Le verdict rendu mardi à la septième chambre de la cour d'appel de Casablanca ne passe pas auprès des familles des condamnés. Des associations de défense des droits humains pointent du doigt «un procès politique», avec ses lourdes peines allant jusqu'à 20 ans de prison ferme. Tombé dans la nuit du mardi au mercredi, le verdict de la septième chambre à la cour d'appel de Casablanca a eu l'effet d'un coup de massue. Familles des condamnés, instances politiques et acteurs associatifs dénoncent un jugement «disproportionné» par rapport aux faits, et qui doit être rectifié en recours pour obtenir la liberté des détenus. C'est que ce pensent les présidents de l'AMDH, de l'ONDH et de l'Initiative citoyenne pour le Rif, contactés par Yabiladi au lendemain de ce jugement qui a provoqué la colère et dont le procès a longtemps divisé. Un «échec» des réformes politiques et juridiques Les condamnations des 53 prévenus, dont Nasser Zefzafi qui écope de 20 ans de prison ferme, rappellent «de manière inquiétante le passé des procès politiques au Maroc», observe Ahmed El Haij, président de l'Association marocaine des droits humains (AMDH). «Justement, l'époque des procès politique n'a jamais été révolue», souligne le militant. «Nous pensions qu'à travers ce procès, la justice ferait preuve d'indépendance. Mais à la suite de ce verdict, nous avons ressenti une profonde déception.» Après les travaux de l'Instance équité et réconciliation (IER), la réforme constitutionnelle et la structuration de plusieurs institutions liées au pouvoir judiciaire, «la justice devait s'affranchir de la pression de l'exécutif», nous confie El Haij. «Or, avec de telles sentences, il est clair que ce n'est pas le cas, ce qui fait que les choses ont continué comme avant». Pour notre interlocuteur, ce procès est celui de «citoyens marocains qui ont manifesté pendant plusieurs mois de manière pacifique pour défendre leurs droits élémentaires». Au final, «ils ont été poursuivis sur la base d'accusations chimériques, pour subir des condamnations à des peines de prison astronomiques», déplore le président de l'AMDH. «Tout ceci n'est pas rassurant. Ça nous interpelle fortement, une fois de plus, sur les questions de la démocratie au Maroc et sur la justice», ajoute-t-il, estimant que «ces verdicts nous ramènent à l'échec du processus démocratique et du travail fait dans ce sens en période transitionnelle». «C'est l'une des images les plus frappantes qui prouve que la justice est encore responsable des violations des droits humains au Maroc, comme nous le rappelons souvent au sein de l'AMDH et comme le rapport de l'IER l'avait exactement soulevé, dans le temps.» Des «injustices» du procès «En tant qu'observateurs présents à de nombreuses séances, nous avons réellement constaté que c'était le ministère public qui modérait les audiences de ce procès et non pas la présidence du tribunal», ajoute Ahmed El Haij. C'est ainsi qu'il a rejoint les avocats ayant défendu les prévenus du Hirak, et qui ont précédemment souligné que «les requêtes du parquet étaient prises en compte, tandis que celles de la défense se confrontaient plus fréquemment à un rejet catégorique». Ahmed El Haij estime qu'en outre, ces condamnations traduisent les stigmates d'un appareil judicaire «qui n'est pas encore emprunt des valeurs de la démocratie et de la protection des libertés». Au regard du caractère politique de ces poursuites, «la solution la plus équitable pour réhabiliter les condamnés ne peut être que politique», indique le militant. Une solution équitable, c'est ce à quoi appelle également Mohamed Benaïssa, président de l'Observatoire du Nord pour les droits de l'Homme (ONDH). Contacté par Yabiladi, il estime que «les audiences ont été entachées par de nombreuses violations visant les militants du Hirak du Rif». «Lorsque des citoyens manifestent pacifiquement pour leurs droits et se retrouvent poursuivis et condamnés de la sorte, c'est symptomatique d'une position dans laquelle l'Etat ne fait qu'aggraver une situation de crise, au lieu de lui trouver des solutions d'ordre économique et social. C'est réellement un procès politique parce que les condamnés n'ont commis aucun crime qui mériterait d'aussi lourdes peines.» Pour Mohamed Benaïssa, l'espoir réside dans «un recours devant la justice qui pourra blanchir les prévenus, permettre leur remise en liberté et, en guise de dénouement, finir sur une réponse positive aux revendications des habitants de la région. Ce sera un soulagement et une issue favorable pour tout le monde». Des initiatives de dialogue ont été suspendues Quelques jours après les premières arrestations dans les rangs du Hirak à Al Hoceïma, l'été dernier, le militant Mohamed Nechnach avait annoncé la création de l'Initiative civile pour le Rif. Le collectif rassemble des acteurs individuels et associatifs qui avaient proposé une solution de médiation, pour débloquer la crise. Cependant, le dialogue est resté au point mort. Alors que Dr Nechnach s'est rendu dans la région, à la rencontre des habitants, des familles des détenus, puis de ces derniers à Casablanca, ses appels à l'implication des pouvoirs publics dans le processus sont restés lettre morte. Ainsi, l'ancien président l'Organisation nationale des droits de l'Homme (OMDH) confie à Yabiladi que «les autorités n'ont jamais été à l'écoute de cette initiative». Au lendemain du verdict visant des prévenus qu'il avait lui-même rencontrés et écoutés, il nous fait part de son étonnement face à une décision de justice «disproportionnée par rapport aux faits». Il rappelle également que «les jeunes du Hirak ont manifesté en défendant des droits sociaux et économiques», pour se heurter ensuite à «de très lourdes charges où leur implication n'est pas prouvée». Militant de longue date, Dr Nechnach observe quelques similitudes entre ce procès et ceux ayant marqué l'histoire du Maroc dans les années 1970, avec quelques nuances : «Le contexte n'est pas le même. Nous vivions à cette époque-là une dictature très dure. Mais en effet, ce procès rejoint en partie ceux du siècle dernier, dans la mesure où ils revêt un caractère purement politique.» Pour Mohamed Nechnach, ces condamnations se basent sur des accusations utilisées auparavant pour brimer les contestations sociales. C'est pourquoi, il appelle à une intervention étatique afin que «les détenus du Hirak soient amnistiés dans les prochains mois, tourner cette page et réaliser une réconciliation concrète au Maroc et avec le Rif».