Après la prestation de serment de ses membres devant le Souverain, le premier gouvernement sous l'ère de la nouvelle Constitution doit soumettre sa déclaration dans les prochains jours à l'approbation de la Chambre des représentants pour un vote de confiance. La grande nouveauté de ce gouvernement, c'est qu'il va être conduit par un parti politique d'opposition qui n'a jamais été au pouvoir, a commenté le politologue français Jean Noël Ferrié, soulignant que le nouveau exécutif aura davantage de moyens d'action et moins de contraintes. Partant de l'idée que la période des élections est l'un des temps forts de la vie politique d'un pays, le paysage politique s'est recomposé après les élections du 25 novembre, certains partis de coalition gouvernementale sortante se retrouvent dans l'opposition, alors que pour la première fois une formation politique d'opposition arrive au pouvoir par la voie des urnes. “Les électeurs marocains ont choisi, sans confusion possible, de placer le PJD en première position avec plus de 27 pc des voix”, rappelle pour sa part Abdelali Hamidine, membre du secrétariat général du Parti de la justice et du développement (PJD), en se réjouissant de la nomination par le Souverain de M. Abdelilah Benkirane à la tête du nouveau gouvernement. Pour M. Hamidine, la gestion des négociations pour la constitution du cabinet et la communication permanente avec l'opinion publique sont autant de nouveautés en perspective d'un changement politique positif et de la consécration des règles institutionnelles et juridiques en adéquation avec l'esprit démocratique de la Loi fondamentale. Après avoir rappelé que le gouvernement, chargé de l'exercice du pouvoir exécutif, obtient sa légitimité des urnes à travers la majorité parlementaire, M. Hamidine a relevé que le Chef du gouvernement en vertu de la nouvelle constitution expose son programme devant les deux Chambres du Parlement, suivi d'un vote à la Chambre des Représentants. M. Hamidine estime d'autre part que la mise en Œuvre démocratique de la Constitution est de nature à concrétiser une nouvelle pratique politique qui devrait faire face aux contraintes psychologique et culturelle traditionnelles des anciennes élites politiques. Conduit par le secrétaire général du PJD, Abdelilah Benkirane, le nouveau gouvernement est commandé par cette formation politique à référentiel islamiste, sorti vainqueur des élections du 25 novembre en s'imposant comme la première force électorale du pays avec 107 sièges à la Chambre des représentants. C'est en quelque sorte la réalisation d'un rêve politique ancien : celui du passage d'une alternance consensuelle à “l'alternance démocratique” selon lequel trois éléments sont requis pour assurer un processus démocratique. D'abord, “des élections honnêtes et transparentes”. Celles du 25 novembre ont été unanimement reconnues comme telles. Ensuite, “respecter la règle démocratique dans la constitution du gouvernement et ce en confiant la charge du chef du gouvernement au parti qui a obtenu le plus grand nombre de sièges”. Enfin, le troisième élément est la mise “en Œuvre optimale des dispositions de la nouvelle constitution, notamment dans le sens de renforcer les pouvoirs du chef du gouvernement et du parlement. L'arrivée au gouvernement du PJD, après avoir passé près de 15 ans d'opposition dans l'arène parlementaire, suscite beaucoup d'espoirs et augure d'un véritable changement politique. Pour Jean Noël Ferrié, directeur de recherche au CNRS, le gouvernement actuel a beaucoup plus de moyens d'action pour répondre aux attentes de la population, qui sont d'ailleurs suffisamment claires. Pour ce spécialiste du monde arabe, s'opposer c'est plus facile, mais l'exercice du pouvoir consiste non pas à critiquer ou à proposer, mais à gérer. La gestion gouvernementale est un travail plus complexe qui implique d'embrayer avec les lenteurs de l'administration, dit-il. Des défis multiples à relever Le nouveau gouvernement devra relever une série de défis et M. Benkirane avait énoncé cinq chantiers prioritaires : justice, éducation, chômage, santé et habitat, domaines stratégiques pour l'amélioration des conditions de vie des Marocains. Parvenir à un taux de croissance du PIB qui aidera à réduire le chômage et à rehausser le niveau de vie, tout en assurant la viabilité à moyen terme des finances publiques, tel est le principal défi de la nouvelle coalition gouvernementale. La solution passe selon le PJD par la lutte contre la corruption, les privilèges et les inégalités, la bonne gouvernance et la réforme de la justice et de l'administration. Ainsi, pour M. Hamidine, le défi majeur du nouveau gouvernement, c'est l'édification d'une économie nationale solide et durable, à même d'absorber les effets de la crise et de faire face aux contraintes économique en faveur de la création de richesses et non pas de la consommation. Pour autant, la tâche qui attend le PJD semble loin d'être aisée, car, toujours selon le politologue Ferrié, l'enjeu est de regagner les prochaines élections, alors que le discrédit du parti auprès des électeurs n'est pas sans conséquences pour la viabilité de la nouvelle constitution. La grande responsabilité de la mise en Œuvre démocratique des dispositions de la nouvelle constitution et la consécration d'une nouvelle culture politique qui incombe au nouveau gouvernement passe par l'accélération du grand chantier institutionnel et juridique pour donner sens à la Loi fondamentale, a fait observer M. Hamidine. Dans une telle perspective, ajoute ce dirigeant du PJD, le chef de gouvernement est appelé à donner une interprétation démocratique à plusieurs dispositions de la constitution car les citoyens veulent voir un véritable changement. Khalid El Harrak (MAP) Le nouvel exécutif obéit à un bon dosage avec prééminence du PJD La nomination mardi par SM le Roi Mohammed VI du nouveau gouvernement, présidé par M. Abdelilah Benkirane, intervient en droite ligne des résultats des législatives du 25 novembre, les premières à se tenir sous l'ère de la Constitution adoptée en juillet par référendum. Le nouvel exécutif composé de trente membres, dont une seule femme, est le fruit d'une coalition de quatre formations politiques, dont le Parti de la Justice et du Développement (PJD), grand vainqueur de ce scrutin avec 107 sièges, constitue l'ossature disposant 12 portefeuilles et pas des moindres. La nouvelle équipe reflète néanmoins un savant dosage entre ses quatre composantes, puisque le Parti de l'Istiqlal s'est vu confier sept départements aussi importants, le Mouvement populaire (MP), quatre et autant pour le Parti du progrès et du socialisme (PPS). Le PJD, qui se met pour la première fois à l'épreuve des charges gouvernementales après avoir longtemps affûté ses armes dans l'opposition, aura à gérer des départements aux enjeux majeurs pour le devenir du pays et pour la satisfaction des attentes de larges franges de la société marocaine. D'autant que le nouvel exécutif dispose de larges prérogatives aux termes de la nouvelle Loi fondamentale à même d'impacter le quotidien des Marocains, d'impulser des secteurs clés de l'économie nationale et de défendre les intérêts et la place du Maroc sur l'échiquier international. Cette formation politique est en effet en charge de départements clés, tels ceux des affaires étrangères et de la coopération, attribué à une figure de proue du PJD, M. Saad-Eddine El Othmani, de la justice et des Libertés échu à une autre personnalité du parti, en l'occurrence M. Mustafa Ramid. Autre portefeuille de poids qui revient au parti de la Lampe, celui de l'équipement et du transport confié à M. Aziz Rabbah. La prééminence du PJD au sein de la nouvelle équipe apparait également à travers la nomination de M. Lahcen Daoudi, ministre de l'Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la formation des cadres, un secteur aussi stratégique pour le développement du pays et l'avenir des jeunes générations. Le parti est aussi aux commandes d'un secteur aussi vital que celui de la solidarité, de la femme, de la famille et du développement social, attribué à Mme Bassima Hakkaoui. Les alliés du PJD au sein de la coalition gouvernementale n'en ont pas moins hérité de portefeuilles importants, comme l'atteste la nomination de M. Nizar Baraka (PI) au ministère de l'économie et des finances et de M. Mohamed El Ouafa, du même parti, à l'éducation nationale. Le MP n'est pas en reste dans cette configuration dictée par le verdict des urnes puisque le parti est en charge notamment des départements de l'intérieur, en la personne de M. Mohand Laenser, un homme rompu à la gestion de la chose publique, et celui du tourisme à M. Lahcen Haddad. Le PPS, quatrième membre de la coalition gouvernementale, chapeaute, quant à lui, quatre départements, dont celui de ministre de l'Habitat, de l'urbanisme et de la politique de la ville, qui revient à M. Nabil Benabdellah et celui de l'Emploi et de la formation professionnelle, attribué à M. Abdelouahed Souhail. Le choix de M. Aziz Akhannouch, sans étiquette, au poste de ministre de l'Agriculture et de la pêche maritime marque la consécration d'un parcours personnel du titulaire, qui trouve désormais place parmi la nouvelle équipe après avoir quitté les rangs du Rassemblement National des Indépendants (opposition). La nouvelle équipe gouvernementale comprend aussi des personnalités non-partisans appelées à gérer des départements revêtant une importance particulière, comme ceux des Habous et des affaires islamiques auquel a été reconduit M. Ahmed Toufiq, et celui de l'Administration de la défense nationale dans lequel fût confirmé M. Abdellatif Loudiyi. Abderrahim Haddad et Rahal Taoussi(MAP) Charte de la majorité Un code de conduite des affaires de l'Etat Au lendemain de la formation de la majorité parlementaire dont sera issu le premier gouvernement sous la nouvelle constitution, celle-ci a signé un document qui fera date dans les annales de la politique marocaine. Pour la première fois dans l'histoire du Maroc moderne, les partis politiques qui se sont mis d'accord pour sceller une coalition qui leur permettra de siéger au gouvernement pour les cinq ans à venir, ont établi au préalable et pour démarrer leur partenariat sur des bases claires, un document contractuel qui définit le cadre de leur action commune. La terminologie, la culture et la tradition politiques dans le pays se trouvent ainsi enrichies d'un nouveau concept : la “Charte de la majorité”, dont les signataires sont, en l'occurrence, le Parti justice et développement (PJD), le Parti de l'Istiqlal (PI), le Mouvement Populaire (MP) et le Parti du progrès et du socialisme (PPS), portés par les urnes aux affaires de l'Etat. Les principes fondamentaux La prochaine coalition gouvernementale, peut-on lire dans le texte de la charte, qui porte le sceau des secrétaires généraux des quatre partis, respectivement Abdelilah Benkirane, Abbas El Fassi, Mohand Laenser et Nabil Benabdallah, s'engage à servir les intérêts suprêmes de la Nation et à défendre sa souveraineté, son intégrité territoriale et l'unité de son peuple, le cadre du respect des valeurs sacrées et immuables de la Nation et conformément aux dispositions de la Constitution. Pour servir ces objectifs, cette coalition a irréversiblement adopté une charte dite de la majorité gouvernementale qui repose sur quatre principes fondamentaux: l'action commune, l'efficacité dans l'exécution, la transparence dans la gestion et la solidarité dans la responsabilité. Tout en veillant à la mise en oeuvre des dispositions de la nouvelle constitution, dans le but de réaliser davantage de réformes et édifier l'Etat de droit, des libertés, de la justice et de la solidarité entre les différentes composantes du peuple marocain et les différentes régions du Royaume, la coalition s'engage, en vertu de ce pacte, à travailler dans un cadre harmonieux et solidaire et à assumer pleinement et solidairement sa responsabilité constitutionnelle et politique dans la gestion de la chose publique. Réhabilitation et moralisation de la vie publique La charte se fixe également pour objectif de réhabiliter l'action politique et de moraliser la gestion de la chose publique tout en faisant face aux pratiques délictueuses et à l'économie de rente dans tous les domaines liés aux droits, à la dignité et à la liberté des citoyens. Selon la même charte, ladite coalition s'engage, en tant que majorité parlementaire et gouvernementale, à promouvoir son action au sein de l'institution législative et dans le gouvernement afin de contribuer à l'élaboration et à la mise en oeuvre de politiques publiques tout en les défendant avec le sérieux et la crédibilité requis. La prochaine coalition gouvernementale s'engage ainsi à améliorer le rendement institutionnel et politique, de manière à aller de l'avant dans la pratique démocratique, la bonne gouvernance et à consolider l'élan de réformes contenu dans la nouvelle Loi Fondamentale. Aider l'opposition à jouer son rôle La charte stipule, par ailleurs, que la prochaine coalition gouvernementale œuvrera à coopérer et à dialoguer avec l'opposition, dans le but de lui permettre de remplir son rôle constitutionnel et politique. Elle engagera un dialogue avec toutes les forces vives de la Nation, selon une approche dédiée à la consolidation de la démocratie participative et à l'élargissement de la solidarité et de l'entente nationale, dans un cadre consacrant la pluralité et la différence. Un “board” pour la coalition gouvernementale S'agissant des mécanismes de mise en œuvre de la charte, les partis formant la majorité ont convenu que la présidence de la coalition gouvernementale soit composée de huit membres, en l'occurrence les secrétaires généraux des quatre partis de la majorité, en plus d'un membre de la direction de chaque parti, choisi par son secrétaire général. Ils ont aussi convenu que les réunions de la présidence de la coalition seront convoquées par le chef du gouvernement et se dérouleront sous sa présidence. La présidence de la coalition aura pour mission de suivre et d'évaluer l'exécution des programmes de la majorité, d'examiner toutes les questions afférentes à la coalition, et de veiller à la cohésion et à l'intégration de l'action gouvernementale et des politiques publiques. Un modus operandi pour la coalition parlementaire Sous la coupole de la Chambre des représentants, les partis de la majorité ont convenu, en application de la nouvelle charte, que leur coalition sera composée des présidents de leurs groupes respectifs avec une présidence confiée chaque année à parti de cette coalition, suivant l'ordre décroissant du nombre de sièges obtenus. La coalition tiendra des réunions ordinaires bimensuelles, mais aussi des réunions extraordinaires à la demande d'un des présidents de groupe. La coalition à la Chambre des représentants élaborera en outre un rapport périodique qui sera remis à la présidence. La coalition à la Chambre des Conseillers, précise la charte, devra regrouper les présidents de groupe des partis formant la coalition gouvernementale, avec une présidence annuellement tournante en fonction du nombre de sièges. Elle tiendra des réunions ordinaires tous les deux mois et des réunions extraordinaires à la demande d'un des présidents de groupe. La coalition à la chambre des conseillers élabore également un rapport périodique, remis à la présidence de la coalition. Au niveau des deux chambres du parlement, elle aura une ligne de conduite claire et précise concernant les propositions de loi, le vote, les amendements et la discussion des projets de loi. Un engagement vis-à-vis des citoyens Le document vise aussi à consacrer le choix démocratique en élargissant l'espace des libertés et de la participation citoyenne, en encourageant l'esprit d'initiative, en soutenant les mécanismes assurant l'égalité des chances au sein de la société, en consolidant le rôle de la femme sur la base de la parité, en promouvant la participation des jeunes dans la vie institutionnelle, et en s'ouvrant sur les médias dans la liberté, la responsabilité et la créativité. En parallèle et dans un souci de transparence et de clarté dans l'action de la majorité, mais aussi pour consacrer la démocratie participative, la charte a décrété que la présidence de la coalition publie un rapport annuel pour informer les citoyennes et les citoyens des avancées réalisées dans l'action de la majorité gouvernementale et ses perspectives d'avenir. Pour reprendre les termes de ses propres signataires et artisans, voilà le Maroc doté d'un “document contractuel” qui lie, d'un cô_té, les quatre partis de la majorité et clarifie la relation entre eux, mais place également ce bloc face à des engagements volontaires, pris auprès de son électorat -et de toute une nation- avec une feuille de route qu'il s'est lui-même imposée. La voie est donc toute tracée pour inaugurer une ère nouvelle dans la gestion de la chose publique, avec de nouveaux mécanismes, mais également une véritable tradition politique, à condition que l'esprit suive la lettre. Il y va de la viabilité du concept de la charte, mais avant tout de l'avenir du pays. Mohamed Naji (MAP)