Quand on arrive à cette frontière dégueulasse et sale, on se croirait devant la grande porte d'un souk minable quelque part entre Ben Guerir et Skhour Rhamna. Pourtant, c'est là le lieu de passage de milliers de Marocains résidant à l'étranger qui défilent chaque été par ce même poste de Tarajal. Quand on franchit les postes douaniers, on traverse une zone de no man's land qui donne froid au dos. La Guardia civile patrouille, s'adresse aux centaines de Marocains qui font le passage chaque jour pour aller s'approvisionner comme à des chiens. On dirait que ces hommes en uniforme prennent les Marocains pour des sauvages, des indigènes qui viennent quémander de quoi se nourrir aux portes de l'Europe. Arrogance, indifférence, méfiance, regards en coin, en biais, de travers… « De quoi péter un câble si on n'a pas les nerfs solides. Mais c'est parfois pire que cela, on nous bouscule, on pousse dans le dos, on insulte les Marocains, mais des fois, j'ai envie de taper ceux qui le font à tous, femmes, vieilles ou pas, sans respect. C'est écoeurant. Mais je n'ai pas le choix. Je dois venir chaque jour passer de la marchandise, je suis obligé, car c'est le seul moyen que j'ai pour manger». Des témoignages fielleux de la sorte, il y en a par centaines et chacun pourrait vous raconter un incident qui l'a dégoûté pour la vie. Mais les gens sont dans le besoin. Ils font avec. Ils s'habituent. Ils ravalent leur colère. Font comme si. Ici dans cette région, il n'y a rien. Travailler dans les champs, ça ne rapporte plus rien du tout. Autant rester chez soi. Reste la marchandise de Sebta que l'on ramène pour la revendre à Fnideq et ailleurs. « C'est comme ça que je vis. Toute la zone vit de ça. Il y a aussi la contrebande et la drogue, mais ceci est pour les durs. » En effet, pour être contrebandier, il faut avoir les reins solides et un passé de loubard derrière soi pour déjouer les rets de la Guardia civile qui passe tout au peigne fin. «On joue les uns avec les autres. Ils savent et nous savons. Et de temps à autre, ça foire. Là tu raques. C'est la règle du jeu. Mais le plus souvent c'est nous qui nous nous en tirons à moindre frais». Mais aujourd'hui, suite aux arrestations et à ce que la police à découvert dans certains maisons de Sebta, tout le monde se méfie de tout le monde. Et c'est là le début de l'implosion.