Un regroupement d'associations marocaines lancent l'appel Stop TGV. Elles veulent rouvrir le débat concernant la construction d'une ligne de TGV entre Tanger et Casablanca. La rentabilité, la priorité donnée à un tel projet, le mode de signature de contrat ... tout pour ces associations est contestable. «Si le débat est ouvert, on arrêtera ce projet.» Le leitmotiv de Omar Belafrej, co-initiateur du mouvement Clarté ambition courage, mardi 21 février, en conférence de presse à Rabat, sonne comme une incantation. Avec 6 autres associations dont Capdéma (Cap Démocratie Maroc), Intitiative BDS Maroc (Boycott, Désinvestissement et Sanction pour Israël) et Transparency International, il lance un appel, nommé «stop TGV», à signatures et à destination des associations et des citoyens marocains pour demander l'arrêt du projet de LGV entre Tanger et Casablanca. «Plus nous aurons de signatures, plus nous aurons de poids pour imaginer porter notre appel devant les députés et les responsables politiques», explique Omar Belafrej. «Cette décision hypothèque notre avenir financier pour des années, alors qu'il y a tant de projets de développement prioritaires», estime Sion Acidon, président de BDS Maroc. En ligne de mire pour ces 7 associations : les nombreux investissements pour le développement du royaume qui pourraient être réalisés avec les 25 milliards de dirhams alloués à la réalisation de la ligne à grande vitesse. Un argument qui a ses limites : un autre projet que la LGV, a fortiori une pléiade de projets, n'auraient jamais bénéficié d'un financement aussi avantageux de la part de la France. Elle prête directement au Maroc 625 millions d'euros remboursables sur 60 ans dont la premier échéance tombe en 2028, selon Capdéma. S'ajoutent un prêt de l'Agence Française de Développement (AFD) de 220 millions d'euros et un don simple de 75 millions d'euros. Des largesses dont la France n'aurait pas fait preuve si ce n'était pas l'entreprise française Alstom qui avait obtenu le contrat. Reste pour Omar Belafrej que le «froid, cet hiver à contraint certaines personnes, dans les montagnes, à être évacuées à dos de mulet. N'est-il pas plus urgent de construire des routes dans les villages isolés ?», demande-t-il. «La LGV sera déficitaire» Pour Karim Hajjaji, président de Capdéma, s'ajoute un problème économique. «Nous avons évalué le coût d'un trajet aller en train entre les deux villes pour un passager à près de 30 euros. Le verdict est sans appel : la LGV sera déficitaire», affirme-t-il. L'association, dans un rapport d'étude réalisé avec «les rares informations disponibles», souligne Karim Hajjaji, propose une alternative au TGV : la technologie Railjet qui, «dans l'hypothèse d'une ligne parfaitement rectiligne mettrait Tanger à 3h18 de Casablanca», contre 2h10 pour le TGV, et contre 4h45 aujourd'hui. «Sur le coût global du projet, la solution TGV représente un surcoût de 450%» par rapport à la technologie Railjet, souligne le document de l'association. Cet éventualité avait été évoquée par l'ONCF mais n'a pas été retenue. Pourquoi ? Parce que «la décision a été prise de façon tout à fait arbitraire, elle est venue d'en haut», affirme Omar Belafrej. «Il n'y a pas eu de mise en concurrence au départ entre plusieurs prestataires», souligne M. Saddouk, secrétaire général de Transparency International. La décision a été prise aux plus hauts sommets des deux Etats français et marocains. Entente directe «Le 8 septembre 2011, à la gare de Belfort, où il est venu inaugurer une nouvelle ligne TGV en France, Nicolas Sarkozy, visiblement diminué par les affaires qui anéantissent sa fin de mandat, prend à témoin Patrick Kron, le patron d'Alstom : «Oui, on s'est battu, Patrick, pour que vous ayez le TGV au Maroc et c'est un fait économique et politique sans précédent : le premier TGV du continent africain sera d'Alstom !», raconte Ali Amar dans son dernier livre « Paris-Marrakech: Luxe, pouvoir et réseaux». Pour le journaliste marocain qui apporte son analyse et a signé l'appel stop «TGV», «pour Sarkozy, l'avantage - si on peut parler d'avantage - est de faire du Maroc une vitrine de la technologie française pour des raisons essentiellement électoralistes» et pour Mohamed VI, «cela fait partie de sa politique de folie des grandeurs ; c'est un caprice. Cela participe à son image de «roi moderne.» Le contrat s'est décidé sans passer par un appel d'offre; «il y a eu entente directe, c'est une possibilité offerte par la loi marocaine», indique M. Saddouq. Difficile, donc, d'imaginer une action en justice au-delà de l'appel militant «Stop TGV». «Des poursuites en justice ne sont pas l'ordre du jour», confirme M. Saddouq. «Nous ne visons personne, notre appel n'est contre personne, il est pour le Maroc », tient à souligner Omar Belafrej. Après la mobilisation citoyenne, comment parvenir à faire barrage concrètement au projet de LGV pour le rassemblement associatif ? Faire en sorte que les parties renégocient le contrat mais le contexte politique marocain n'est pas porteur. Lahcen Daoudi, alors pressenti pour être ministre de l'Equipement, avait qualifié mercredi 21 décembre, de «catastrophique», un projet de 33 milliards de dirhams dans «un pays où il existe encore des villages dans l'Atlas qui ne disposent pas du moindre moyen de communication». Finalement, dans une interview donnée à Jeune Afrique, il renonce : «nous ne reviendrons pas sur ce qui a déjà été lancé.» Côté français, «nous espérons, à l'approche de la présidentielle, que le nouveau gouvernement français impulsera une nouvelle politique de coopération qui favorise le débat au sein des populations des pays avec lesquels elle traite», souligne Omar Belafrej.