Pour son premier long métrage de cinéma, Mohamed Ali Majboud a choisi de renvoyer au cinéma marocain son image à travers un miroir grossissant. Celui de la comédie, dans sa variante cinglante la satire. Une satire ? «Une œuvre dans laquelle l'auteur tourne en dérision les défauts et les vices d'une personne». Chez Majboud, il s'agit des vices et défauts d'une profession, le cinéma et plus précisément le marocain ; à travers ses mœurs, ses personnages haut en couleurs, ses coulisses mais aussi son humanité et sa fragilité. Et le plus important c'est que l'on rit de bon cœur...et sans rancune. Et, signe des temps, c'est un jeune cinéaste issu de la télévision qui dresse une sorte de diagnostic/constat du cinéma marocain à partir du récit rocambolesque d'un tournage. Mohamed Ali Majboud a fait d'abord ses preuves en tant que réalisateur de la télévision. Comme beaucoup de jeunes de sa génération, il est venu au cinéma (et à l'audiovisuel) via la cinéphilie. Après des études universitaires parisiennes ; il suit un cursus de cinéma puis passe à la réalisation de courts métrages. Ils se distinguent très vite par une approche spécifique où domine le travail de l'image et un certain regard porté par la dérision sur les relations sociales. L'œil de verre (2004) peut passer pour le titre emblématique de cette période. Puis ce sera la télévision où il signera, avec son collègue Yassine Fennane, ce qui va constituer la meilleure série de la première chaîne marocaine, Une heure en enfer. Là, c'est le cinéma qui est convioqué au service de la télévision. La série est en effet portée par une grammaire audiovisuelle qui emprunte beaucoup au cinéma moderne, le visuel (des images inédites de Casa) le cadrage, le rythme...autant d'éléments qui puisent dans un large référentiel cinéphilique (Majbud et Fennane sont des enfants de la nouvelle culture urbaine post salle de cinéma) ; et une nouvelle direction d'acteurs qui permet à des noms longtemps cantonnés dans des rôles stéréotypés dans la tradition du théâtre de crever l'écran. Ce sont eux qu'on va retrouver dans Dallas avec notamment Aziz Dadas et Amal Elatrach. Ils livrent une prestation époustouflante confirmant leurs qualités intrinsèques et leur ouvrant la voie d'une consécration, enfin, méritée (Grand prix au festival national du film à Tanger en février 2015). Dallas fait partit des films inscrits dans le genre méta-cinéma : le film dans le film. Des films qui font leur objet du tournage d'un film. Il joue et gagne par sa forme, son jeu et la générosité de ses deux acteurs principaux, Elatrach et Dadas. L'intrigue en effet est minimaliste : un réalisateur Elhouari alias Dallas vivant un malaise existentiel ; enfermé dans ses souvenirs et ses délires ; cerné par les traites impayés et le manque d'inspiration ; soutenu par une assistante fidèle, Hlima...reçoit un jour un scénario d'un nouveau riche qui veut en fait produire le film de sa vie et rendre hommage à son père qui lui a légué une immense fortune. Après un léger dilemme, Elhouari accepte et engage une équipe de tournage ; celui-ci se déroule dans les studios implantés par les productions internationales dans les environs de Ouarzazate : une manière déjà de critiquer un mode de production plaqué sur un modèle « étranger ». Tous les clichés inhérents à une production cinématographique sont scénarisés et surjoués : des caprices de stars aux contradictions des équipes techniques sont passés en revue dans un registre comique. Dès l'ouverture, les premières scènes du film nous mettent dans l'ambiance : une atmosphère nocturne, un bar et un cinéaste qui tient un discours qui tourne dans le vide ; la scène suivante, nous retrouvons les bureaux de la production avec une image forte qui dit tous les paradoxes de notre rapport à la modernité ; on découvre en effet la secrétaire qui circule dans les bureaux avec un encensoir pour purifier les lieux et invoquer la baraka des saints ; les lieux sont ornés de portraits de figures célèbres du septième art mondial. Sauf que la fumée qui provient de l'encens qui consume prend des allures d'incendie. D'emblée on est dans une impasse. Le film de Majboud, après le moment de plaisir généré par les situations rocambolesques, invite à une lecture « sérieuse ». Il est un élément accablant et un argument de poids à verser dans le débat sur le nouveau tournant du cinéma marocain (Voir Brèves notes pour un autre cinéma). La scène finale s'ouvre sur une lecture plurielle. Le film va être finalement terminé selon les désiratas du cinéaste-« auteur » : on le vend s'enfuir à cheval avec son œuvre ‘les bobines » sous le bras. Mais à quel prix ? La star est réduite à un corps/ cadavre manipulé comme de la pâte à modeler ; les techniciens menés comme des esclaves enchaînés. Non, Dallas nous met sur la piste d'une réflexion pour un autre cinéma.