La Cour d'appel de Casablanca a confirmé, ce mardi matin, le verdict rendu par le tribunal de première instance, condamnant l'association culturelle Racines à la dissolution. Il s'agit d'un procès inédit, considéré par l'ONG comme un moyen de pousser la société civile à l'autocensure. Ce mardi, le passage devant le juge de la quatrième chambre de la Cour d'appel de Casablanca a été bref. Le verdict confirme celui du tribunal de première instance ayant condamné l'association Racines à la dissolution, le 26 décembre 2018. La décision de ce matin, elle, a été motivée par une «demande du ministère de l'Intérieur» de poursuivre la structure culturelle «pour avoir hébergé» le tournage de l'épisode en trois parties, intitulé «l'épopée des nihilistes», de la web-émission «1 dîner, deux cons» (1D2C). Ainsi, le Parquet qui a requis cette confirmation reproche à Racines d'avoir «failli à ses actions telles que prévues dans ses statuts», même si la version la plus récente de ces derniers inclut «la défense de la liberté d'expression». «Jusque-là, nous avons continué à tenir des activités, mais maintenant que le jugement de première instance est confirmé, il a un effet exécutoire ; donc nous devrons fermer après une assemblé générale pour dissoudre l'association», explique à Yabiladi Aadel Essaadani, coordinateur général de Racines. Ce dernier déclare cependant la détermination de l'organisation à se pourvoir en cassation. Un procès pour «pousser à l'autocensure» Si le verdict est jugé sévère par plusieurs organisations solidaires de Racines depuis le début de ce feuilleton judiciaire, le militant considère que la décision «lève toute ambiguïté sur le fait que les administrations se solidarisent entre elles, en l'absence de liberté d'expression et d'évaluation de politiques publiques». Aadel Assadani rappelle que ce procès est «une première», car «il dissout une association pour ses opinions politiques», dénotant ainsi qu'«il n'y a jamais eu de séparation des pouvoirs». Maroc : Les dessous de la dissolution de l'association Racines Pour le coordinateur général de Racines, les militants de l'ONG avaient «espoir en la justice pour réparer le zèle d'un fonctionnaire du ministère de l'Intérieur». «Il s'agit moins de pénaliser Racines que de donner l'exemple», souligne-t-il. «Il a suffi de l'initiative d'un fonctionnaire pour annuler tout le travail d'une association qui existe depuis dix ans et qui est reconnue au Maroc et ailleurs. On a commencé par les journalistes, maintenant on s'attaque à la société civile qui est considérée comme récalcitrante. C'est condamner les autres structures au silence, au risque de voir se reproduire ce qui est arrivé à Racines.» Aadel Essaadani Cette situation laisse le militant déduire qu'«il est plus facile de gouverner des citoyens qui s'autocensurent». «Toute démocratie fonctionne grâce au contrepouvoir de la société civile et l'évaluation des politiques publiques, proposée notamment par le biais de la culture comme solution et comme valeur, qu'on nous conteste aujourd'hui», nous déclare-t-il. Et d'ajouter : «Lorsqu'on analyse les discours royaux, on y retrouve ce plaidoyer en matière de reddition des comptes et de valorisation du service public ; mais lorsqu'on en fait l'évaluation, des administrations tentent de nous faire taire, contre la volonté royale donc.» Les requêtes de la défense seront restées sans réponses Tout au long du procès en première instance, les requêtes d'Abdeslam Bahi, avocat de l'association Racines, sont restées sans suite, y compris une demande d'expertise technique pour attester que la web-émission n'est pas tributaire de l'ONG. En appel et face au silence du Parquet, la structure a elle-même appuyé le dossier par une expertise informatique d'un spécialiste assermenté, tout en joignant le témoignage d'Amine Belghazi, co-animateur d'1D2C. Maroc : L'association Racines réagit au verdict qui prévoit sa dissolution Lors de la première audience en appel, le 2 avril dernier, le Parquet a ainsi requis que Racines soit «condamnée sur la base de ce qui a été prouvé». Mais en dernière séance avant les délibérations, la requête s'est alignée sur le jugement en première instance, préconisant sa confirmation. «Notre avocat a relevé beaucoup de vices de forme, à commencer par la manière dont les poursuites ont débuté : le gouverneur des arrondissements Casablanca-Anfa a saisi la procureure du tribunal de première instance, sans adresser cette correspondance à la présidence du ministère public d'abord, comme le prévoit la loi.» Aadel Essaadani Le coordinateur général de Racines affirme que les militants vont «rester dans la légalité, en étant peut-être plus véhéments, mais sans se radicaliser comme certains le veulent ; nous ne leur feront ni ce cadeau ni un autre». «Nous sommes conscients que l'arbitraire existe, mais ils n'auront pas notre haine et nous continuerons à dire tout ce que nous pensons, car ce pays nous appartient à nous tous», conclut le militant.