Le 29 novembre 2011, la consécration d'une année politique très mouvementée a eu lieu à travers la nomination par le souverain du Secrétaire général du Parti de la Justice et du Développement (PJD), en tant que chef du gouvernement ainsi que de son équipe. Les «islamistes modérés» se trouvent enfin à la tête du gouvernement après une quinzaine d'années d'existence légale dans la vie politique, tout en s'enracinant dans la société marocaine depuis quelques décennies. Une chose est sûre, la victoire du PJD aux législatives du 25 novembre 2011, avec environ 27% des voix exprimées, n'était en aucun cas un fait du hasard. Certes, d'autres facteurs ont contribué largement au triomphe de ce parti, en l'occurrence, l'effet de la conjoncture nationale et les échos du printemps arabe conjugués à d'autres facteurs internationaux. Mais, il faut reconnaitre qu'il s'agit bien de l'aboutissement logique de plusieurs années de travail réel sur le terrain et de proximité auprès des citoyens. Le népotisme, le clientélisme, l'individualisme et l'égoïsme exacerbé omniprésents au sein de certains partis politiques, usés et discrédités aux yeux de l'opinion publique, ont balisé la voie devant le PJD pour remporter la course législative. En l'absence de forces politiques compétitives capables de créer un équilibre, le PJD a réussi à faire, quasiment, cavalier seul. Nul n'est en mesure de nier que l'esprit de groupe «Jamaâ» a bel et bien fait la différence entre le PJD et les autres partis. Seuls les mystificateurs ne voyaient pas la montée en puissance des islamistes modérés ayant réussi ces dernières années à se positionner aux yeux des Marocains, parmi l'ensemble des acteurs politiques, comme seul et unique parti politique au sens propre du terme. Néanmoins, les résultats du scrutin du 25 novembre 2011 demeurent relatifs et contextuels. En effet, la réussite du PJD aux dernières législatives ne reflète pas réellement un tsunami électoral contrairement à ce que l'on laisse croire. En fait, le nombre des voix non exprimées avoisine les 1 600 000 et dépasse de très loin le score obtenu par le PJD qui est d'environ 1 200 000 voix. Comme le nombre d'inscrits sur les listes électorales était d'environ 13 400 000 sachant que le nombre de marocains aptes à voter dépasse les 21 500 000, le PJD représente moins de 5% des marocains et se trouve pourtant au contrôle de la locomotive gouvernementale. Toutefois, le «parti» des absententionistes et des «je-m'en-foutistes» s'est hissé au sommet de la hiérarchie «politique» marocaine. Depuis le 25 novembre 2011, contrairement à ce que l'ont croit, la route empruntée par le PJD semble être semée d'embuches. Premiers signaux : l'embarras du choix qui a accompagné la constitution de la coalition notamment après le désistement de l'USFP, et les négociations concernant le partage des portefeuilles ministériels, apparemment rudes, avec l'Istiqlal qui risque de payer le prix très cher plus tard. Reste à savoir si les concessions faites par le parti majoritaire ne soient pas néfastes, à moyen terme, vis-à-vis de sa «virginité politique». Certes, le mode de scrutin actuel ne permet à aucun parti de bénéficier d'une majorité absolue, mais la composition gouvernementale nécessite un minimum d'homogénéité et de cohérence. A cet égard, et à titre de rappel, le PJD s'est farouchement opposé à la composition de l'Alliance pour la Démocratie (G8) qui l'a sévèrement critiquée en l'accusant d'hétérogénéité idéologique, alors qu'il ne se gène pas à s'allier avec le parti du Progrès et du Socialisme (PPS) qui est en inadéquation idéologique totale avec lui. Pire encore, comment les amis de M. Benkirane pourront expliquer aux citoyens leurs alliances avec certains partis rejetés et sanctionné par les électeurs? Dans l'histoire du Maroc, aucun «chef de l'exécutif» n'a pu bénéficier autant que M. Benkirane, d'une telle ambiance institutionnelle après l'adoption par 98% des électeurs de la nouvelle constitution le 1er juillet 2011. Mais malheureusement, la confusion, la frustration et la déception n'ont pas épargné une fois de plus la composition du gouvernement. La présence de membres au sein de cette équipe en tant que ministre délégué ou ministre d'Etat sans portefeuille, se contredit avec l'article 93 de la constitution ainsi que de l'article 87 qui dit « Le gouvernement est composé du chef du gouvernement et des ministres, et peut-être aussi, des secrétaires d'Etat». Le favoritisme était bien du côté de l'ami préféré du chef du gouvernement. De plus, la présence d'une seule femme au sein de la composition gouvernementale constitue un pas en arrière et ébauche sur la nature des débats de société auxquels doivent s'attendre les Marocains. M.Benkirane, après être revenu sur ses propos liés au nombre limité de ministres, a toléré la transhumance en accordant le portefeuille de l'agriculture à un ex-ministre ayant quitté son parti deux jours avant la nomination du dit gouvernement. Et pour finir, M.Benkirane ne se gêne pas d'avoir à ses côtés d'une part, un ministre de l'intérieur présent dans le champ politique depuis le début des années 1980, et d'autre part, un ministre qui ne figure pas, a priori, sur les listes électorales. A l'heure actuelle, de quel renouvellement d'élite, de quelle anti-technocratie et de quel anti-clientélisme nous parlait M.Benkirane ? Cela ne fait malheureusement qu'accentuer la confusion chez les Marocains !!! En politique, rien n'arrive par accident. Si le PJD est à la tête du gouvernement, c'est parce qu'il devait y être. En raison des mutations sociétales que connaissent toutes les sociétés dans le monde entier, l'arrivée des partis islamistes au pouvoir dans certaines régions du monde arabe fut prévisible et de nombreux futurologues reconnus l'avaient bien prévue. Aujourd'hui, un ensemble de questions s'impose : quelle famille politique pourra rester en compétition électorale respectable et équilibrée contre la machine électorale bien enracinée du PJD surtout à l'horizon des législatives prévues en 2015 ? Qui en est capable ? Est-ce une alliance de certains partis ? Les modernistes ? La société civile ? Rendez vous dans quelques années. En guise de conclusion, les mois à venir seront déterminants pour que le gouvernement de M.Benkirane puisse montrer sa capacité à répondre aux attentes de la société en ébullition surtout chez les jeunes et dans le monde rural. Souhaitons alors bonne chance à l'équipe gouvernementale et pour ne pas oublier, bon courage pour l'opposition, en perte de repères, pour qu'elle puisse mieux s'organiser. En un mot, un gouvernement efficace et une opposition citoyenne demeurent l'unique moyen susceptible de dissiper la confusion chez les citoyens. Visiter le site de l'auteur: http://www.samirbelfkih.centerblog.net