Depuis quelques jours, la condamnation légère à deux ans de prison pour le viol collectif d'une mineure, près de Tiflet (province de Khémisset), a suscité l'indignation de plusieurs organisations féministes. Agée de 11 ans au moment des faits, la victime a eu un enfant résultant d'une grossesse, ce qui devait aggraver la peine, conformément au Code pénal. L'association Insaf veut interjeter appel. Trois hommes âgés de 25, 32 et 37 ans ont récemment été condamnés en première instance à Rabat à deux ans de prison ferme, pour le viol collectif d'une fille âgée de 11 ans dans le village de Ghazouana près de Tiflet (province de Khémisset). Une perte de l'hymen et une grossesse ont résulté des faits, qui sont ainsi aggravés. Les trois reconnus coupables sont un cousin paternel de la victime, un ami de la famille, marié et père de trois enfants, ainsi qu'un voisin. Les faits ont été révélés au huitième mois de grossesse de la petite fille. C'est un ami proche du père qui aurait alors indiqué à ce dernier que la mineure avait fait l'objet d'un viol collectif répété. Selon les témoignages et les récits retenus contre les mis en cause, c'est l'un des enfants du père de famille impliqué qui était souvent envoyé à la victime, pour la ramener au lieu où le crime avait été commis. La jeune fille a également reçu des menaces de mort, en cas de dénonciation. Au Maroc, l'article 485 du Code pénal punit de «la réclusion de cinq à dix ans tout attentat à la pudeur consommé ou tenté avec violences contre des personnes de l'un ou de l'autre sexe». Si «le crime a été commis sur la personne d'un enfant de moins de dix-huit ans» le coupable est alors puni de «la réclusion de dix à vingt ans». Dans le même texte, l'article 486 qui définit l'acte de viol prévoit «la réclusion de cinq à dix ans». Si le viol «a été commis sur la personne d'une mineure de moins de dix-huit ans», la peine est «la réclusion de dix à vingt ans». Dans ce contexte, les organisations membres de la Coalition Printemps de la dignité ont lancé, jeudi soir, un hashtag sur les réseaux sociaux pour rendre justice à la victime. La présence d'un mineur parmi les mis en cause, envoyé par son tuteur, a fait interroger notamment sur la qualification des faits. Une condamnation à deux ans pour des faits passibles de vingt ans Vice-présidente du bureau de Rabat de l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), organisation coordinatrice de la Coalition Printemps de la dignité, Aatifa Timjerdine a déclaré à Yabiladi que cette campagne est lancée sur les réseaux sociaux pour «exprimer la consternation des militantes féministes à l'égard d'un jugement qui doit être vigoureusement dénoncé». «Une peine de deux ans de prison à l'encontre de trois mis en cause majeurs, reconnus coupables du viol en groupe d'une fille mineure ayant accouché après les faits, nous laisse nous interroger sur quelle justice et quelle réparation nous voulons pour les victimes de cas similaires», a-t-elle déploré. «Aucune personne dotée d'un minimum d'humanité ne peut considérer qu'un tel verdict rendrait justice aux survivantes. Plus que cela, il est inconcevable que pour des faits passibles de 20 à 30 ans de prison ferme, comme prévu dans le Code pénal, on écope du dixième de la peine minimale, à savoir deux ans.» Aatifa Timjerdine Pour la militante, «ce verdict dépasse l'entendement et c'est pour cela que la Coalition Printemps de la dignité, avec les associations qui la composent, fustige cette décision qui ne rééquilibre aucunement la balance entre la victime et les accusés». Aatifa Timjerdine exprime son indignation, d'autant qu'un neveu du père de la victime fait partie des violeurs. Il y a quelques semaines, le Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) a publié un rapport thématique sur le soutien à la dénonciation des violences faites aux femmes et aux filles et la lutte contre l'impunité, indiquant que l'existence de liens familiaux entre la victime et son violeur sont souvent pris en compte comme circonstance atténuante, pour alléger la peine de l'accusé qui passe souvent ainsi en-dessous du minimum prévu par la loi. «Sachant également que les investigations ont duré près d'un an avant le verdict rendu il y a quelques jours, rien ne nous garantit que les coupables seront réellement emprisonnés pour deux années», s'indigne encore Aatifa Timjerdine. Pour elle, un autre aspect de cette affaire remet en avant les failles de la loi 103.13 contre les violences faites aux femmes. «Dans son article 7, cette loi ne permet qu'aux associations ayant le statut d'utilité publique de se porter partie civile. Si elles ne l'ont pas, elles peuvent se porter partie civile mais seulement à la demande de la plaignante, qui je rappelle avait 11 ans au moment des faits et 12 ans lorsque le viol répété a été révélé par sa grossesse», souligne la militante. Maroc : Des dispositions de la loi contre la violence faite aux femmes brident son efficacité «Dans le cadre de la révision de ce texte, comme nous l'avons revendiqué incessamment, nous demandons donc que cet article soit abrogé, puisqu'il limite l'action de beaucoup d'organisations féministes dans l'accompagnement juridique et judiciaire des femmes et des filles victimes de violences», ajoute Aatifa Timjerdine. L'association Insaf va interjeter appel Organisation membre de la Coalition Printemps de la dignité et dotée du statut d'utilité publique, l'association Insaf s'est d'ailleurs portée partie civile, dans le cadre de cette affaire. Contactée par Yabiladi ce vendredi, sa présidente d'honneur, Meriem Othmani a déclaré que l'ONG avait appris le verdict en première instance «avec consternation». Dès le début de la semaine prochaine, elle compte interjeter appel. «La sociologue Soumaya Naamane Guessous, elle-même membre d'Insaf, a adressé une lettre ouverte au ministre de la Justice. Nous allons faire appel et à cet effet, notre vice-président Me Mohamed Oulkhouir rencontrera notre avocat Me Mohamed Sebbar dans les très prochains jours, pour mener cette action», a ajouté la militante. «Nous sommes en contact avec la Coalition Printemps de la dignité et ses composantes, qui nous soutiennent dans nos démarches et nous allons mener d'autres actions collectives, dans le cadre de la même affaire.» Meriem Othmani L'association Insaf a confirmé à Yabiladi qu'elle suivait, en effet, le cas de la victime depuis que son accouchement a fait révéler l'affaire. Alertée par une publication sur les réseaux sociaux, l'ONG «a envoyé deux assistantes sociales au village de la famille près de Tiflet et toutes les données étaient là : la jeune fille âgée de douze ans, son nouveau-né, ses parents, sa grand-mère, les mis en cause…», a indiqué Meriem Othmani. «A partir de là, nous avons pris en charge le bébé et sa maman, qui ont tous les deux eu accès aux soins médicaux nécessaires à Casablanca, entre la gynécologie, la pédiatrie, les vaccinations et la circoncision pour le nouveau-né», relate Meriem Othmani. L'ONG s'est occupée aussi de la scolarisation de la victime, «en coordination entre l'Académie régionale de Casablanca-Settat et de Rabat-Salé-Kénitra pour la faire inscrire à une école de la deuxième chance avec un internat». Chaque fin de semaine, la jeune fille retrouve son enfant au domicile familial. «Elle est toujours suivie et soutenue par Insaf», notamment sur le plan psychologique, ajoute Meriem Othmani.