Les détenus franco-marocains emprisonnés au Maroc ne sont plus transférés en France en raison de la suspension des accords de coopération judiciaires entre les deux pays. Ils envisagent de recourir à la grève de la faim pour être entendus. Parmi eux, plusieurs se disent victimes de tortures. Les Franco-marocains emprisonnés au Maroc envisagent à nouveau d'entamer une grève de la faim. Entre 10 et 20 d'entre eux réclament le rétablissement des accords de coopération judiciaires entre le Maroc et la France, suspendu depuis plus de deux mois suite la convocation du patron du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi, pour "torture" et "complicité de torture" par un juge d'instruction français à Paris. «Les transfèrements des prisonniers français au Maroc vers la France sont bloqués», explique Laeticia la compagne de l'un des détenu. «Ils attendaient la venue de Christiane Taubira, mais elle n'est apparemment plus d'actualité», regrette la jeune femme. Son compagnon a été condamné pour trafic de stupéfiants mais il clame son innocence et affirme avoir été torturé à Temara par des agents qui l'accusaient d'être terroriste. «Il a constitué un dossier de transfèrement au Maroc qui a été accepté par la France. Son dossier devrait être à présent renvoyer au Maroc pour un accord définitif, mais il est bloqué à cause de la suspension des accords», explique Laeticia. Effet boomerang Le dépôt d'une convocation au patron de l'anti-espionnage marocain a donc eu un effet boomerang inattendu sur ceux là mêmes qui accusent le Maroc de torture. «J'ai été transféré en France l'été dernier et je serai libéré dans quelques semaines. Quand j'étais au Maroc je ne pouvais pas porter plainte pour torture alors que je demandais au même moment mon transfèrement, c'est pour ça que je ne l'ai fait qu'une fois arrivé en France», explique Mustapha Naïm. Sa plainte, ainsi que celle Adil Lamtalsi et du Sahraoui Naâma Asfari, ont eu pour conséquence indirecte de bloquer les transfèrements du Maroc vers la France. «Nous ne pouvions prévoir la réaction du Maroc, estime Hélène Legeay, responsable des programmes Maghreb et Moyen-Orient à l'association Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture (ACAT). La suspension de ces accords de coopération sont dommageables pour les prisonniers eux mêmes, mais elle a un côté positif : on voit qu'on appuie là où ça fait mal, que ces plaintes les gênent. M. Hammouchi fait certainement un excellent travail dans la lutte contre le terrorisme et contre le trafic de stupéfiants, mais tout ne peut pas être fait au nom de cette lutte.» La justice française compétente L'ACAT s'est portée partie civile pour les trois Marocains mais pas Zacharia Moumni qui a déposé plainte pour torture de son côté. «Nous sommes régulièrement contactés par des détenus au Maroc ou par leur famille et nous mettons plusieurs mois à constituer un dossier : on écoute les témoins, on analyse le dossier pénal. Je me forge mon intime conviction sur un faisceau d'indices», explique Hélène Legeay. Sur la base de cette conviction, l'association ACAT s'est portée partie civile : puisque les deux premiers plaignants sont de nationalité française, l'instruction de leur affaire peut avoir lieu en France. Dans le cas de Naâma Asfari qui ne possède que la nationalité marocaine, «le code de procédure pénale français permet de porter plainte en France selon le principe de compétence universelle de la juridiction française en cas de crime grave», explique-t-elle. Selon ce principe du droit international, lorsqu'un crime d'une grande gravité est commis quelque part dans le monde n'importe quelle juridiction, qu'il s'en donne le droit, peut instruire et juger l'affaire. «Par ailleurs, l'épouse de M. Asfari est française. Elle a déposée plainte en tant que victime collatérale de la condamnation estimée injuste de son mari», ajoute Hélène Legeay. Plaintes du Maroc «Aujourd'hui, l'instruction des plaintes est toujours en cours. Nous n'avons pas été contacté par les autorités françaises et marocaines et la juge d'instruction nous a dit qu'elle n'avait reçu aucune pression», précise-t-elle. En revanche, le Maroc a annoncé par un communiqué du ministère de l'Intérieur qu'il mandatait des avocats en vue de «déclencher des poursuites judiciaires à l'encontre des auteurs de plaintes, mettant en cause de hauts responsables marocains pour des allégations de torture qu'ils savaient inexactes». «Nous avons appris, sans en avoir de confirmation officielle, que le Maroc a déposé plainte contre moi et contre Mustapha Naïm et Adil Lamtalsi pour diffamation pour des propos parus dans la presse suite à cette affaire», ajoute-t-elle. Puisque d'autres détenus franco-marocains en passe d'obtenir leur transfèrement en France affirment avoir été torturés par la police marocaine, il est probable que si les accords de coopérations judiciaires reprennent et avec eux les transfèrements vers la France, alors de nouvelles plaintes pour torture soient à nouveau déposées contre le Maroc.