L'actualité brulante et bouleversante, nous amène chaque jour à nous indigner un peu plus. Les morts en Méditerranée se pleurent par milliers. La méditerranée, cette mer de lien, de liant entre deux continents, cet espace de confluence et de rencontre est devenue aujourd'hui, une fracture, une rupture, une frontière, un cimetière. Quotidiennement des femmes, des hommes et des enfants y laissent leurs vies. Alors que des dizaines de milliers de citoyen.e.s ont montré leur solidarité à l'Aquarius samedi 6 octobre 2018 : réaffirmant haut et fort leur devoir d'humanité ainsi que le droit universel à la mobilité,l'inhospitalité et l'inaction des autorités politiques européennes se sontpoursuivies. L'Italie, l'Espagne, et la France se renvoient l'Aquarius telle une balle de ping-pong. La «crise des migrants», ainsi nommée par l'Europe, au-delà d'une crise de solidarité est en réalité une véritable crise des valeurs qui fondent l'UE. Ces mêmes Etats qui, chaque jour, renforcent leur politique migratoire répressive et sécuritaire, à coups d'accords de réadmission, d'externalisation des frontières, d'aide au développement auprès des pays voisins du Sud ; renversant ainsi le discours en accusant cette solidarité associative et citoyenne de complices et de responsables des maux de l'immigration. En parallèle de cette déambulation en mer de l'Aquarius, au sein même des pays du Sud de la Méditerranée, les inquiétudes sont nombreuses. En Algérie, des centaines de migrants subsahariens sont violentés et renvoyés aux frontières. En Tunisie, des milliers de migrants subsahariens mais aussi tunisiens, fuyant un pays après-révolution qui souffre de manière criante d'un grand manque d'opportunités économiques et sociales pour les jeunes qui n'ont d'autres choix que d'affronter la mer. Au Maroc, on note de nombreuses réadmissions «à chaud» de migrants marocains et subsahariens renvoyés par l'Espagne. Dans ces pays, les images des forces de l'ordre raflant et internant des subsahariens participent à renforcer le racisme. En Libye, des images de marchés aux esclaves choquent plus que jamais et nous rappellent que l'humanité est divisée en deux :ceux qui surveillent, contrôlent, et répriment et ceux qui quittent des pays en guerre, des Etats répressifs, des pays oppressifs en manque de souffle et de liberté ; ceux qui n'ont pas besoin de visa pour circuler librement, et ceux qui sont assignés à résidence par ces mêmes Etats et sont interdits de fait à un droit élémentaire qui est celui de la mobilité. Par sa politique répressive, sécuritaire, policière, l'Europe, participe directement à la longue et morbide liste des drames que les médias rapportent quotidiennement. Qu'en est-il du Maroc ? Dans ce contexte, le Maroc nous interpelle particulièrement. Car le Maroc, souvent montré en exemple, accueille en décembre plusieurs événements mondiaux en lien avec les migrations : le GFMD, l'adoption du pacte mondial sur les migrations, les Journées de la société civile et le People Global Action. Cette dernière décennie, le Maroc a résisté aux accords avec l'Union Européenne qui lui aurait imposé encore plus fortement à renvoyer les migrants de son territoire vers leurs pays d'origine. Depuis 2013, un rapport du CNDH pour une politique d'immigration et d'asile radicalement différente a permis d'une part de régulariser des milliers de personnes, mais aussi de les accompagner à leur «intégration» avec une véritable stratégie politique et migratoire du pays. Ces dernières années le Maroc, a montré une image positive et ouverte d'un pays qui voulait mieux accueillir cette population, qui se voulait être en «étape» au Maroc et plus seulement en transit (M. Alioua), et qui ont fini par rester car eux-mêmes le voulaient. Aujourd'hui, le Maroc déplace de force des centaines de migrants subsahariens du Nord vers le Sud du Maroc pour les éloigner de la frontière Maroco-européenne. Faisant fi des droits humains les plus élémentaires et en complète contradiction avec sa propre politique migratoire ! C'est une première brèche dans sa résistance à la pression de l'UE. Ces dernières semaines, ce Maroc frappe, réprime, brutalise, expulse et tue. Au même moment où Hayat, cette jeune femme de 22 ans étudiante à l'université décède sous les balles de la Marine Royale, une vague violemment répressive, avec des rafles de migrants, des arrestations et expulsions brutales se déroulent partout dans le pays. Hayat, miroir d'une société marocaine en mouvement Hayat, qui veut dire «vie» en arabe est morte il y a quelques jours au Maroc. Elle avait 22 ans, elle faisait des études en droit à l'université de Martil, et elle rêvait d'un mieux vivre, d'un vent de liberté qu'elle n'arrivait pas à assouvir dans son propre pays. Que nous apprend la mort de Hayat ? D'abord que les Subsaharien.ne.s ne sont pas les seuls à partir du Maroc. Les Marocain.e.s continuent à embarquer. Ensuite que les femmes partent. Nous avons longtemps focalisé sur des figures masculines de «harragas», elles sont aussi féminisées (C. Arab). Enfin, que ce ne sont pas les moins éduqués, les plus pauvres qui partent. Les diplômé.e.s et les classes moyennes font partis des candidat.e.s à l'émigration. Hayat nous apprend aussi, que le Maroc qui n'avait plus tiré sur des migrants depuis 2005, change à nouveau d'approche migratoire, pour aller encore une fois vers plus de répression comme lors de la décennie 2000. PGA-Maghreb : vers plus de dignité, de liberté de circulation et d'humanité Les membres du PGA-Maghreb s'interrogent sur les multiples visages complexes et duales de cette société maghrébine : des institutions violentes et répressives envers ces migrants qui interdisent et criminalisent les départs en migration, et un Maroc et une Tunisie qui se veulent ouverts et accueillants. Dans quelques semaines, le Maroc accueillera les représentants des Etats du monde qui se réuniront à Marrakech pour faire adopter un pacte mondial qui s'apparente à une mise à mort de la Convention Internationale sur les droits des migrants et des demandeurs d'asile. L'accueil des événements mondiaux sur les migrations de Marrakech ne doivent surtout pas occulter que la politique migratoire marocaine nous inquiète et nous interpelle, que celle du Maghreb est aussi violente, et que le contexte européen continue d'instrumentaliser ces pays du Sud par des financements et des aides au développement en échange de surveillance des frontières et d'expulsions de migrants. Et que le pacte mondial va accentuer les inégalités de mobilités tout en culpabilisant notre devoir d'humanité et de dignité. C'est pour cela que, nous, membres du PGA Maghreb, demandons aux pays du Maghreb que : - Cesse les rafles, les expulsions aux frontières des migrants - Il y ait une enquête indépendante sur les conditions des tirs qui ont provoqué le décès de Hayat au Maroc et plusieurs blessés graves - L'aide aux migrant.e.s ne soit ni un délit ni un crime. Nous, membres du PGA Maghreb, demandons à l'Europe : - L'arrêt du chantage et de l'instrumentalisation de l'aide au développement aux pays du Sud - Que notre devoir d'humanité passe par l'accueil de l'Aquarius pour un meilleur respect des droits des migrants et de leur dignité - Que cesse la criminalisation des migrant.e.s et de celles et ceux qui leur viennent en aide, - Que le droit à la mobilité soit réaffirmé comme un droit fondamental tel que signifié dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Premiers signataires Fatima Ait Ben Lmadani, sociologue, Rabat Mehdi Alioua, sociologue, Rabat Chadia Arab, géographe, Angers Riadh Ben Khalifa, historien, Tunis Hassan Bousetta, sociologue, Liège Zoubir Chattou, sociologue, Meknès Abdelfattah Ezzine, sociologue, Rabat Nabila Moussaoui, anthropologue, Oran