Même en vivant loin du Maroc, Mohamed ben Abdelkrim el-Khattabi se donna les moyens de croire en l'indépendance du Maghreb arabe. C'est ainsi que depuis le Caire, l'émir du Rif créa le Comité de libération du Maghreb arabe, ambissionnant d'unir les forces pour faire front contre l'hégémonie coloniale. Après avoir échappé aux Français, Mohamed ben Abdelkrim el-Khattabi (1882 – 1963) trouva refuge au Caire. Là-bas, il réfléchit à la stratégie la plus efficace pour repousser l'occupation française de l'Algérie et le Protectorat du Maroc et de la Tunisie, en prenant contact avec les dirigeants du mouvement national de chaque pays. Dans le livre de l'historien Zaki Moubarak, intitulé «Mohamed V, ben Abdelkrim el-Khattabi et l'indépendance du Maroc», le chercheur cite Mohamed ben Abdelkrim el-Khattabi pour évoquer sa détermination à créer un mouvement régional fédérateur : «Tous ceux à qui j'ai parlé de ce projet – chefs de partis et représentations partisanes au Caire – ont dit être prêts à s'y engager. Ils ont exprimé leur conviction totale pour le double d'effort, afin d'obtenir notre indépendance.» Il ajoute alors : «Nos appels à l'union ont porté leurs fruits. J'ai trouvé un accord avec les présidents et les délégués des partis politiques, pour constituer un comité de libération du Maghreb arabe. Le projet se fera avec tous les partis nationalistes de Tunisie, d'Algérie et du Maroc, partant du principe que cette région est indissociable du monde arabe.» La même source souligne que ben Abdelkrim el-Khattabi refusait catégoriquement d'ouvrir le dialogue avec le pouvoir colonial pour arriver à son objectif. En effet, il était convaincu que l'indépendance ne pouvait être arrachée que par la force et par les peuples de la région qui unissaient leurs efforts. Le Caire, point de chute des leaders de l'indépendance maghrébine Le 22 février 1947, l'émir créa officiellement le Comité de libération du Maghreb arabe. Au Maroc, l'association regroupait des leaders du parti de l'Istiqlal, dont Allal El Fassi et Abdelkhalek Torres. La Tunisie était représentée par Habib Bourguiba du Néo-Destour, et l'Algérie par Chadli Mekki du Parti du peuple algérien (PPA). Le congrès constitutif du Comité se tint ainsi au Caire, du 15 au 22 février 1947. La capitale de l'Egypte, elle, devint un véritable point de chute pour les leaders arabes et les grandes figures de l'indépendance des Etats de la région. En assemblée, les participants à ce rendez-vous, qui marqua un tournant, s'engagèrent à «coordonner les actions et unir les efforts pour libérer les Etats de la colonisation». «Ils étaient unanimes à voir en Mohamed ben Abdelkrim el-Khattabi l'homme idéal pour prendre les rênes du Comité, considérant qu'il était un symbole de lutte en Afrique du Nord.» Zaki Moubarak Dans le texte fondateur de l'association, selon Zaki Moubarak, ben Abdelkrim el-Khattabi se distingua par un propos fort éloquent : «Si les Etats colonisateurs, dans leur tort, avaient besoin de soutien pour asseoir leur hégémonie, nous avons encore plus besoin de nous unir et nous avons plus raison de recouvrir notre liberté en sapant ce pouvoir colonial, qui nous a divisés et spoliés de nos biens, en ayant le dernier mot dans la gestion de nos vies quotidiennes. C'est ce pouvoir-là qui a fait barrage au développement de nos pays et détruit nos valeurs fondatrices.» El-Khattabi et l'armée maghrébine A travers ce Comité, el-Khattabi réussit à créer un noyau de l'Armée de libération maghrébine, en envoyant des missions de formation dans chaque pays. Ainsi et d'après l'ouvrage de Zaki Moubarak, l'ancien émir du Rif commença à former des moudjahidine à partir de 1948, jusqu'au début de la Révolution algérienne (1954). Cette année-là, il initia des centres de formation au Caire et en Libye. Mohamed ben Abdelkrim el-Khattabi espérait créer une relève d'officiers militaires, chargés de préparer et de mener une révolution armée au niveau du Maghreb. La première promotion fut envoyée en formation en Irak. En 1951, des membres du Comité furent envoyés à Benghazi pour mettre en place une base militaire. Une mission qui fut confiée à El Hachemi Taud, Hammadi Laâziz et Abdelhamid El Oujdi, également chargés à cet effet de prendre contact avec les directions des partis dans tous le Maghreb. A travers ces démarches, el-Khattabi mettait en application les termes du texte fondateur du Comité : «Nous affronterons nos envahisseurs unis, constitués de 25 millions de personnes ayant un même objectif et une même vision de l'indépendance totale du Maghreb arabe. Nous allons œuvrer à atteindre cet objectif en employant tous les moyens possibles. A partir d'aujourd'hui, le pouvoir colonisateur ne trouvera plus aucune manière efficace de nous faire plier car notre cause est commune et elle nous rassemble face aux occupants. Nous ne nous contenterons de rien à part une solution d'indépendance, qui garantira notre souveraineté.» Bien qu'il ne ménagea aucun effort pour arriver à cette fin, le Comité de libération du Maghreb arabe montra les signes d'un certain essoufflement, au début des années 1950, notamment à cause de mésententes internes entres leaders de l'indépendance. Assistant au début de la fin d'un projet qui marqua l'histoire de la région, el-Khattabi déplora de voir un tel projet en arriver là. Il est cité par Zaki Moubarak dans ce sens : «J'ai eu la malchance de vivre pour voir les œuvres de mes idées se dissiper de la sorte, les unes après les autres. L'opportunisme a fait de notre cause nationale un fonds de commerce. Il a trouvé parmi les membres de notre comité les personnes qui s'occuperont d'émietter ce qu'il en reste et de détruire notre unité…»