Durant le mois de Ramadan, une autre atmosphère s'installe dans notre quotidien. Le mois sacré qui est censé être synonyme de piété et de recueillement donne lieu à une course effrénée vers la consommation et surtout les excès de toutes sortes, surtout la nuit… A Ramadan notre quotidien change. Le jeûne est y pour quelque chose. C'est pour cela que le rythme est ralenti pendant le jour. Mais le soir après l'ftour ? C'est toute une autre atmosphère qui emplit les villes du royaume, ouvrant la voie à toutes sortes d'excès. Des excès qui peuvent relever de tout, sauf du sacré. Pendant le mois de Ramadan, la vie ne reprend son cours effréné que lorsque tombe le soir. Des familles entières déambulent sur les grandes artères, ou bien se retrouvent aux terrasses des nombreux cafés. L'atmosphère devient festive. Les cafés renaissent ainsi de leurs cendres, le service est rapide, les jus frais, la musique omniprésente. Tous les moyens sont bons pour attirer une clientèle assoiffée de caféine et de nicotine et surtout de jeu. Les toxicos du jeu Les parieurs ne sont pas seulement des fervents des courses de chevaux, du Loto du toto-foot. Ce sont également des amateurs des autres jeux de hasard qui apparaissent occasionnellement pendant le mois du ramadan. Les cafés sont bondés la nuit. Les affaires marchent du feu de Dieu. Pas un trou qui désemplit, pas une table vide. On s'arrache les places. C'est la loi des cafés où l'on joue. Il faut vite manger et venir prendre place, réserver la table et attendre les amis. Un rite sacré. Avec quelques dirhams en poche, de quoi consommer un café ou un thé et un jeu de cartes en poche ou délivré par le gérant de l'établissement, et les paris sont ouverts. À quatre, on commence. On joue à deux contre deux. On parie sur une tournée. Rien de bien compliqué. Qui perd paie. Les gagnants, quant à eux, joignent l'utile à l'agréable. Ils profitent des longues nuits du Ramadan pour s'adonner à une activité illégale qui peut leur rapporter gros, sous le couvert de simple jeu de cartes. Seuls les initiés connaissent ces lieux de jeu qui ont même parfois les portes fermées. L'argent, quelle merde ! Vous en connaissez qui ont tout liquidé au jeu ? Certainement. Et presque dans chaque quartier, il y a un spécimen rare et inestimable, un échantillon humain de la perdition dans le jeu. Ceux-là, sont les damnés des sous. Tout pour l'idée du gain. L'idée est plus importante que le reste. On s'en nourrit, on la choie, et elle finit par vous précipiter dans le trou. La fin de la faim Les terrasses des cafés ne sont pas les seules à accueillir les jeûneurs libérés, les boîtes de nuit, réaménagées à l'occasion du Ramadan, proposent des soirées tout aussi animées qu'en temps «normal». L'ambiance est pétrie de musique et de fumée de Narguilé. Le soir, l'énergie qui faisait défaut le jour, est de nouveau disponible. Elle stimule l'envie pressante de sortir, de revivre et voir revivre les autres. Sortir dépasse en fait le stade des habitudes. Cela devient une obligation dans la vie de presque tous. Car même si la télévision ne manque pas d'arguments pour retenir les gens, la rue a souvent le dernier mot. Pendant le Ramadan, les villes et les gens se situent hors du temps, animés qu'ils sont d'une effervescence éphémère… ramadan devient paradoxalement, après le Ftour, le mois de tous les excès : à commencer par l'abus de sommeil le jour et l'excès de vie la nuit… Mais la fin de la faim, c'est aussi, pour de nombreux musulmans, le temps de l'assouvissement des besoins spirituels, les pratiques de recueillement et de contemplation. Micro-trottoir Brahim 55 ans « Je joue toujours à la même table et toujours en duo avec un ami contre tout le monde et je peux vous dire qu'on rafle la mise assez souvent. On peut rester sur une partie des heures et des heures. On passe le temps avec du café, du thé. Notre devise c'est gagner pour le jeu, jouer pour l'amour du jeu et non pas pour l'argent. On peut siroter dix théières et dix cafés cassés, après chaque partie emportée, mais jamais un centime sur la table. L'argent fausse tout. Là, on ne le voit pas et c'est tant mieux » Abelillah, 54 ans « Il ne faut pas gagner à tous les coups. Cela n'a plus d'intérêt. Je ne triche pas, mais je sais que trop de parties gagnées faussent l'atmosphère du jeu. Comme la partie se joue toujours à deux, le tous est de bien choisir son coéquipier ». Aziz, 44 ans « A cause du jeu, je n'ai plus rien. J'ai tout vendu : la maison, la voiture, les meubles, les habits, les bijoux de ma femme, c'est d'ailleurs à cause de cela qu'elle est partie en emmenant les enfants. Moi, j'habite aujourd'hui une cuisine sur la terrasse d'un cousin qui ne m'a pas laissé à la rue. Mais je ne regrette rien. C'est le destin» Mustapha, 48 ans « J'ai joué et j'ai gagné. J'ai joué et j'ai perdu. J'ai plumé tant de types. J'ai ruiné tant de foyers. Quand c'était mon tour, j'ai raqué. C'est dans l'ordre des choses. Mais je n'ai pas de regrets et puis un mois de Kmar, cela ne prête pas à grandes conséquences. Comme dirait un proverbe très connu dans notre milieu «Onze mois de Lakhmar et un mois de Lakmar »». Simohammed, 39 ans « Deux milles, trois milles par nuit, c'est l'ambiance qui compte. Il m'est arrivé de casquer beaucoup plus dans des casinos. Là, c'est plus convivial, on mange, on boit, on écoute de la musique. C'est très sympa. C'est un truc que je ne connaissais pas. Mais là, je vais jouer durant chaque mois de ramadan. Je comprends pourquoi tant d'amis sont accros». Propriétaires de cafés «Chez moi, il n'y a que des joueurs de cartes. Toute l'année d'ailleurs, mais pendant le ramadan, les choses vont mieux. On joue plus, on parie plus, on s'emporte plus. C'est comme ça. Ramadan a ses règles. Moi, j'ouvre quelques heures avant le Ftour pour permettre à quelques mordus de jouer. Mais la nuit, il n'y a pas une place vide». «Je fais le double de ce que je fais dans la saison. Mais ce n'est qu'un mois. D'ordinaire, on descend les rideaux à minuit. Là, c'est à six heures du matin qu'on boucle et on ouvre à quatre heures de l'après-midi. Mes clients sont les mêmes et honnêtement, je ne me plains pas. Lhamdou Lillah.» Kemmara au féminin Hind, 21 ans «C'est l'ambiance qui nous attire nous les filles. Au Maroc, on veille la nuit jusqu'au Shour et même au-delà. Il faut bien que le temps passe et le jeu est un moyen certain de passer de grands moments. C'est très excitant et puis c'est sain». Youssra, « Le jeu est une affaire de risque. C'est ce qui m'excite. J'ai des sous et je joue avec d'autres copines, mais j'aime quand c'est un mec qui raque». Fatiha, « Le jeu, c'est une jouissance qui reste inconnue de beaucoup de gens. Moi, je suis folle quand je joue. Et j'oublie tout. Un coup de cafard, une partie avec trois ou quatre copines. Un coup de blues, un pari. C'est radical».