Depuis le 26 décembre, l'association Racines est condamnée à la dissolution pour avoir hébergé le tournage de la web-émission «1 dîner 2 cons» dans ses locaux. Il s'agit d'une première, surtout qu'une telle mesure n'est prévue que par un seul article, sur la base de preuves. Au tribunal de première instance de Casablanca, le procès aura duré le temps de trois séances d'audience. A leur issue, l'association Racines a été condamnée à la dissolution pour avoir hébergé le tournage d'un épisode en trois parties de la web-émission «1 dîner 2 cons». Animé par Amine Belghazi et Youssef El Mouedden, l'épisode réparti en trois volets et intitulé «L'épopée des nihilistes» a été mis en ligne en septembre dernier. L'argumentaire du jugement sera rendu cette semaine, l'association souhaitant réagir officiellement après sa réception. Cette affaire est basée sur la demande du préfet des arrondissements Casablanca – Anfa. Obtenue par Yabiladi, une motion du parquet reproche à l'association d'avoir organisé une activité en dehors de ses objectifs. Elle relève l'expression de prises de position politiques ainsi que des propos tenus par le journaliste Omar Radi, invité à l'émission, où il accuse le ministère de l'Intérieur de «corruption» dans les projets de l'Initiative nationale pour le développement humain (INDH). Répondant au tribunal dans un écrit dont Yabiladi détient une copie, l'avocat de l'association, Abdeslam Bahi, rejette la motion en expliquant que «rien ne prouve dans ce dossier la qualité d'organisateur donnée à Racines». Il appelle également le parquet à procéder à une expertise qui prouvera le non-fondement de la dissolution et confirmera que «cette structure n'est ni l'auteure de l'enregistrement, ni responsable de la chaîne YouTube l'ayant mis en ligne». La qualité d'organisateur «est sans preuves» «Le ministère de l'Intérieur a considéré que puisque Racines a mis son local à la disposition des animateurs de la web-émission ''1 dîner 2 cons'', elle organise une activité qui est en dehors de ses objectifs», nous explique une source dans l'entourage de l'association. «Selon l'article 7 de la loi sur les associations, le parquet général peut décider de dissoudre une structure sur cette base, sauf que la web-émission n'est pas organisée par Racines et se tient à chaque fois dans un endroit différent», ajoute-t-elle. Pour notre interlocuteur ayant requis l'anonymat, «ce cas traduit une grande contradiction dans la loi : d'un côté, celle-ci permet la dissolution d'une association si elle tient une activité en dehors de ses objectifs inscrits dans ses statuts. De l'autre, elle n'interdit pas de mettre à la disposition d'autres structures son local pour la tenue d'un évènement, inclus dans ce cas-là dans le rapport des demandeurs de l'espace et non pas de l'hôte». C'est ainsi qu'il insiste sur la «différence singulière entre ''organiser'' ou ''héberger'' une activité». «Par ailleurs et contrairement à ce qu'avancent certains médias sur les raisons de ce procès qui aurait comme base juridique le non-renouvellement du bureau de l'association, ces affirmations sont fausses puisque l'assemblée générale du nouveau bureau s'est tenue en avril 2018», affirme encore notre source. Pour ces raisons, Abdeslam Bahi considère qu'il y a eu des manquements dans la procédure. Contacté par Yabiladi, il réitère qu'«une activité tenue dans les locaux d'une association n'enclenche pas la responsabilité de cette dernière dans l'organisation». Il donne comme exemple les assemblées générales d'ONG tenues dans une autre structure, ou encore le prêt d'espaces pour les besoins d'une rencontre associative. «Cependant, l'échange au tribunal n'est pas allé dans ce sens», déplore-t-il en indiquant que «le parquet n'a pas répondu à ces remarques». L'avocat relève par ailleurs qu'«aucune enquête sur l'association n'a été menée en amont». En dehors de l'expertise technique, Me Bahi nous dit en effet avoir exigé «une investigation sur la base des rapports d'activité de Racines pour affirmer ou infirmer que l'enregistrement de cette émission est organisé par ladite structure. Mais là encore, la requête est restée sans réponse.» Un procès inédit La décision en première instance de dissoudre Racines en tant qu'association culturelle pour avoir accueilli l'enregistrement d'une web-émission représente une première. Une situation à laquelle jamais une structure ne s'est confrontée, selon Ahmed El Haij, président de l'Association marocaine des droits humains (AMDH). Celui-ci rappelle à Yabiladi qu'«à Sidi Ifni, une association dédiée à la mémoire de la ville et créée en 2011 a été dissoute en 2015, après avoir demandé à l'Espagne d'honorer son engagement datant du retrait des Ibériques de la région et d'accorder la nationalité espagnole aux habitants locaux». En dehors de cela, «une structure à but non-lucratif et surtout à vocation culturelle comme Racines n'a jamais été sous le coup d'une pareille décision». «En matière de libertés publiques, il faut dire que notre législation est minée de contradictions, d'abord dans son arsenal juridique, puis avec les traités internationaux», fait remarquer le militant. Par ailleurs, Ahmed El Haij souligne qu'au sein d'une association à caractère plus politique comme l'AMDH, «on n'a jamais été condamné à la dissolution par décision du juge, même dans les temps les plus difficiles politiquement». Cependant, «certaines sections locales de l'ONG se heurtent à un refus, lorsqu'elles veulent déposer leur dossier de renouvellement, ou peinent à obtenir le récépissé», affirme-t-il, indiquant que «28 décisions de justice ont même été favorables à l'association, mais elles n'ont pas encore été activées». Pour avoir visionné une partie de l'émission «1 dîner 2 cons», le président de l'AMDH dit n'avoir «relevé aucun propos choquant». C'est ainsi que pour lui, «l'existence de structures culturelles à l'image de Racines ne doit aucunement être contrainte, tant qu'elle n'incite pas à la haine, ne se base pas sur l'exclusion et ne promeut pas les discriminations». «Le fait qu'une association accueille dans ses locaux une activité qui entre dans le cadre de la liberté d'expression n'est pas un argument valable pour la dissoudre ; nous espérons que la justice reverra sa décision lors d'un procès en deuxième instance», conclut-il. Article modifié le 2018/12/31 à 19h53