Le 26 décembre 2018, le tribunal de première instance à Casablanca a rendu un jugement à l'encontre de l'association Racines. Cette dernière est condamnée à la dissolution, après que le parquet lui a reproché «l'organisation» de la web-émission «1 dîner 2 cons» dans ses locaux. Il y a une semaine, l'association Racines a été condamnée en première instance à être dissoute. En cause, l'enregistrement de la web-émission «1 dîner 2 cons», l'été dernier dans ses locaux. Le parquet tient l'association pour responsable de cette rencontre et des propos qui y ont été tenus, considérant ces derniers comme «contraires à ses objectifs conformément aux statuts datant du 4 avril 2015». Le tribunal lui reproche également la «consommation ostentatoire de l'alcool, au cours d'un programme accessible au public mineur». Dans ces attendus du jugement obtenus par Yabiladi, le tribunal estime que Racines a agi contrairement à l'article 36 de la loi sur les associations, puisqu'elle ne se serait pas tenue à son champ d'action. Par ailleurs, la motion du parquet général, dont Yabiladi détient une copie et qui a donné lieu à ces poursuites, prend notre de positions politiques tenues par des invités de l'émission, en plus d'accusations de «corruption» visant le ministère de l'Intérieur dans sa gestion des projets de l'Initiative nationale pour le développement humain (INDH) et avancées par le journaliste Omar Radi. Racine rejette les accusations L'été dernier, l'association a hébergé le tournage d'un épisode en trois parties de la web-émission «1 dîner 2 cons». Animé par Amine Belghazi et Youssef El Mouedden, l'épisode réparti en trois volets et intitulé «L'épopée des nihilistes» a été mis en ligne sur la chaîne Youtube du programme. Répondant au tribunal dans un écrit parvenu à Yabiladi, l'avocat de Racines, Abdeslam Bahi, explique que «rien ne prouve dans ce dossier la qualité d'organisateur donnée à Racines». Me Bahi appelle également le parquet à procéder à une expertise qui prouvera le non-fondement de la dissolution et confirmera que «cette structure n'est ni l'auteure de l'enregistrement, ni responsable de la chaîne l'ayant mis en ligne». Cependant, ces requêtes sont restées lettre morte, le tribunal rejetant la responsabilité des faits à l'association propriétaires des locaux où se sont déroulés les faits. Une situation que conteste officiellement aujourd'hui Aadel Essaadani, coordinateur général de l'association. Contacté jeudi par Yabiladi, il relève trois remarques principales après sa lecture de la décision de justice. «Celle-ci fait référence aux statuts de l'association datant de 2015, alors que ces derniers ne font même pas partie du dossier et qu'ils ont été modifiés dans la version actuelle, souligne-t-il. Aussi, le verdict tient compte des objectifs de l'association qu'il énumère, mais sans mentionner la défense de la liberté d'expression, qui en fait également partie conformément à nos statuts : une censure dans la censure. Je n'ai par ailleurs pas connaissance d'une correspondance que j'aurais signée, prouvant que l'association aurait organisé l'enregistrement de l'émission». Un procès de la liberté d'expression et du droit d'association Egalement membre fondateur de l'association, le militant soutient que «ce n'est pas parce qu'un membre de Racines participe à une web-émission enregistrée dans les locaux de l'association qu'il est organisateur». Autant dire qu'«il s'agit d'un procès sommaire, donnant l'impression que tout était préparé à l'avance, sans tenir compte d'aucune des requêtes de notre avocat», conteste encore l'associatif. A la question d'irrégularités financières ou fiscales qui auraient précipité le procès en guise de réaction, l'ancien président insiste sur le fait qu'«une association ayant des partenaires institutionnels nationaux et internationaux ne peut pas se permettre d'agissements contraires aux règlements du fisc et de la comptabilité». «C'est incroyable d'entendre cela parfois de la bouche de personnes qui disent partager les mêmes idéaux que nous», dénonce-t-il. «Ce procès kafkaïen dépasse Racine de loin, c'est celui de la liberté d'expression et d'association, dans la mesure où ce qui nous est arrivé pourrait se reproduire et il ne faut pas que cet épisode passe à la trappe de l'amnésie populaire», précise encore Aadel Essaadani. Contacté précédemment par Yabiladi dans ce sens, Ahmed El Haij, président de l'Association marocaine des droits humains (AMDH), souligne que «l'existence de structures culturelles à l'image de Racines ne doit aucunement être contrainte, tant qu'elle n'incite pas à la haine, ne se base pas sur l'exclusion et ne promeut pas les discriminations». «Le fait qu'une association accueille dans ses locaux une activité qui entre dans le cadre de la liberté d'expression n'est pas un argument valable pour la dissoudre ; nous espérons que la justice reverra sa décision lors d'un procès en deuxième instance», affirme le président de l'AMDH. De son côté, Aadel Essaadani confirme que Racines «compte bien faire appel de ce jugement et se pourvoir en cassation s'il le faut».