Ancien syndicaliste et militant de gauche, devenu sociologue et écrivain, Mustapha Kharmoudi adresse une lettre ouverte à ses anciens «camarades», aujourd'hui à la tête du CCME. Ce connaisseur des questions liées à l'immigration leur reproche la gestion de l'instance consultative chargé des Marocains résidant à l'étranger. Cher Monsieur Ajbali, cher Monsieur El Yazami, Il fut un temps où j'aurais écrit : «mes très chers Driss», et cela aurait fait joli. C'était aux temps où nous nous appelions «camarades». Aujourd'hui, à la suite de la publication de cet article, je n'ai guère de peine à vous imaginer simuler le plus bel étonnement : «Kharmoudi ? C'est qui ce type ?». Et vous aurez raison, car je préfère, moi aussi, ne plu rien être et ne plus rien valoir à vos yeux. J'aurais même voulu ne rien avoir été pour vous. Mais, contrairement à vous, je ne sais pas effacer mon passé… Ni même faire semblant de l'avoir oublié. Est-ce parce que moi je n'ai pas honte de mon passé ? Allez donc savoir… Pourtant j'aurais bien voulu gommer quelques taches indélébiles de ce présent qui souille mon passé, qui le souille par des comportements actuels indignes des jeunes que nous avions été. Certes c'était il y a très longtemps, c'était avant que l'oubli n'aie jeté du sable sur vos souvenirs. Il y a comme qui dirait «prescription», mais tout de même, nous avions été jeunes et cela ne devrait jamais s'oublier ! Si ? dites-vous. Ah non, non ! Ce n'est pas possible : à moins que je ne sois devenu aujourd'hui fou à lier, je confirme que vous et moi – oui, vous aussi - nous avons été jeunes, c'est certain, et même si cela remonte à bien loin, aux temps ou se compromettre lâchement était encore honteux… Les débuts du CCME Mais laissons de côté cette histoire ancienne. Je vous le concède : elle n'intéresserait plus personne de nos jours, et beaucoup des protagonistes sont déjà six pieds sous terre, à l'heure qu'il est... 2006, c'est plus récent, n'est-ce pas ? En 2006 donc, lorsqu'il avait été question de mettre sur pied une instance représentant les Marocains de l'étranger, j'avais pensé que c'était une «bonne idée» : il faut bien un porte-voix pour faire entendre les revendications de ces femmes et de ces hommes qui vivent loin du Maroc, et participent hautement à l'économie du pays sans guère être entendus par l'Etat marocain. Après tout, les Etats portugais et espagnol (et bien d'autres Etats) avaient réussi à impliquer leurs émigrants dans la vie de leur pays, grâce notamment à la mise sur pied de structures représentatives et adéquates… Mais malgré ce préjugé favorable, en «bon marocain», en bon bouseux devrais-je dire, je me méfiais des nuisances du Makhzen et de ses tentacules. Je m'étais donc tenu à l'écart, à bonne distance de ce que vous apprêtiez à entreprendre. Toutefois, afin de ne rien condamner par avance, j'avais publié un article dans lequel j'exprimais mon vœu de réussite à ceux de mes anciens camarades qui, eux, trouvaient le courage d'affronter ledit Makhzen, y compris sur son propre terrain. J'allais même participer à deux de leurs initiatives, mais uniquement pour présenter mes ouvrages, lesquels, soit dit en passant, ne sont d'aucune tendresse pour le Makhzen. Mais par la suite, j'allais déchanter, au-delà de tout ce que je pouvais imaginer, et je sais pourtant combien j'ai les fantasmes faciles... Et combien je peux être de mauvaise foi… Oui, que de chemin parcouru ! Que du nauséabond ! Oh misère, oh malheur ! Mais quelle folie les a-t-elle menés si loin, jusqu'au plus profond de la fange du Makhzen, jusqu'à nous paraître aujourd'hui comme plus vils et plus corrompus encore que les plus corrompus du Makhzen. Et quid du ce «machin ccme» comme disait l'autre ? Et surtout, malheur sur moi, que sont mes anciens camarades devenus ? En vérité, je n'aurais pas levé le petit doigt pour témoigner, que ce soit à charge ou à décharge, sur une expérience dont il ne reste manifestement que des acteurs dégénérés. Je pensais qu'il fallait maintenant les laisser s'entretuer entre eux, en vautours voraces de postes et de «paraître», en carnivores de l'argent public (ou de ce qui en reste, car l'argent public est allé ailleurs, dans d'autres caisses plus solides, sur des comptes assurés dans des paradis fiscaux). A vrai dire, je m'amusais honteusement de les voir se manger les uns les autres, en charognards à qui les vrais prédateurs n'ont laissé que des os à ronger… Sortir de mon silence Et j'avais réussi à tenir ma langue. Je ne suis sorti de mon mutisme qu'une seule fois. C'était lorsqu'il fallait soutenir le joli portail Yabiladi quand le talentueux directeur de ce site avait été attaqué par le sieur Ajbali. Et encore, je ne m'en étais rendu compte que parce que ce même Ajbali s'était soudain souvenu de moi, pour la première fois depuis sa royale nomination. Ce monsieur habite pourtant la même région que moi en France, et il est censé me rendre régulièrement compte de son travail au sein du ccme. Mais jamais il n'avait daigné convoquer à la moindre réunion de travail, ni le misérable citoyen que je suis, ni les autres misérables citoyens de ma région. Il a donc fallu cette affaire avec Yabiladi pour qu'il se souvienne de moi. J'avais brusquement été destinataire, à mon grand étonnement, d'un envoi collectif dans lequel, en bon mkhazni… euh… en bon makhzénien, il menaçait de ses foudres royales ledit site que j'affectionne particulièrement… C'était honteux de sa part, mais déjà, semble-t-il, la honte ne l'atteignait plus. C'était l'unique fois où j'avais bougé. Et aujourd'hui la seconde, et j'espère la dernière. Lors d'un récent séjour à Marrakech, j'ai pu échanger avec une éminente membre de ce fi- chu CCME. En présence de citoyens marocains vivant en France. A un moment, quelqu'un lui a dit qu'il ne se sentait pas représenté par le CCME, et aussitôt notre belle dame lui a rétorqué que les membres du CCME ne représentaient pas les Marocains. Ni d'ici ni d'ailleurs. Waou ! Puis elle a ajouté qu'elle et ses éminents collègues n'avaient à rendre compte qu'à celui qui les a nommés. Le Roi en somme et en personne. J'ai trouvé le propos scandaleux, et indigne de quelqu'un qui est censé parler des problèmes des Marocains de l'étranger. Mais passons… A mon retour en France, j'ai commencé à prendre des renseignements. Pourquoi ça pour- quoi ci ? Petite anecdote en premier : je me suis laissé conter qu'un membre du CCME dans quelque pays africain se disait «représentant de sa majesté». Pas moins… L'attitude de Driss El Yazami envers la représentation nationale – la vraie – relève du même infantilisme. Pour cet ancien «camarade» aussi, pour cet ancien fervent «démocrate», refuser de dialoguer avec les élus de la nation, sous le fallacieux prétexte qu'il n'a à rendre compte qu'au seul Roi, relève de la schizophrénie. Honnêtement, je me demande comment peut-on se renier à ce point, et se regarder tous les jours dans la glace… C'est à proprement parler d'une telle aberrance. Mais qui se soucie d'avoir honte ou pas, de nos jours… Passons, passons, me suis-je dit. Et j'ai continué mon enquête. Et j'allais avoir l'estomac retourné lorsque j'ai commencé à prendre connaissance des pires comportements. Là des accusations d'abus de biens sociaux, ici des indemnités considérables pour des personnes censées être bénévoles. Si ces éminents membres, grassement indemnisés, avaient poursuivi leurs «petites» carrières en France et ailleurs, nul doute que leurs appointements n'auraient jamais atteint de tels revenus. A moins de gagner au Loto. Et là, en vérité, c'est une bien belle loterie pour eux… Le CCME, vraiment représentatif ? Inutile d'aller plus loin. Si le Makhzen avait la moindre envie de mettre sur pied une instance représentative des MRE, il s'y serait pris autrement. Si le Makhzen laisse pourrir au- jourd'hui la situation, c'est que les puissants du Maroc ne veulent pas des MRE. Pour les uns parce que les intégristes poussent comme de la mauvaise herbe au sein des migrations. Pour les autres parce que les habitudes prises en pays démocratiques menaceraient bien des convenances, et rompraient avec l'autocensure remarquable dans laquelle nombre de journaux marocains sont passés maître dans l'art… Dans un temps révolu, le Makhzen avait mis sur pied des «amicales» pour surveiller les Marocains en Europe. Aujourd'hui il joue avec de stupides pantins pour les maintenir dans l'ignorance. Pour les tenir à l'écart de la vie publique marocaine. Dans les deux cas, le Makhzen fait montre de toute son hostilité envers cette partie du peuple marocain. Mais le Makhzen a-t-il déjà fait autre chose, à part réprimer les uns et acheter les autres. J'avoue que l'achat des mes anciens camarades me reste à travers la gorge… Fallait-il que je vive si longtemps pour assister de visu à une telle abjection ? Mon père, qui est mort à 106 ans, m'avait dit un jour que vivre longtemps était une sorte de péché. En l'occurrence, là, il avait raison… Evidemment il y a plus grave ! Mais le plus grave est noyé dans les méandres de la malhonnêteté. A part un pauvre cas isolé, personne des membres n'ose démissionner. Comme si démissionner était un outrage au Roi. A moins que tous, y compris cette éminente membre avec qui j'ai échangé des propos parfois secs dans pourtant un si beau riad de Marrakech la belle... Visiter le site de l'auteur: http://kharmoudi.mustapha.free.fr