Depuis 2003, l'accord de réadmission des migrants en situation irrégulière que l'Union européenne veut voir signer par le Maroc est considéré comme une scandaleuse façon de se défausser de ses problèmes. Depuis 2003, l'accord de réadmission ne serait-il pas plutôt un excellent moyen de peser dans la négociation ? Le sommet Union Européenne-Turquie annoncé pour la fin du mois de novembre 2015 sera l'occasion de discuter des 3 milliards d'euros d'aide que l'UE envisage d'accorder à Ankara et de l'avancement d'un an de «la mise en œuvre de l'accord de réadmission des ressortissants de pays-tiers». Il autorisera l'Union européenne à renvoyer en Turquie tous les migrants en situation irrégulière dont on pourra prouver qu'ils sont passés par elle pour arriver sur le territoire européen. Ce même accord que l'UE veut signer à tout prix avec le Maroc. Etant donné ce que l'Union européenne est prête à débourser en aide et prêts pour obtenir la collaboration des Etats voisins en matière de migration, l'accord réadmission – considéré généralement au Maroc comme une scandaleuse façon de se défausser – ne serait-il pas dans ce cas une bonne affaire : un argument de négociation de poids face à une Union européenne obsédée par les immigrés ? 115 millions d'euros en 2002 En juin 2013, le Maroc signait un Partenariat pour la mobilité avec l'UE où il s'engageait à négocier l'accord de réadmission des ressortissants de pays tiers. Il en discute en fait depuis 2003, année du tout premier round de négociation. En 2002, le Conseil européen approuve une enveloppe financière indicative de 426 millions d'euros dans le cadre du Programme indicatif national MEDA (2002-2004) pour le Maroc, dont 115 millions d'euros sont dévolus à la problématique migratoire. L'émigration vers l'Espagne est alors en forte augmentation depuis une dizaine d'année et les Subsahariens commencent à se joindre au mouvement. Cependant, «les contreparties financières, cédées par l'Union européenne pour obtenir la signature de l'accord de réadmission par le Maroc sont difficiles à identifier car les budgets alloués au Maroc ne sont pas décidés par la direction des affaires intérieures qui est celle qui négocie cet accord avec le Maroc, nuance Nora el Qadim, chercheure en Sciences Politiques à l'université de Namur en Belgique et auteure de «La politique migratoire européenne vue du Maroc : contraintes et opportunités». Le Partenariat pour la mobilité signé en 2013, ne vaudra au Maroc que 10M€ d'aides européennes et encore : nombres de projets recensés dans le Partenariat sont déjà mis en œuvre dans d'autres cadres. Pour cet appui budgétaire comme pour tous les autres «c'est le contexte qu'il faut voir. L'enjeu, ce n'est pas simplement l'accord de réadmission, mais tout ce qu'il y a autour, la coopération d'un pays dans la lutte contre les flux migratoires», insiste Caudia Charles, juriste et chargée d'étude au Groupe d'Information et de Soutien aux Immigrés (Gisti). Facilitation conditionnée des visas Plus que des financements, « les Marocains ont demandé la facilitation des visas bien avant que l'Union européenne ne la propose car il y a côté marocain l'idée - à terme - de la libre circulation », rappelle Nora El Qadim. Elle fait aujourd'hui partie des sujets à négocier dans le cadre du Partenariat pour la mobilité. La Turquie a par comparaison obtenu en principe l'entrée sans visas de ses ressortissants sur le territoire européen à partir de 2017. «Aujourd'hui, le Maroc négocie très dur pour que la facilitation des visa soit négocié en parallèle et pas conditionné», explique Nora El Qadim. Hors situation de crise exceptionnelle comme en connaît la Turquie aujourd'hui, le Maroc ne devrait logiquement rien gagner de plus dans cette affaire. «Les négociateurs de l'accord communautaire n'ont à leur grand regret que peu de choses à donner en retour de l'accord de réadmission, explique Nora El Qadim, car si pour les gens des ministère de l'Intérieur de chaque Etat membre cet accord est très important, pour les diplomates, il faut hiérarchiser les priorités. Ils ne bloqueront jamais une négociation sur un accord économique majeur [ALECA, ndlr] pour quelques milliers de migrants en situation irrégulière.» Même l'Espagne et la France, farouches promoteurs des accords de réadmission, ont peu à peu abandonné la perspective de l'accord communautaire pour se concentrer sur la coopération bilatérale. 1500 personnes réadmises en Ukraine en 2 ans Si le Maroc a déjà arraché tout ce qu'il pouvait négocier qu'aurait-il à perdre à signer finalement cet accord comme l'Ukraine et la Turquie avant lui ? Les conséquences de la signature par l'Ukraine – qui a le même rapport à l'Union européenne que le Maroc – sont assez réduites si l'on en croit les rares chiffres disponibles. «En deux ans de mise en application de l'accord [de réadmission communautaire, ndlr] (2010-2011), le State Border Service de l'Ukraine a réadmis environ 1500 personnes – 57,4% d'entre elles sont Ukrainiennes, 28,8% d'entre sont originaires des autres pays de la région et 13,8% sont des ressortissants des pays en développement d'Asie et d'Afrique», indique Oleksii Pozniak dans une étude publiée par CARIM, en 2013, intitulée «Readmission, Voluntary Return and Reintegration in Ukraine ». Par ailleurs, «les centres de rétention qui ont été construits ne sont pas consécutifs à la signature de l'accord de réadmission, insiste Claudia Charles. Ils existaient bien avant. Si le Maroc n'en construit pas aujourd'hui, c'est qu'il n'en veut pas car la rétention s'organise sans installer des barbelés.» Un accord inapplicable et symbolique La signature de l'accord de réadmission n'aurait donc que relativement peu d'effet sur le Maroc. «L'accord de réadmission devient symbolique. Je pense que le Maroc va finir par accepter de signer et l'Union européenne va pouvoir dire qu'elle a enfin obtenu ce qu'elle recherchait pour lutter contre l'immigration irrégulière. Le Maroc pourra dire ce qu'il a obtenu en échange, de quelle façon il est parvenu à faire monter les enchères, analyse Claudia Charles, mais le Maroc fera avec cet accord comme il le fait déja avec l'Espagne. » «En vertu de l'Accord de l'Espagne et du royaume du Maroc relatif à la circulation des personnes, au transit et à la réadmission des étrangers entrés illégalement, sur les deux dernières années, seuls deux cas se sont transformés en réadmissions acceptées par le Maroc», rappelait le juge espagnol Emilio Lamo Espinosa l'an dernier. Les expulsions dites «à chaud», hors de toutes procédures légales, par la petite porte des barrières de Sebta et Melillia sont encore ce qui se fait de plus rapide. «Dans les faits, cet accord reste difficile à utiliser parce qu'il y a toute une procédure à suivre pour respecter les droits de l'homme», assurait Rupert Joy, l'ambassadeur de l'Union européenne au Maroc, en février 2015.