs ressortissants et ceux du Maroc. Il importe, cependant, de ne pas rester confiné dans ces deux régions. Les pays d'Afrique de l'Est dont la langue de travail est en général l'anglais présentent des opportunités très importantes comme l'attestent leurs performances économiques récentes. Il en est de même pour l'Afrique australe. Le politique ouvre, certes, des horizons à l'économique, mais celui-ci peut également ouvrir des perspectives au politique. A cet égard, l'économique peut offrir une excellente opportunité pour s'ouvrir davantage sur d'autres pays qui comptent comme l'Afrique du Sud, le Mozambique, l'Angola, l'Ethiopie, la Tanzanie ou le Nigéria. Toute personne qui visite ces pays ne manque pas de constater la grande estime dont jouit le Maroc auprès de leurs populations. Ce capital doit être fructifié par une diplomatie économique agissante afin de créer des liens et des intérêts solides entre les opérateurs marocains et leurs homologues dans ces pays. Les fruits d'une telle ouverture ne tarderaient pas à dépasser largement la sphère économique. Tous les moyens sont bons pour approfondir les relations de coopération avec les pays d'Afrique subsaharienne. A ce niveau, la Banque africaine de développement offre plusieurs canaux pour arriver à cette fin. C'est ainsi que des dizaines d'appels d'offres sont lancés chaque année sur toute l'étendue du continent avec le financement de la Banque. Les informations sont régulièrement disponibles sur le site de cette institution. Il faut que nos entreprises saisissent leur chance, pas uniquement en Afrique de l'Ouest mais partout où il y a des projets financés par la Banque. Les pays développés, comme la France, l'Allemagne, la Suisse ou l'Italie ne ratent pas les occasions qui se présentent pour leurs entreprises dans le continent. La Chine utilise systématiquement toutes les opportunités offertes pour donner du travail à ses entreprises en Afrique. Le Maroc ne peut pas faire moins que cela s'il veut conforter l'ambition africaine qu'il affiche à juste titre. La Banque africaine de développement accorde aussi des lignes de crédit aux banques de certains pays comme l'Afrique du Sud et le Nigéria pour financer des projets dans les autres pays africains. Rien n'empêche nos banques installées en Afrique subsaharienne de recourir au même guichet de financement de la BAD. De même, la Banque africaine de développement participe à des fonds d'investissement régionaux qui réalisent des projets dans plusieurs pays. Il faut utiliser pleinement ceux qui existent et en créer d'autres s'il le faut. Notre avenir est en Afrique. En disant cela, nous ne tournons pas le dos à l'Europe sous prétexte qu'elle est en butte à des difficultés économiques et financières complexes, car l'Europe, elle-même, est en train de comprendre que son avenir est en Afrique. Nous sommes donc tous tournés vers la même direction Marocains, Européens, Chinois, Brésiliens, etc. Le tout est de s'assurer d'avoir en Afrique une place qui sied à notre histoire et à notre ambition. Par Mohamed Mahroug