Mohamed est âgé de 73 ans et Rachid de 27. Soit un écart d'âge de 43 ans. Et pourtant le premier a poignardé mortellement le deuxième pour une question de coupure de circuit électrique. «La régie m'a coupé le courant électrique et je voudrais que tu me passes un fil pour avoir de l'électricité...», demande Saâdia à son voisin Mohamed. Saâdia occupe, depuis une vingtaine d'année, deux chambres dans un logis de la rue Agalmane, à Mrirt, dans la province de Khenifra. Son fils Rachid, le seul qui vit avec elle depuis qu'elle a été répudiée est né dans cette maison. Et il a actuellement vingt-sept ans. Le jeune homme a poursuivi des études secondaires, avant de décrocher son baccalauréat et rejoindre ses amis à la faculté de Meknès. Il y passe trois ans pour se retrouver en 1999, avec un niveau de deuxième année en droit. Depuis, il cherche du travail pour aider sa mère. Il ne supporte pas de la voir éprouver tant de mal quotidiennement pour lui permettre d'avoir de quoi manger et de quoi s'habiller. C'est dur pour lui, qui aime une mère qui a sacrifié son temps et sa vie pour lui. Contrairement à son père qui l'a abandonné une fois sa mère répudiée. Mohamed, le voisin, ne refuse pas la demande de Saâdia. Bien que d'un tempérament ombrageux, il accepte de l'aider, mais à condition qu'elle lui paie la moitié de la facture mensuelle d'électricité. Menuisier de son état, Mohamed a 71 ans et père de trois enfants. Il n'était pas ancien à Mrirt. Il séjournait avec sa famille à Taza. Mais les aléas de la vie l'ont incité à s'acheminer au-delà de 280 kilomètres au Sud-Ouest de Taza. Là, il ouvre un local pour la menuiserie et commence à gagner sa vie, veiller sur ses enfants. Cependant, son comportement est assez choquant. Il est cruel et grossier. Il s'emporte pour un rien. Sa femme et ses enfants ne peuvent en aucun cas lui faire de reproches, ou lui dire des choses qui ne lui plaisent pas. Ils n'ont le droit que d'obtempérer à ses ordres, de ne dire que "oui". Les voisins du quartier tentent de l'éviter, de s'écarter de lui et de sa méchanceté. L'âge ne lui a pas permis de se faire estimer, de penser à changer son comportement, de chercher à s'intégrer. Samedi 16 février, Saâdia tente d'allumer la lumière dans ses chambres. Mais elle n'y parvient pas. « S'agit-il d'un court-circuit ? » Rachid a remarqué, vers quatorze heure son voisin Mohamed coupant le fil électrique qui alimente leur foyer. Mais il n'aime pas que sa mère ait quoi que se soit à voir avec le méchant vieil homme. Elle lui demande toutefois de l'attendre pour aller demander des explications à son irascible voisin. -«Oui, c'est moi qui ai coupé le courant électrique», lui lance-t-il avec agressivité. -«Mais M. Mohamed, je vous paie ma part tous les mois. Que vous ai-je donc fait pour que vous me laissiez dans l'obscurité?», lui demande-t-elle. -«Je ne veux plus vous faire passer le courant électrique et je n'ai pas d'explications à vous donner ! Allez vous faire voir et ne me dérangez plus !». Saâdia le supplie. Il s'énerve, commence à l'insulter. Elle baisse la tête, et s'en retourne chez elle. Son fils Rachid remarque les larmes à ses yeux, sort, se dirige vers Mohamed. -«C'est honteux d'insulter ma mère.. Elle vous a simplement demandé de le lui laisser le courant électrique.. pas plus», dit-il en s'adressant au vieillard. -«Va te faire f… toi et ta mère… fils de p... !» -«Vraiment, je t'ai respecté parce que tu es un vieillard...» -«Et si tu me ne respectais pas, qu'est ce que tu ferais ?, lui dit-il, provoquant. Rachid baisse lui aussi la tête et s'apprête à retourner chez lui. Mais il entend Mohamed l'insulter avec des termes particulièrement abjects. Et le voilà qui se dirige vers le jeune homme, un couteau à la main. Rachid retourne, essaie de s'enfuir. Le vieil homme ne renonce pas, avance vers le lui, lui assène un premier coup puis un deuxième sous l'aisselle gauche. Saâdia intervient aussitôt. Comme un chien enragé, Mohamed lui porte un coup, la blessant au bras. Elle ne doit son salut qu'à l'intervention des voisins. Les éléments de la Protection Civile se dépêchent sur les lieux, évacuent Rachid et sa mère sur l'hôpital, tandis que la police arrête Mohammed. Il doit être poursuivi pour coups et blessures devant la Chambre Correctionnelle près le Tribunal de première instance de Khouribga. Mais deux jours plus tard le jeune Rachid rend l'âme suite à ses blessures. Et l'irascible vieillard est conduit devant le juge d'instruction près la Cour d'Appel de Casablanca pour coups et blessures ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner. Saâdia est restée seule dans sa chambre à pleurer son fils qu'elle a perdu pour une stupide question de coupure de circuit électrique.