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Maroc : Nouvel imbroglio au Centre Jacques Berque sur la coopération avec les binationaux
Publié dans Yabiladi le 07 - 04 - 2022

Première au concours pour le poste de directrice du Centre Jacques Berque (CJB) à Rabat, l'universitaire et chercheuse franco-marocaine Chadia Arab s'est trouvée déclassée sans explications, au profit du candidat arrivé deuxième. Une pétition a été lancée pour interpeller les ministères français de tutelle.
Depuis le 31 mars dernier, la géographe et chercheuse au CNRS Chadia Arab s'est retrouvée déclassée du concours pour le poste de directrice du Centre Jacques Berque (CJB), où elle est pourtant classée première. La place est revenue à la candidate classée deuxième, sur décision du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, en charge de la coopération scientifique à l'étranger. Ce jeudi 7 avril, un groupe d'universitaires français et étrangers ont lancé une pétition, dénonçant le caractère «discriminatoire» de cette mesure.
Signée par de nombreux professionnels du monde scientifique, la pétition va plus loin, pointant une «atteinte à l'autonomie de la recherche». Elle rappelle que les faits remontent au 3 mars 2022, lorsque l'universitaire a été auditionnée pour le poste, à la tête d'un établissement qui fait partie du réseau international des 27 Instituts français de recherche à l'étranger (UMIFRE), sous la tutelle des Affaires étrangères, de l'Enseignement supérieur et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Correspondant au profil demandé, Chadia Arab a montré plusieurs points forts (qualité du dossier scientifique, expérience dans l'administration et pilotage de la recherche, HDR, maîtrise des langues…), indique-t-on.
«Malgré l'excellence de son profil et son classement nettement en tête des quatre candidates auditionnées par le conseil scientifique, le conseil d'orientation stratégique (COS) des UMIFRE, composé de représentants des tutelles, a décidé le 31 mars 2022 de la déclasser au profit de la candidate classée deuxième, sans qu'aucune motivation ne soit mentionnée», note la pétition. Pour ses auteurs, cette affaire «remet en cause directement l'autonomie de la recherche et constitue un camouflet pour l'ensemble des membres du conseil scientifique du pôle Maghreb, dont le travail d'évaluation est discrédité». En effet, douze candidatures ont été instruites à partir de critères d'excellence académique, pour en sélectionner quatre.
«Le classement proposé est le résultat d'une évaluation transparente et collégiale, basé sur des critères scientifiques explicites», mais «il a été arbitrairement modifié par le COS pour des motifs obscurs», déplorent encore les signataire. Pour eux, «ce type de pratiques arbitraires» vise «tout particulièrement les binationaux», en contradiction avec «les principes de la méritocratie républicaine, mais aussi les critères d'excellence scientifique requis pour ce type de poste». Contactée par notre rédaction, l'ambassade de France au Maroc a déclaré n'avoir «aucun commentaire à faire» sur cette affaire.
D'autres précédents au sein du CJB – Rabat
Une situation similaire s'est déjà présentée en 2018, lors du concours au même poste, lorsque «trois binationaux étaient en concurrence avec le directeur actuel du centre», Adrien Delmas. Mais pour le cas de la chercheuse, la situation est encore plus «scandaleuse» selon les termes de la pétition, puisque la concernée a occupé la première place. Pour le sociologue des migrations Mehdi Alioua, parmi les signataires de la pétition et qui a collaboré pendant deux ans avec le CJB à Rabat, «il y a une erreur stratégique de penser que les acteurs de coopération en général, et particulièrement la coopération scientifique et culturelle, doivent dépendre essentiellement de la diplomatie ou des Affaires étrangères».
Depuis cinq ans, le chercheur marocain collabore avec l'Institut de recherches pour le développement (IRD) en France, autour du laboratoire MOVIDA sur la mobilité dans les pays d'Afrique, avec la participation d'établissements français et africains. «On ne collabore pas entre scientifiques, artistes, médecins et chercheurs au nom de la nation, on le fait au nom de son métier, de sa passion, d'une déontologie et ensuit au nom du dialogue entre les populations, au nom de la coopération, et à la fin au nom de son pays car chacun est fier de son appartenance», a-t-il estimé. Un déclassement au «nom d'intérêts stratégiques souverains est une erreur d'interprétation, car Chadia Arab n'allait pas représenter la France, mais la recherche française en collaboration avec la recherche marocaine», a ajouté Mehdi Alioua, précisant que dans d'autres pays, ce processus ne dépend pas des Affaires étrangères mais celui de l'Enseignement supérieur.
En déclassant l'universitaire franco-marocaine, «on déclasse une enfant de la république qui a des origines marocaines. Non seulement on se trompe scientifiquement, mais on lance un message aux Marocains et aux Français d'origine marocaine, selon lequel pour travailler pour des institutions de la république au plus haut niveau, il vaut mieux de ne pas apparaître marocain», a ajouté Mehdi Alioua. «Or, qui mieux que les enfants que nous avons en commun peut représenter et participer à la coopération, à l'amitié entre les peuples, puisqu'ils appartiennent eux-mêmes à plusieurs univers», a ajouté le chercheur.
Pour lui, «il y a un problème dans le message envoyé au Maroc, dans le sens où l'amitié franco-marocaine se fait ici au détriment des premiers concernés, à savoir les Franco-marocains ; il faut revenir à l'essentiel, c'est-à-dire à la coopération scientifique». Mehdi Alioua rappelle que des chercheurs français et étrangers sont associés à son université marocaine comme dans plusieurs établissements à travers le monde, puisque «ce n'est pas simplement le nord qui éclaire le sud, mais cela se fait sans les deux sens et c'est cela aussi, la recherche scientifique».
Avant l'arrivée du directeur actuel du CJB à Rabat, un précédent scandale a déjà éclaboussé l'établissement, poussant l'ancienne directrice, Sabrina Mervin, à démissionner de son poste. En septembre 2017, Yabiladi avait révélé que plusieurs chercheurs du centre faisaient part de harcèlement, de propos racistes et néocolonialistes émanant de l'ancienne responsable, particulièrement à l'égard des collaborateurs marocains. Niant les faits et dénonçant une «campagne de dénigrement», l'ex-directrice avait fini par claquer la porte.


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