Un petit hôtel de Rabat est rempli de familles syriennes fuyant la guerre. Elles seraient des milliers dans tous le pays. Accueillies et tolérées par les autorités marocaines, elles n'ont aucun droit, y compris à un séjour régulier, en dépit des promesses du gouvernement. Reportage. 25 familles syriennes habitent un petit hôtel près de Bab El Had, à Rabat. Tolérés, mais gênants, ces Syriens racontent comment ils ont fuit la guerre pour échouer au Maroc. «Nous sommes arrivés au Maroc, à l'aéroport de Casablanca, sans visa. Les Marocains nous ont laissé entrer sans problème 'sur dérogation de sa majesté' et la police nous a dirigé vers cet hôtel où vivaient d'autres Syriens arrivés récemment», raconte Soufyane*, Syrien. Avec sa femme et ses trois petits enfants, il a fuit Alep pour arriver au Maroc le 7 avril 2013 et nous découvre sa vie, assis sur l'un des deux lits que compte sa petite chambre d'hôtel à 140DH la nuit. Quand ils sont arrivés à l'hôtel, la police est venue relever leur numéro de passeports. Celui là même qui n'a pas été tamponné par la douane à leur arrivée sur le territoire marocain et qui fait donc d'eux des étrangers en situation irrégulière expulsables à tout instant. Rassemblés, protégés par la police, pour l'heure, - «elle a obligé l'hôtelier à nous accueillir car au départ il ne voulait pas», se souvient Soufyane - ils n'ont pourtant aucun droit et reste maintenus dans une situation de précarité extrême. «Personne ne travaille ici. Les femmes vont simplement à la mosquée le vendredi pour demander de l'aide», avoue le père de famille. Aucun Syrien reconnu réfugié Parce qu'ils fuient une guerre qui a déjà fait des milliers de morts, les Syriens auraient pourtant le droit d'être reconnus comme réfugiés par le Maroc et régularisés sur cette base. «Début 2013, lorsque nous avons cessé d'enregistrer les demandes d'asiles des Syriens, nous avions reçu 843 demandes des Syriens», indique Marc Fawe, chargé des relations extérieures pour le HCR de Rabat. A cette date, le gouvernement marocain a indiqué au HCR qu'il comptait offrir une protection spécifique aux réfugiés Syriens et lui a donc demandé de cesser de les recevoir. De fait, les Syriens au Maroc sont bien traités et ne sont pas expulsés contrairement à d'autres migrants en situation irrégulière, mais ils n'ont jamais obtenu cette protection spéciale. Il restent totalement soumis à l'arbitraire du pouvoir. «Le gouvernement n'a rien fait sous prétexte, officieusement, du danger que représenteraient les Syriens. Pour le pouvoir, soit ils sont Alaouites, et dans ce cas il s'agit de suppôts du régime de Bachar Al Assad, soit ils sont sunnites et se sont des terroristes», résume Stéphane Julinet, chargé de programme droit des étrangers et plaidoyer au GADEM. Débloquage en vue ? Aujourd'hui, la nouvelle politique migratoire annoncée par le Maroc laisse penser que la situation pourrait se débloquer. «Le nouveau bureau des réfugiés et des apatrides pourrait mettre en place ce que l'on appelle communément un statut de "protection temporaire" pour les Syriens, cela consiste à octroyer automatiquement un statut et une protection lorsqu'un grand nombre de personnes fuient une perspécution, sans étudier les situations individuellement», espère Marc Fawe. Il peut être retiré dès que le conflit en Syrie prendra fin. En attendant, les réfugiés Syriens, probablement plusieurs milliers à être arrivés au Maroc depuis le début de la guerre, peinent à vivre dans des conditions dignes. «Je suis parti pour sauver mes enfants, mais il vaut mieux mourir avec dignité dans son pays, plutôt que de vivre dans l'humiliation dans un autre pays», s'énerve Soufyane, dont la petite fille dort, allongée à côté de lui. Au cours de notre conversation, le père de famille évoquera tour à tour la possibilité de retourner en Algérie, en Turquie et en Syrie, visiblement incapable de savoir quelle décision prendre. Il a perdu toute sa fortune Riche négociant à Alep, il a tout perdu. «Avant la guerre, j'étais riche, je possédais 1,1 million de dollars. Ensuite, trois bâtiments ont été détruits par les bombardements dans mon quartier, dont mon lieu de stockage pour ma marchandise», raconte-t-il. Il décide de fuir vers la Turquie avec sa famille, puis prend le bateau jusqu'en Egypte et l'avion jusqu'en Algérie. Là, un voleur se charge de leur retirer tout ce qui leur restait, y compris le portable où étaient enregistrés tous les numéros de ses proches restés en Syrie. Ils restent deux jours en Algérie et prends l'avion pour Casablanca. «Je suis venu au Maroc parce que plusieurs de mes contacts en Allemagne et en Hollande, avec qui je faisais du commerce avant la guerre me l'ont conseillé», explique-t-il. Au Maroc, sa famille a pu bénéficier de l'aide du voisinage, indistincte mais bienvenue. «Il y a des gens qui viennent et nous aident un peu. Ils nous donnent de l'argent et paient le médecin, notamment pour les enfants, quand c'est nécessaire. Ce sont des Marocains. Les Syriens installés ici depuis longtemps ne nous sont d'aucun soutien !», insiste Soufyane. Aucun droit S'il apprécie la protection offerte par les autorités marocaines et l'aide qu'il a pu recevoir du voisinage, il a bien conscience de la précarité dans laquelle il vit. Tandis qu'il parle, son épouse fait chauffer du thé sur un petit réchaud, dans la chambre. Les enfants déambulent autour de nous en revenant de la douche. «Depuis deux ans mes enfants ne vont plus à l'école. Je souffre de maladie cardio-vasculaire, mais je n'ai droit à rien», soupire-t-il. Au moindre problème, de précaire leur situation peut devenir grave, faute de recours. Il y a quelques mois, une famille maroco-syrienne est venue demander de l'aide au GADEM. La mère, Marocaine, a épousé un Syrien et vivait depuis 7 ans, avec leur premier enfant en Syrie, jusqu'à cet hiver quand ils ont fuit le pays. «La mère vient d'accoucher d'un deuxième enfant. Il a pu être enregistré sans difficulté à l'Etat civil, mais voilà qu'il a de graves problèmes de santé, et sa mère, sans revenu, veut demander le Ramed. On le lui a refusé au prétexte que le père est étranger, quand bien même cet enfant est, lui, Marocain», raconte Stéphane Julinet. Lorsque le père, dont le visa est dépassé depuis plusieurs mois, demande à être régularisé, là encore l'administration bloque. «Il a fait une demande à Sefrou, où on lui a fait payer une amende pour séjour irrégulier, mais malgré ça, et alors qu'en tant que parent d'un enfant marocain il a droit à un titre de séjour de 10 ans, il n'a pas obtenu de carte de résident. On lui demande de retourner en Syrie pour y demander un visa pour regroupement familial», s'indigne Stéphane Julinet. Ils seraient des milliers dans cette situation, mais aucun chiffre officiel n'a été donné par le ministère de l'Intérieur. * nom d'emprunt pour préserver son anonymat.