C'était la fin des années soixante. Le mouvement hippy battait son plein et le slogan de rigueur était « faite l'amour et pas la guerre». C'était également le début des photocopieuses ! Avec son acolyte Anthony Russo – aujourd'hui disparu – Daniel Elsberg a passé des nuits blanches à reproduire les fameux documents du Pentagone sur la guerre du Vietnam, avant de les remettre au New York Times. Quarante ans plus tard, le ministère de la défense américain vient de lever le secret qui frappait ces documents. En 1971 leur publication par le journal newyorkais avait permis de mettre à jour les mensonges d'au moins deux administrations américaines – celle de Kennedy et celle de Johnson – sur la réalité des opérations militaires au Vietnam. L'opinion publique découvrait avec stupeur l'énormité du mensonge ! L'attaque du golfe du Tonkin, les bombardements du Laos et les déclarations de Johnson en 1964 sur l'imminence d'une sortie de crise ; tout était une manipulation du gouvernement pour leurrer le public sur le déroulement d'une guerre qu'il a fini par perdre, et dont certaines cicatrices sont encore ouvertes aujourd'hui. A l'époque, Daniel Elsberg travaillait comme analyste à la Rand Corporation, un centre de recherches lié au gouvernement. Un jour on lui demande de plancher sur une masse de documents – 7000 pour être exact – afin de produire une analyse secrète sur le conflit du Vietnam. Elsberg qui avait passé deux années comme employé de l'ambassade américaine à Saigon, était revenu convaincu de l'impossibilité d'une victoire des Etats Unis dans cette guerre. Il pense alors que le seul moyen de mettre fin à un conflit aussi meurtrier et absurde, est de porter à la connaissance du grand public les secrets auxquels il a accès. Après les nuits blanches devant la photocopieuse, il remet les documents au New York Times qui les publie dans la foulée. L'administration de Richard Nixon réagira en poursuivant Elsberg, le New York Times et leurs complices en vertu de la loi sur l'espionnage. Mais l'affaire prendra une autre dimension, car elle parviendra devant les sages de la Cour Suprême des Etats Unis d'Amérique. Ces derniers rendront un jugement qui restera célèbre en se basant sur le premier amendement de la constitution: le sacro-saint texte qui protège jalousement la liberté d'expression. Ils diront notamment que «seule une presse libre est à même de révéler honnêtement au public les mensonges du gouvernement». Quarante années plus tard, Elsberg reviendra sur les devants de la scène pour défendre Julian Assange et ses WikiLeaks, qui ont ébranlé le bras diplomatique de l'administration américaine. Dans un article publié par le quotidien Britannique The Guardian, il dit sa volonté de voir d'autres documents publiés aujourd'hui, «des documents sur les guerres en Iraq, en Afghanistan, en Libye et au Yémen». Car ceux déclassifiés lundi, les Américains les connaissent déjà. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les éditorialistes du New York Times ont estimé que cette levée du secret-défense est «à mettre aux annales du gouvernement. C'est comme si l'administration voulait célébrer le quarantième anniversaire de leur fuite à la presse!».