L'historien Benjamin Stora a remis son rapport commandé par Emmanuel Macron et tant attendu par tant de monde. Il en adviendra ce qui devra mais ce rapport montre l'étendue de la relation psychanalytique entre la France et l'Algérie, une relation qui déteint sur l'ensemble du Maghreb et infuse au sein de ses sociétés. Que faire ? Rien, sinon attendre une rémission… ou agir sans plus attendre. La France doit-elle s'excuser pour ses exactions passées en Algérie ? Le débat fait rage, mais pour s'excuser, il faut avoir des éléments, et si tous les pays ouvrent cette boîte de Pandore, ils y trouveraient tant d'abjections et d'ignominies, commises à parts égales par les colons et les colonisés, que des excuses devraient fuser de partout, et donneraient naissance à un ressentiment tout aussi partagé, destructeur, ravageur… que parfaitement inutile, à une époque où les plaies devraient être fermées plutôt qu'élargies. On ne peut jauger des événements survenus voici 60 ans à l'aune des critères d'aujourd'hui… La décolonisation française s'est donc faite dans la douleur et le tourment, partout. En Algérie, elle a en plus engendré de véritables drames humains du fait d'une terre aussi légitimement revendiquée par les populations d'origine que par celles arrivées de France depuis plusieurs générations. Le départ des Français a donc creusé de profondes cicatrices chez les uns et les autres, sans que personne ne parvienne – ou n'aspire véritablement – à les refermer. Puis les guérir. La donc névrotique relation Paris-Alger est faite de profondes amertumes de part et d'autre et de justes ressentiments mutuels. Cette histoire doit être lue à travers un prisme différent que vient de soumettre Benjamin Stora au président Macron. Nous avons en effet au Maghreb les deux autres pays que sont le Maroc et la Tunisie lesquels ont connu, comme les autres territoires occupés par les Français, en Afrique, en Asie ou ailleurs, les affres de la colonisation et les horreurs des guerres d'indépendance, mais qui en sont sortis, léguant à l'Histoire ce qui lui appartient… Or, de cette relation fortement psychanalytique et intensément passionnelle entre les Français et les Algériens, les autres peuples du Maghreb devaient longtemps pâtir. La Tunisie, héritière de Carthage et de la dynastie hafside, se fonde sur ses valeurs éminemment républicaines et sur sa quête d'une société égalitaire et libre, œuvrant à marche forcée à établir une démocratie authentique ; le Maroc est fort de ses institutions anciennes et de sa riche histoire qui font sa force et le conduiront, un jour, vers une monarchie parlementaire réelle et une économie avancée. Mais tout cela est funestement ralenti par la nuisance du système politique algérien, fait de militaires et/ou de grabataires, agressif envers le vieux Maroc et vindicatif à l'égard de la sémillante Tunisie. Et la France, tout aussi mortifiée par son passé algérien que le pouvoir algérien est tourmenté par la présence française, pardonne tout et fait montre d'une invariable et coupable indulgence pour cette Algérie qui ne sait pas encore où elle en est…avec les « Pieds-noirs, immigrés, victimes, tortionnaires, vétérans, nationalistes ou déportés, harkis ou dépossédés » que liste l'intellectuel Kamel Daoud. Aujourd'hui, le président Macron, né après l'indépendance algérienne, lance une action mémorielle qui aura comme résultat de boursoufler des plaies encore purulentes, et les dirigeants algériens s'empareront de l'occasion pour mobiliser leur front intérieur et surtout renforcer leur rente politique. C'est la colonisation française qui a créé l'Algérie et aujourd'hui, Paris semble tout pardonner à son enfant aussi naturel que terrible, invariablement irascible, souvent rebelle et parfois déviant. Les Algériens, comme les Marocains et les Tunisiens, n'ont d'autre ressource pour aller de l'avant qu'une véritable union maghrébine. Or, la politique française, faite de complaisance et de bienveillance à l'égard d'Alger, de permissivité et de magnanimité envers ses généraux, freine cette marche de l'Afrique du Nord vers son destin et l'éloigne de son rendez-vous avec la prospérité. Dans l'attente, donc, des résultats de ce que Kamel Daoud appelle une thérapie française avant d'être une thérapie de couple, il appartiendra aux Tunisiens et aux Marocains de tracer leur chemin, mais séparément, car séparés par cette immense Algérie qui se cherche toujours et qui dispose encore d'un pouvoir de nuisance régionale, dopé par l'indulgence française. Il restera juste à faire admettre cette logique aux lobbies français, si actifs au Maroc et en Tunisie...