L'accueil chaleureux réservé à Brahim Ghali, chef du Polisario, par le président tunisien Kaïs Saïed à l'occasion de la 8ème édition du TICAD a surpris de nombreuses personnalités politiques tunisiennes. Elles ne comprennent pas le changement de cap de la diplomatie tunisienne, alors que Tunis avait toujours pris soin de rester sur une position de neutralité entre Rabat et Alger. Le président tunisien n'avait probablement pas imaginé les répercussions de son accueil chaleureux du chef du mouvement séparatiste, Brahim Ghali, à l'occasion de la 8ème édition du sommet du TICAD, rendez-vous annuel entre le Japon et les pays africains, accueillit cette année au pays du jasmin. Après la colère du Maroc qui a rappelé son ambassadeur pour consultation, la condamnation de la classe politique marocaine et les retraits ou critiques de plusieurs pays africains, plusieurs personnalités politiques tunisiennes ont également attaqué un précédent diplomatique incompris. Surtout lorsqu'on connait le soin mis par Tunis, depuis plusieurs décennies, pour rester à équidistance avec Alger et Rabat sur le dossier sensible du Sahara occidental. Plusieurs partis marocains condamnent l'accueil de Saïed au chef du Polisario Ancien président de la république, Moncef Marzouki a réagi via les réseaux sociaux, en adressant des critiques acerbes à Kaïs Saïed. Il a notamment rappelé à ce dernier la position tunisienne, qui consiste à n'intervenir dans le différend régional que pour proposer des initiatives de médiation. «En recevant le chef du Polisario comme s'il était à la tête d'un Etat mondialement reconnu, [Saïed] a rompu avec cette tradition», a fustigé Marzouki, ajoutant que cet accueil «est une reconnaissance publique, claire et franche» accentuant «l'étrangeté et le surréalisme du communiqué du ministère tunisien des Affaires étrangères, qui prétend que rien n'a changé dans la position de la Tunisie». «Nous sommes donc face à un acte condamné par toutes les normes car irresponsable et nuisible aux intérêts de la Tunisie», a écrit plus loin l'ancien chef d'Etat. Abdelwahab El Hani, fondateur et président du parti Al-Majd, a considéré «l'accueil par le président tunisien du chef du Polisario comme «une déviation dangereuse et sans précédent», une «bêtise diplomatique» et «un suicide politique du président Kaïs Saïed». Mohcen Marzouk, le président du Parti Machrou Tounes (opposition) a pointé, pour sa part, «une faute grave et qui n'était pas nécessaire» de Saïed. «Cette décision dénote d'une ignorance des fondamentaux de la diplomatique tunisienne et de sa neutralité historique sur la question du Sahara occidental opposant le Maroc à l'Algérie. A moins que le président ne veuille saccager par ses décisions à l'emporte-pièce tout l'édifice des relations extérieures de la Tunisie», note-il. Le secrétaire général du Parti Courant démocrate, Ghazi Chaouachi a, quant à lui, souligné que l'attitude de la Tunisie traduit «improvisation» et «incompétence» ainsi qu'un manque de vision claire en matière des relations diplomatiques. «Que fait le polisario dans un sommet économique qui réunit les pays africains avec le Japon, d'autant plus que ce dernier ne reconnaît pas l'entité séparatiste ?», s'interroge Chaouachi, également ancien ministre, sur les réseaux sociaux. Diplomates, politiques et syndicalistes... La colère monte De son côté, l'ancien ambassadeur tunisien, Elyes Kasri, a affirmé que par cet accueil «la Tunisie rompt ainsi sa politique d'équilibre entre ses deux voisins maghrébins et s'aligne sur l'Algérie contre le Maroc, qui n'a pas caché son mécontentement». «Fallait-il inviter avec tant de légèreté et d'inconséquence le Polisario à la 8e Ticad à Tunis alors que le Sahara occidental n'est pas un Etat indépendant reconnu par l'ONU ? Pourquoi jeter un tel pavé dans les préparatifs de la conférence et blesser inutilement le peuple marocain et ses dirigeants tout en mettant le Japon dans une position inconfortable alors qu'il avait exprimé d'avance son désaccord quant à cette initiative ?», s'interroge la diplomate tunisienne Sémia Zouari dans un article publié sur Kapitalis. Sur la même lignée, Mohamed Lassaad Abid, secrétaire général de l'Organisation tunisienne du travail (OTT), a affirmé que cet acte conduira à un isolement de la Tunisie aux niveaux «arabe», «africain» et «inernational», qualifiant cette démarche de suicide politique «inédit» de la diplomatie tunisienne. En réponse à l'accueil réservé par le président tunisien au chef du Polisario, le Maroc a décidé de ne pas participer au 8ème sommet de la TICAD, qui se tient en Tunisie les 27 et 28 août, et de rappeler immédiatement en consultation son ambassadeur à Tunis. La Tunisie a répondu de manière identique en rappelant son ambassadeur à Rabat pour consultation.