La crise politique entre le Maroc et l'Espagne née de l'hospitalisation en catimini du leader du mouvement séparatiste, Brahim Ghali, a donné lieu à une étrange théorie sur les réseaux sociaux. Profitons de ce désintox pour apprendre comment nous pouvons décortiquer la manipulation en seulement 3 étapes. Brahim Ghali a-t-il rajeuni en attrapant le Covid-19 ? S'est-il injecté du botox pour paraître plus jeune ? Ce sont les questions que l'on est en droit de se poser face à la déferlante de publications sur les réseaux sociaux attribuant des révélations aux services secrets marocains. Selon la thèse avancée par de nombreux Marocains partageant sur les réseaux sociaux ce qu'ils croient être une photo récente du chef du Polisario relooké, alors qu'il est hospitalisé en catimini à l'hôpital de Logroño en Espagne. Pour eux, l'affaire est entendue : le leader du mouvement séparatiste âgé de 75 ans s'est rasé la moustache poivre et sel et a coloré ses cheveux pour paraître plus jeune et passer ainsi incognito. En somme, une étrange histoire de Benjamin Button boostée aux techniques de grimage de Hanane Fadili. En à peine 24 heures, le scénario a pris au niveau du public puisque des centaines de publications sur Facebook utilisent le même photomontage, souvent le même texte descriptif récoltant des milliers de commentaires, like et partages. Si cette manipulation grossière a réussi à court-circuiter les cerveaux de dizaines milliers de personnes, il est utile d'adopter une démarche pédagogique pour ce désintox-botox à l'aide de 3 questions. Le mobile ? Pourquoi le Polisario aurait besoin de grimer aussi mal (puisque Brahim Ghali est toujours reconnaissable) leur chef malade alors qu'il a été admis avec une fausse identité à l'hôpital ? Il ne cherchait pas à échapper aux services de renseignements espagnols puisque couvert par le gouvernement Sanchez. Et en étant admis en soins intensifs Covid+, il est isolé et ne risque pas de sortir prendre un bain de foule au marché hebdomadaire de Logroño. Le mobile est donc fragile. Un malade Covid-19 qui rajeunit ? Brahim Ghali a été admis en urgence dans cet hôpital en Espagne car son état a été jugé inquiétant par les médecins algériens. Dans ce genre de situation, l'heure n'est pas à la coloration des cheveux ou au maquillage pour masquer les rides. On pourrait rajouter que plusieurs semaines d'une infection pulmonaire et de soins intensifs en service Covid+ ont très vraisemblablement eu des effets visibles sur son physique : maigreur, visage émacié, état fébrile. Or sur la photo, on voit un homme qui semble en forme et aurait même rajeuni. Des rides ont disparu et sa calvitie bien entamée s'est résorbée par magie. A moins d'avoir fait un saut par la Turquie pour des implants, la thèse d'une opération relooking semble bien éventée. Et si c'était une vieille photo de Brahim Ghali ? Après le doute et les raisonnements logiques, passons à la démonstration de la manipulation. Brahim Ghali a-t-il toujours eu une moustache ? Nous allons utiliser Google images via deux méthodes. D'abord une recherche par image en utilisant la photo de gauche : Brahim Ghali sans moustache. On tombe sur une photo similaire où il porte le même polo. L'article est tout récent puisque publié le 18/05/2021 mais la légende ne permet pas de dater la photo. On conviendra cependant que si le but était de passer incognito, il n'est pas très intelligent de poser pour un shooting d'un journal. On continue sur Google images en cherchant «Brahim Ghali» en français puis en arabe pour trouver des photos qu'on pourra dater précisemment. La majorité des photos trouvées sur Internet sont récentes et avec moustache, la plupart après avoir été désigné chef du Polisario en 2016. Mais on peut trouver des photos plus anciennes sans moustache et cheveux beaucoup plus fournis et plus bruns. Deux photos très ressemblantes attireront notre attention puisqu'elles ont été prises par l'agence EFE, dont le service archive indique la date exacte de la prise. Ainsi, la période sans moustache se situe au début des années 2000. Conclusion Nous avons donc la preuve que le photomontage n'a fait que nous manipuler en voulant faire passer de manière grossière de l'ancien pour du neuf. Parce qu'«on ne croit que ce que l'on voit», on a tendance à faire beaucoup trop confiance à l'image et surtout au sens que celui qui la publie veut bien lui donner. C'est ainsi que certains tentent de hacker nos cerveaux. Pour nous prémunir, douter de manière méthodique et poser les bonnes questions sont deux étapes nécessaires mais non suffisantes. Elles doivent nous conduire à l'étape de vérification. Pour cela, Google images, search, maps, mais aussi YouTube, Facebook, LinkedIn sont des outils très puissants qui sont à votre disposition. D'autres solutions à usage plus journalistique comme InVid (pour vérifier l'antériorité d'une vidéo) peuvent s'avérer précieuses. L'éducation aux médias et la vigilance face aux contenus manipulatoires doivent faire partie de notre quotidien pour ne plus être infecté par les infox, et surtout ne plus les répandre. C'est une question de salubrité publique.