Dans le cadre de notre série d'interviews littéraires, nous vous invitons dans cet entretien à jeter un regard sur le monde de l'édition à travers les yeux du journaliste, éditeur et agent littéraire à Paris, Omri Ezrati, qui nous parle de l'éthique, contraintes et grands défis actuels de la jungle éditoriale. Entretien. Al Bayane : Si vous permettez d'abord, Mr. Ezrati, un petit mot sur votre maison d'édition. Comment a-t-elle été créée ? Et qui sont en général les auteurs que vous préférez publier? Omri Ezrati : Ma maison a été créée un peu par hasard ! Néanmoins, devenir éditeur aujourd'hui est une sorte de douce folie. Lorsque j'ai lancé ma maison, en 2012, je l'ai fait avec la volonté de publier des auteurs de valeur, des auteurs qui avaient des messages à faire passer, qui écrivaient comme on parle «avec ses tripes». Les auteurs engagés qui abordent des thèmes sociaux par exemple me plaisent beaucoup. Dans le polar par exemple, je cherche des auteurs qui montrent la vie et la société telle qu'elle est. Du journalisme au monde de l'édition, pouvez-vous nous parler de ce passage ? Je continue à exercer mon activité de journaliste puisque je suis aussi le créateur de la radio jazz Hot Truck Jazz. J'ai démarré dans le journalisme à la fin des années 80. Une époque dont je garde encore beaucoup de nostalgie. A cette époque, il n'y avait pas de portables, d'ordinateurs, nous faisions la queue aux cabines téléphoniques pour transmettre à une sténo nos articles. Je me souviens qu'en 1990, alors que j'étais encore un jeune reporter stagiaire à Radio France, les voitures étaient équipées de radiotéléphones et que mon rédacteur en chef me prévenait à chaque fois que je partais en reportage que si je devais utiliser le téléphone de la voiture, j'avais intérêt à avoir une très bonne information et que celle-ci aura été soigneusement vérifiée. Sans quoi, l'appel téléphonique serait retenu son mon modeste salaire ! Aujourd'hui, avec les hautes technologies et le faible coût des communications, les journalistes mènent une course permanente contre la montre, sans recul. Au détriment de l'information. Pour toutes ces raisons, je me suis lancé dans l'aventure de l'édition pour reprendre un peu la main, à mon humble niveau, sur les évènements. Comment choisissez-vous vos écrivains pour les publier ? Il faut qu'ils aient du talent, un message à faire passer. Leur style m'importe peu du moment que je puisse ressentir l'atmosphère, les ambiances. Savoir écrire, croyez-moi, ce n'est pas donné à tout le monde. Et les jeunes créateurs, avaient-ils une chance dans votre politique de publication ? Bien sûr ! D'où vous vient cet amour pour les littératures et les écrivains? De mes voyages, de mes rencontres. Vous savez, j'ai parcouru le monde, j'ai couvert de nombreux conflits dans le monde, je sais ce que veut dire la souffrance, la violence, la guerre. Dans ce monde, la littérature est là aussi pour nous ouvrir d'autres horizons, nous apporter de la douceur, du rêve. D'après vous, quelles sont les éthiques de la publication ? Et comment imaginez-vous la relation entre l'auteur et l'éditeur ? La première règle selon moi c'est le respect. Le respect de l'auteur, de son œuvre, de la partition de base. L'éditeur doit être capable de comprendre, de soutenir son auteur mais en aucun cas, il ne pourra devenir son esclave. Un éditeur a un rôle de scénographe, de metteur en scène. La relation entre auteur et éditeur doit aujourd'hui être plus équilibrée. Je ne suis pas toujours sûr que les auteurs et les éditeurs se comprennent. L'éditeur connait son secteur plus que n'importe qui au monde. Parfois les auteurs se complaisent dans leur imaginaire de l'édition. L'éditeur lui est en contact avec la réalité : la distribution, les libraires, les médias. Il connait les tendances. Quelle politique adoptez-vous avec les feuilles de style ? Je n'ai pas de politique particulière concernant les feuilles de style. Votre livre photographique «Tokyo» a réalisé un grand succès cette année. Pourrez-vous nous en dire plus sur ce livre ? Tokyo est un projet que nous avons lancé avec le photographe parisien Michael Guez. Ce livre est né d'une rencontre et d'une envie de faire de Tokyo un véritable objet d'art. Pour cela, nous n'avons pas lésiné sur la qualité. Nous avons confié le projet aux meilleurs artisans français du livre et le résultat a été au rendez vous ! Craignez-vous que le livre numérique ait une influence négative sur la version papier ? Non absolument pas ! Le livre numérique n'a pas encore décollé. Cela s'explique tout simplement par le fait que le milieu de l'édition, en France et en Europe en tout cas, n'a pas encore desserré le frein à main pour développer le numérique. Je vais vous dire précisément ce que je pense : pour moi, le numérique est aujourd'hui considéré comme un mode complémentaire de diffusion du livre papier. C'est une erreur absolue. Le livre numérique doit vivre sa propre aventure. Il ne doit pas être le parent pauvre de l'édition. Pour réussir l'édition numérique, nous devons convaincre de grands auteurs de céder une de leurs œuvres inédite pour une diffusion exclusivement numérique à un prix très bas ! Aujourd'hui, comment vous envisagez la situation du livre et le lecteur, notamment dans l'ère de ce que Alain Finkielkraut nommait : l'être-pour-l'écran et dont le cogito des temps modernes, «je consomme donc j'existe», règne sur toutes les pensées ? Le livre tel qu'il est conçu aujourd'hui ne peut pas être viable. Nous sommes encore dans une logique de «stock». Plus nous produisons de livres, plus nous aurons de chance d'être visibles en librairies, plus nous vendrons. C'est faux et économiquement et écologiquement irresponsable ! De plus en plus, nous éditons nos livres en impression à la demande. J'ai, fin 2012, décidé de passer la plupart de mes livres en impression à la demande chez The Book Edition et cela se passe à merveille ! Quels sont vos projets de publications à venir ? Sur ce point, je souhaite rester discret ! Les lecteurs marocains viennent de découvrir vos écrits à travers une chronique littéraire chaque vendredi. Un dernier mot peut être pour eux ? C'est un réel honneur et un vrai plaisir de tenir une chronique littéraire chaque vendredi dans le journal Al Bayane pour rapporter de France les plus belles découvertes littéraires. En outre, la culture marocaine a toujours été une source d'inspiration pour moi. Le peuple marocain est un peuple d'une grande générosité et d'une gentillesse absolue. Je serais ravi de rencontrer vos lecteurs à l'occasion d'un prochain voyage à Casablanca...