C'est décidé : le privé ne compte pas rester les bras croisés face à l'immobilisme des partenariats politiques intra-africains et à l'essouflement des négociations. Mieux, il prend l'initiative d'insuffler un nouvel élan à ces partenariats économiques qui ont encore du mal à décoller entre le Maroc et ses partenaires économiques du Sud du Sahara, en dépit d'un cadre réglementaire composé de plus de 500 accords de coopération. Accélération, redynamisation et développement des échanges, ont donc été les mots clés, hier en marge de la deuxième édition du forum Afrique Développement, organisé par l'une des structures marocaines les plus présentes sur les marchés du Sud du Sahara. Une plateforme a ainsi été offerte au business continental pour remettre les pendules des échanges à l'heure. Le contexte international n'est certainement pas étranger à ce redéploiement en perspective. La majorité des économies exportatrices africaines ont en effet cette vieille particularité de viser les mêmes marchés à l'extérieur, en l'occurrence ceux de l'espace européen. La perte de vitesse économique de cet ensemble oblige donc à une réorientation des échanges, voire à un recentrage continental du commerce africain. «Il ne s'agit pas uniquement d'aborder l'accélératon des relations Sud-Sud, mais de mettre le bon contenu dans le mot coopération et d'installer les bases de nouveaux modèles de décision et d'activités», commente Mohamed Kettani, le PDG du groupe Attijarwafa bank. Il s'agit là d'une transformation nécessaire dont les acteurs de l'autre côté du Sahara, sont également conscients. «Il faudrait concrètement une accélération des convergences économiques et des intégrations régionales à même de faciliter les échanges intra-africains», pense Ernest Yonly, ancien premier ministre Burkinabé et actuel présient du CES de ce même pays d'Afrique de l'Ouest. «La seule opportunité pour le continent est d'accélérer les échanges Sud-Sud», rajoute pour sa part la représentante de la Banque africaine de développement. L'objectif, à terme, est de porter le volume des échanges intra-africains de 25 à 30% dans le total des commerces extérieurs des économies du continent. Pour le moment, le business prime : plus de 2.500 rendez-vous business-to-business sont effectivement prévus sur ces deux jours de forum, pour mettre en relation plus d'un millier d'opérateurs économiques venus de 12 pays de la région. En termes de répartition sectorielle, les secteurs clés prioritaires qui feront cette redynamisaton sont le tourisme, le secteur agricole, ainsi que celui de la logistique. Pour Kettani, «il est de notre responsabilité en tant qu'opérateurs économiques du continent, de mobiliser de nouveaux ponts d'investissements, de développement des échanges, ainsi que des systèmes de protection de ces investissements». C'est d'ailleurs, les facteurs de diagnostic du commerce intra-africain, qui ont mené à la reconduction des thèmatiques en débat en marge de cette deuxième rencontre d'«Afrique Développement». La première porte ainsi sur la logistique. En plus du lourd boulet que traînent les opérateurs en termes de charges afférentes au transport et à la logistique (ces charges peuvent dépasser parfois 20% du coût des marchandises), le manque d'acteurs de taille et de réseaux inter-régionaux solides est une autre caractéristique de ce problème devenu structurel pour les échanges commerciaux. L'objectif est évidemment d'harmoniser une dynamique continentale actuellement à deux vitesses : une croissance des potentiels d'échanges, face à un manque de moyens et de passerelles (maritime-terrestre-ferroviaire), pour exploiter ce potentiel. Outre la logistique, deux autres grands enjeux de l'avenir des échanges intra-africains seront également au centre des débats. Il s'agit du cadre réglementaire des échanges, un maillon essentiel au développement des échanges commerciaux intracontinentaux en général et ceux entre le Maroc et ses partenaires du Sud du Sahara. Le «financement du commerce» est également au menu des échanges. Sur ce dernier point particulièrement, l'intervention du secteur privé devra être renforcée, afin d'offrir une voie complémentaire et partenariale avec les institutions multilatérales. Retrouver le dossier spécial : Forum international Afrique développement «L'Afrique est une alternative essentielle à l'Europe» Jaouad El Hamri, Directeur général de l'Office des changes Les Echos quotidien : Quelle appréciation globale portez-vous sur les structures des échanges commerciaux entre le Maroc et les économies partenaires d'Afrique subsaharienne ? Jaouad El Hamri : Le volume des échanges entre le Maroc et la partie subsaharienne du continent a doublé en l'espace de cinq ans, puisqu'il est passé d'une part de 3% à 6% du total de nos échanges commerciaux. Il y a, bien entendu, deux manières de voir les choses. Il est vrai que ce taux est encore assez faible, mais la vision positive voudrait que cette part constitue un bon départ sur lequel capitaliser, pour développer un potentiel encore plus important. Il faut savoir que le Maroc est en train de déployer une vraie politique de diversification et de renforcement de sa présence sur les marchés subsahariens, aussi bien en termes de produits que de destinations. Sur le segment des produits, OCP, par exemple, est en train de faire un excellent travail dans le secteur des engrais et des phosphates, ce qui nous permet de rééquilibrer les termes de nos échanges avec les économies de l'intérieur du continent. Comme vous le savez, le taux de couverture de nos importations par nos exportations est de l'ordre de 60%, un taux qui reste encore à parfaire et à développer. J'espère que les secteurs industriels marocains vont pouvoir profiter de la capillarité grandissante de la présence des banques marocaines sur le continent, pour développer des plateformes commerciales et opérer des exportations directement vers ces marchés. Cela est d'autant plus important que la conjoncture actuelle est caractérisée par une perte de vitesse économique de l'Europe. Est-ce qu'on peut dire que l'avenir de l'export marocain est au sud ? Absolument. La part que détient la destination africaine dans le total de nos échanges est appelée à se développer. En face, nous constatons que nos échanges avec l'UE, compte tenu de la conjoncture difficile qui prévaut dans cet ensemble, sont sur un rythme ralenti. L'Afrique constitue donc une alternative essentielle, d'autant plus que l'offre marocaine, dans certains secteurs, tente de plus en plus de pénétrer certains marchés réputés difficiles. Le volet institutionnel semble bien en retard, avec beaucoup d'accords signés, mais pas encore mis en application. Le business aurait-t-il précédé le politique ? Les nombreux accords que le Maroc a signés avec ses partenaires subsahariens ont déjà été évalués. L'idée essentielle que nous avons pu en tirer est que, si le Maroc doit signer un accord dans les plus brefs délais, ce devrait être avec la CEMOA. Nous considérons en effet qu'il y a beaucoup de potentiels à développer. La multiplication de ces accords permettra une meilleure ouverture de nos frontières aux produits des pays partenaires et accompagner, d'autre part, nos opérateurs économiques pour développer leur présence sur les marchés subsahariens. L'objectif est justement d'établir des relations économiques win-win avec nos partenaires africains.