Le débat sur la nomination du chef de gouvernement au sein du parti arrivé en tête des élections est remis au goût du jour en cette période électorale. Faut-il se contenter d'une application mécanique des dispositions de l'article 47 de la Constitution ou recourir à une lecture « contextualisée » pour éviter le blocage de 2016 ? Enclenchée pour la première fois au lendemain des élections de 2016, la polémique autour de l'article 47 de la Constitution revient au-devant de la scène. Faut-il adopter une nouvelle lecture des dispositions de cet article qui stipule que «le Roi nomme le Chef du Gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des Représentants, et au vu de leurs résultats» ? Les acteurs politiques sont divisés à cet égard. Si certaines formations politiques se sont toujours prononcées contre la révision de cet article, notamment le PJD, quelques voix au sein de l'échiquier politique estiment qu'un amendement s'impose en vue de mettre fin à la concurrence acharnée des partis politiques pour la première place quels que soient les moyens utilisés. C'est aussi la position du mouvement «Damir» qui regroupe des intellectuels, des artistes et des militants de la société civile. Cette organisation appelle à une lecture «contextualisée» de l'article 47 de la loi fondamentale : «l'application littérale de cette disposition constitutionnelle a pu être considérée par une certaine classe politique comme étant une rente de situation, incitant certaines formations à commettre toutes les manœuvres politiciennes susceptibles de leur permettre d'atteindre à n'importe quel prix le premier rang des résultats électoraux aux législatives et de constituer des majorités gouvernementales factices, tant elles sont pléthoriques, hétérogènes, incohérentes et désunies, comme on a pu l'observer durant les deux dernières mandatures». Certains acteurs politiques pensent que le problème ne réside pas dans les dispositions constitutionnelles, mais dans les pratiques négatives qui entachent l'échiquier politique. À ce titre, le secrétaire général du PAM, Abdellatif Ouahbi, appelle au respect de l'article 47 de la Constitution. Il estime qu'en cas d'échec du premier parti à former une majorité, il est possible de passer au parti qui dirige une forte alliance en vue d'éviter le scénario de 2016. Le Chef de gouvernement désigné pourrait aussi être choisi dans le second parti aux élections si le premier ne parvient pas à former sa coalition dans des délais raisonnables, selon une autre lecture des dispositions constitutionnelles. En tout cas, c'est au souverain de prendre la décision. Tout dépendra des résultats des prochaines législatives et de la capacité du premier parti à sceller des alliances dans les délais impartis. Après les élections de 2016, le blocage a duré six mois avant que le Chef de l'Etat ne décide de confier la formation de l'équipe gouvernementale à Saad Dine El Otmani qui avait un délai de 15 jours seulement pour mener à bien cette mission. On s'attend à ce que ce même ultimatum soit accordé au dirigeant politique qui sera désigné par le roi après les élections. Si le PJD arrive, encore une fois, à occuper la première marche du podium, certains politologues s'attendent à la reproduction du même scénario de blocage. D'ailleurs, les appels lancés pour la révision de l'article 47 de la loi fondamentale étaient largement motivés par la crainte d'une troisième victoire du PJD aux législatives de 2021. En effet, la mission du parti de la lampe ne sera pas de tout repos même si les trois autres partis politiques qui aspirent à diriger le gouvernement ne s'opposent pas à l'idée de l'avoir comme allié. Néanmoins, on s'attend à ce que leurs exigences soient grandes, notamment en termes du nombre et de la nature des portefeuilles ainsi que du choix des autres alliés. C'est l'une des causes ayant fait durer le blocage après les législatives de 2016 jusqu'à ce que le deuxième chef de gouvernement désigné (El Otmani) ait accepté ce que Benkirane et le secrétariat général du PJD refusaient catégoriquement. Rappelons à cet égard qu'après de longues semaines marquées par un bras de fer serré, l'Union socialiste des forces populaires avait fait son entrée au forceps au gouvernement en dépit des passe d'armes entre le premier secrétaire de l'USFP Driss Lachguer et le PJD. El Otmani avait alors expliqué ce choix par « la ferme volonté de dépasser les obstacles qui ont empêché la formation du gouvernement... ». Cette décision avait suscité un vif mécontentement au sein du parti de la lampe et avait déteint de plein fouet sur sa cohésion interne. Toute autre concession risque d'être fatale pour le PJD qui s'est rapproché du PAM, quelques semaines avant les élections pour renforcer sa position. S'il n'arrive pas à former le gouvernement, il sera contraint de basculer dans l'opposition. Par ailleurs, certains observateurs écartent le scénario du blocage estimant que les chances du PJD d'arriver premier ne sont pas grandes. Ainsi, la majorité arithmétique devrait, en théorie, être facilement réunies par l'une des trois formations politiques qui concurrencent le parti de la lampe vu qu'aucune ligne rouge n'est affichée à cet égard. Le prochain exécutif sera composé de plusieurs partis, en raison du nouveau quotient électoral qui limitera les scores des premières formations. Pour constituer le gouvernement, il faut réunir une majorité d'au moins 198 députés. En 2017, la coalition gouvernementale, formée de six partis politiques, disposait de 221 parlementaires dans la chambre basse soit un taux de 55,94 %. L'enjeu, cette fois-ci, est de former un gouvernement homogène pour éviter les tensions ayant marqué la coalition sortante. Précisions à ce titre que la Commission spéciale sur le nouveau modèle de développement pointe «des coalitions de conjoncture, qui, n'étant pas fondées sur une vision et des objectifs partagés, génèrent des tensions récurrentes, des blocages et des lenteurs au sein de la majorité gouvernementale, en déphasage avec les attentes urgentes des citoyens et des opérateurs économiques». Révision de l'arsenal juridique électoral Un débat national s'impose, mais il ne doit pas être concentré sur une seule question, d'après nombre d'acteurs politiques. Le blocage qui est survenu en 2016 avait soulevé nombre de problématiques dont la question de la gestion des alliances qui se font et se défont au gré des circonstances et des intérêts des uns et des autres. Une problématique due en partie au mode de scrutin actuel qui ne permet pas de dégager une majorité claire. Aussi, nombreux sont ceux qui appellent à s'attaquer à ce dossier dès la fin des élections du 8 septembre. La réforme devra être globale pour mettre fin au système actuel qui engendre des alliances hybrides tant au niveau national que local et régional au lieu de dégager des coalitions basées sur une vision unifiée et claire. Une profonde réflexion s'avère nécessaire pour trouver des réponses à court et à moyen termes d'autant plus que le modèle politique est déterminant dans la définition des choix sociaux et économiques et leur mise en œuvre. Jihane Gattioui / Les Inspirations ECO