La dernière livraison de la web-émission « 1 diner, 2 cons » qui promettait depuis 2016 une révolution la libre-parole de la jeunesse grâce à la liberté offerte par Youtube a déçu son maigre public. Et pour cause, autour de la table, point de réformateurs, mais des nostalgiques de l'ère du nationalisme panarabe qui au nom du progressisme critiquent sans arguments tout ce qui bouge dans leur pays. Rien ne trouve grâce à leurs yeux, mais ne savent pas l'exprimer sans se chamailler sur leur plateau improvisé. On dit souvent qu'Internet a permis aux nouvelles générations de s'exprimer plus librement, notamment dans des sociétés conservatrices ou soumises à des régimes politiques qualifiés d'autoritaires. C'est globalement vrai. Mais il existe aussi dans certains pays, comme au Maroc, une frange marginale de cette jeunesse qui plaque sur son pays une grille de lecture passéiste, puisée dans les vieilles éditions d'ouvrages marxistes-léninistes, mais qui fait des réseaux sociaux un champ de conquête pour les idées qu'ont défendu leurs grands-parents du temps où les révolutions communistes faisaient encore tourner les esprits échevelés. Un petit groupe d'entre eux en a fait encore la démonstration ces temps-ci sur Youtube lors d'une attablée arrosée de bière et de vin et dans un nuage de fumée de cigarettes pour faire progressistes et libertins. En trois capsules pas enivrantes pour un sou, une brochette de nihilistes romantico-bourgeois ont cru faire le tour de ce qui agite le royaume dans un brouhaha à peine compréhensible. Financée à son départ par des fonds nordiques, les mêmes qui ont alimenté la version radicale de « Lakome », un site de commentaires très brouillon dont on n'entend plus parler, ou encore l'opération politico-financière de la bande à Maâti Monjib, historien à ses heures perdues et fondateur d'associations sans fards, la web-émission « 1 diner, 2 cons » se voulait à sa création en 2016 comme la seule agora marocaine « où l'on parle la bouche (et la tête) pleines ». Voulant faire du Ardisson low-cost, c'est en beuveries cathodiques qu'elle a saoulé son public, invitant à chaque cène, quelques marginaux autoproclamés membres de la société civile, tous éméchés avant le clap du « on tourne », et ronds comme des barriques à la montée du générique. Dernier triptyque du binôme Youssef El Mouedden et Amine Belghazi, tels grassouille et tartampion, celui baptisé « la fresque des nihilistes » qui a fait un flop retentissant sur la Toile. Réalisée pour dénigrer artistes, Makhzen, pouvoir économique, classe politique et même ce peuple ingrat qui ne veut pas les écouter, « l'émission des buveurs » a réuni Ahmed Benchemsi, l'exilé droit-de-l'hommiste volontaire sous la cape américaine du prince Moulay Hicham, Omar Radi, séducteur professionnel des ONG étrangères et de ses mécènes, Aadel Essaadani, dont « Racines » ne remet pas de bilans à ses financeurs, Barry, chanteur oublié de la sous-scène casablancaise, Jawad El Hamidy, marchand de sable de la cause religieuse, Rachid Aourraz, professeur de fac effacé aux théories fumeuses. Sans fil conducteur, dépareillé, obscur et d'une immaturité confondante, le soi-disant débat des élites d'arrière-salles gauchisantes s'est transformé en série de fadaises où chiffres imaginaires, faits sortis de leur contexte, amalgames historiques, portes ouvertes enfoncées, ont transformé la table en comptoir de bar malfamé. Visages rougis, regards exorbités et verbe véhément mais indécis, les renégats du Net ont étalé quelques élucubrations jusqu'à la nausée. Mêlant les événements, invectivant la moindre dérobade de l'un d'entre eux, leur cirque numérique a enfanté un fatras de débilités sur la trajectoire du Maroc, ses enjeux, tordant le cou à la réalité vécue par des millions de Marocains qui n'ont que faire de ces franco-darijaires biberonnés aux manuels du Che et rêvant tous du Grand soir qu'ils prophétisent depuis leur adolescence. Rien n'est trop laid à leurs yeux d'enfants gâtés d'Internet qui crachent dans la soupe, et débitent leurs enfantillages, bafouillent des mots érudits pour bomber le torse en s'envoyant lampées de bière dans le gosier. Du pur nombrilisme typique de la petite gauche bobo qui court les estaminets de Rabat et Casablanca, clope au bec pour faire alternatif. Bidonnage et coups de mentons ont montré à quel point ces narcissiques sans public doivent comprendre que leurs monologues pseudo-intellos n'en font pas des militants ni encore moins des savants réformateurs. A la poubelle de l'Histoire, comme disait l'autre.