Le taux d'urbanisation au Maroc pourrait atteindre plus de 70% d'ici 2050, selon les prévisions du Haut-Commissariat au Plan. Ce qui laisse redouter une hausse du nombre de bidonvilles, au détriment du plan «Villes sans bidonvilles». En 2050, la Terre aura accueilli plus de deux milliards d'êtres humains supplémentaires. Constat alarmant récemment paru dans le journal Le Monde : la moitié vivra dans un bidonville. C'est que deux phénomènes se conjuguent étroitement : inflation démographique de la planète et urbanisation du monde. D'après les chiffres de la division de la population des Nations unies, actualisés le 17 juin, de 7,7 milliards d'humains aujourd'hui, la population mondiale va bondir à 9,7 milliards en 2050. Alors que la planète compte 4,2 milliards d'urbains en 2019, ce chiffre sera porté à 6,7 milliards en 2050. Au Maroc, le taux d'urbanisation est actuellement de 62,9%, selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP). A titre comparatif, il était de 29,2% en 1960 et devrait atteindre 73,6% en 2050. Dès lors, une équation s'impose : comment l'Etat logera-t-il ces nouveaux urbains sans craindre une hausse de l'habitat anarchique et insalubre, alors que le Maroc bataille depuis 2004, année de lancement du programme «Villes sans bidonvilles», pour vider 85 centres urbains de leurs baraques ? «Si cette urbanisation se fait de pair avec un développement économique, le problème ne se posera pas. Les bidonvilles naissent d'un déséquilibre entre développement économique et croissance démographique. Partout dans le monde, mais surtout dans les pays du Sud, les villes n'offrent pas suffisamment d'emplois et, à travers eux, de possibilités d'intégration. Car c'est bel et bien l'emploi qui permet l'intégration des nouveaux arrivés dans l'économie urbaine et dans la ville d'une manière générale», nous explique Abdelaziz Adidi, géographe et ancien directeur de l'Institut national d'aménagement et d'urbanisme (INAU). «Or lorsque les villes sont incapables d'offrir suffisamment d'emplois, de logements, d'accès aux services de base – de possibilités d'intégration, en somme –, le phénomène de l'habitat insalubre est automatiquement relancé.» Abdelaziz Adidi Le rural amputé de sa main d'œuvre Mais au fond, par quoi le déplacement de ces populations est-il mué ? Pour Rachid Haouch, vice-président du Conseil national des architectes, l'absence d'une politique du monde rural marocain est un premier élément de réponse. Car les néo-urbains viennent chercher en ville ce qu'ils ne trouvent plus à la campagne : du travail. «C'est notamment dû à l'ancien plan du maréchal Lyautey, qui considérait qu'il y avait un Maroc utile et un Maroc inutile. L'axe Atlantique a été entièrement privilégié ; il y a un effet de drainage, d'attraction vers la conurbation atlantique. Les grandes villes comme Casablanca, où ont été installées les entreprises à partir des années 1950, sont des attracteurs pour les travailleurs ruraux», souligne-t-il. Cette industrialisation a peu à peu vidé la campagne de sa main d'œuvre, «alors qu'on aurait dû inverser la tendance : implanter des entreprises dans le monde rural et faire du développement local». «C'est lorsqu'on développe un centre émergent dans le monde rural qu'on créé les futurs noyaux des villes. C'est maintenant qu'il faut inverser la tendance avec les moyens du monde rural et pas ceux du monde urbain.» Rachid Haouch Le dispositif de logements sociaux en milieu rural comme facteur de développement est un mauvais calcul du ministère de l'Habitat, estime également Rachid Haouch. «L'équation à résoudre était de faire émerger la classe moyenne dans le monde rural, mais s'est-on vraiment donné les moyens de le faire ? 70% des terres marocaines s'inscrivent dans une logique marchande et non de propriété. A cela s'ajoute le fait que le logement social nécessite un foncier à moindres coûts. Et que faut-il faire pour trouver du foncier pas cher ? S'éloigner des villes, du centre. Cette ghettoïsation des populations qui découle de cet éloignement va favoriser la hausse de la délinquance», s'inquiète le vice-président du Conseil national des architectes. Une périurbanisation dans de mauvaises conditions Pour d'autres, l'urbanisation galopante qui s'annonce ne laisse pas craindre une hausse des bidonvilles, mais plutôt un phénomène de périurbanisation, avec des logements pas forcément toujours adéquats. «Je ne pense pas qu'il faille s'attendre à une augmentation du nombre de bidonvilles, qui est d'ailleurs en train de diminuer», avance Karim Rouissi, architecte à Casablanca. «Il y a au Maroc une production importante de logements sociaux, même si ce n'est pas pour autant un gage de qualité urbaine et de confort. Ce qui va s'accroître, c'est le périurbain, avec des conditions de logement qui ne vont pas être qualitatives, des gens qui vont vivre en périphérie des villes, éloignés des centres économiques, avec un manque de mobilité et de raccordement aux centres urbains», poursuit-il. Pour Karim Rouissi, la qualité urbaine doit être au cœur du dispositif. «On a favorisé le quantitatif au qualitatif. Les logements répondent certes aux normes constructives en vigueur, ils ne menacent pas de s'effondrer, mais en termes de thermique, d'aménagements et d'équipements urbains, de liaisons par la mobilité à la ville, il n'y a pas de qualité», observe l'architecte. Dans ce sens, il s'aligne sur les observations formulées par Rachid Haouch : «En installant les gens dans des quartiers où il n'y a pas de qualité de vie, on les stigmatise, on créé des séparations, des quartiers sans aucune mixité sociale. Ces quartiers, de par leur exclusion, leur déconnexion du reste de la ville, et par le manque d'équipements, constitueraient des menaces sécuritaires pour le pays. On est en train de créer des bombes à retardement.» Karim Rouissi Ce scénario est redouté jusque dans les rangs du Conseil économique, social et environnemental, qui avertissait en 2013 déjà que «l'émergence de grands projets d'habitat social risque de constituer, dans les années à venir, des foyers grandissants d'insécurité et de tensions sociales». Il dénonçait un «urbanisme de courte vue» dans le royaume et un manque d'accompagnement social. «Ils produisent non seulement l'ennui social, humain et culturel, mais ils risquent de devenir, si rien n'est fait, des entités urbaines dangereuses, voire des espaces ''sans droit''.»