Bonne nouvelle, donc, pour les défenseurs du dialectal et pour l'enseignement de ce que ces derniers appellent la langue arabe marocaine… ceux qui veulent réciter un requiem pour l'arabe… ceux qui sont, ou veulent rester, sourds aux différences entre l'oral et l'écrit, entre l'idiome utilisé dans les échanges communs, quotidiens, et la langue d'enseignement et d'écriture, entre la langue des concepts complexes et abstraits et celle de la communication usuelle… Une bonne nouvelle alors pour nous avec la parution de ce dictionnaire édité par la Fondation Zakoura de son patron Noureddine Ayouch, chef de file des promoteurs de la darija… comme si ce dialecte, qui croît et se développe encore plus vite que la Chine et le Japon réunis, avait besoin de quelqu'un pour le défendre et le porter ! Alors même que ce sont ceux qui se trouvent isolés dans des lieux perdus de misère et de surpopulation qui requièrent de l'aide, dans les montagnes ou en villes, sans logements décents ni emplois dignes, sans école publique de bonne facture ou lieux de santé convenables… et qui ne connaissent rien d'autre qui se développe aussi rapidement que cette darija ! Dès les premières pages, les promoteurs de ce dictionnaire se félicitent et se rengorgent : « Contrairement aux autres dictionnaires qui définissent les mots en darija en langue arabe ou dans d'autres langues, le dictionnaire de Zakoura est le seul qui explique les termes de la darija en darija (de la langue marocaine à la langue marocaine) ». Fin de citation des éminents professeurs… Mais pour leur malheur, les quelques 1.000 pages de l'ouvrage apportent un démenti à leurs assertions, tant en ce qui concerne l'arabe classique qu'ils ont « enrichi » de darija pour expliquer cette hérésie linguistique, qu'en ce qui se rapporte aux définitions qui sont généralement exprimées en arabe classique. Ces lignes ne sont nullement rédigées pour défendre notre langue arabe car elle se défend toute seule et il existe tant de personnes pour le faire le cas échéant et répondre aux marchands de science… Non, ce texte a été écrit pour faire part des réactions et sentiments suscités dans l'esprit d'un homme qui n'en a jamais connu de pareils avant… et en l'occurrence le rire, voire fou rire, les larmes au point de s'en exploser les yeux, le choc et la stupeur, un sentiment d'hystérie et d'autre chose qui ne sauront être apaisés par le simple fait d'écrire, mais qui pourraient conduire à l'automutilation… Je demande pardon pour cette digression sentimentale et linguistique, que ne sauraient comprendre que ceux qui auront passé une nuit blanche en compagnie de ce si merveilleux dictionnaire de la darija. Mes sentiments peuvent être classés en quatre catégories, plus les commentaires divers… D'abord les principes élémentaires, puis l' « arafrançais », ensuite la science du commun, et enfin cette « si aimée darija », ou en anglais, « this much loved darija »… 1/ Dans cet ouvrage l' « Almania » en darija est définie par … Almania en darija, comme l'imam, qui est l'imam… « A'mi'ne » signifie la fin des prières…et c'est comme ça que les concepteurs du dictionnaire expriment l'explication en darija d'un terme en darija ! L' « ananas » est une plante de la famille des ananas, « itnaïne » est le jour suivant dimanche et la « telfaza » est la télévision (« telfaza »)… de même que « bojor » est un mot utilisé pour saluer… 2/ Nous sommes là face à des mots en français que le Marocain moyen n'utilise ni ne comprend d'ailleurs… et que les auteurs de l'ouvrage essaient d'introduire risiblement dans la langue dialectale marocaine, comme l' « ammouniak » qui est une substance chimique… ou les « amourtissours »qui seraient « les ressorts », définis en arabe classique (nawabid) … « antène », c'est tout simplement « antène » (antenne). Et nous en arrivons à « oulla la », qui serait une marque qui souligne la négation, comme « n'est-ce pas ? » (arabe classique, alyassa kadalik ?), avec exemple à l'appui : « si tu ne travailles pas, tu ne réussiras pas (en darija), oulla la ? Encore ? « Micanismate » sont les moyens pour faire aller les choses (en darija)… Allez, un autre : « Ountri », qui est un »botoune » sur le « clafiyi dial l'ourdinatour »… Et encore, encore, jamais assez : « asbirine », « asbro », « tabisserie et tabis », qui veulent dire « zarbia », « ourdounnance », qui est le papier remis par un médecin, et « noutire » etc etc… 3/ Dans l'univers des mots communs, le dictionnaire nous apporte tant de mots qui n'ont même pas besoin d'être enseignés tellement ils sont courants dans la vie quotidienne, et ils comportent généralement des connotations racistes ou indignes… comme « antiz » (Noir), « qazziba » (fesses), « qourtassa » (belle fille, canon), « bezqoul » (gamin), « mjertel » (clochard), « tabbouzi » (obèse), « boukerch » (ventru), « tzerref » (s'est fait avoir), « msouker » (ivre), « spiki » (parler), « lboute » (le nombril)… pour ce dernier vocable, il est expliqué par ceci, en darija, « danse orientale ou le nombril bouge dans tous les sens »… il y a aussi « lqarfia » (ou cannelle, pour indiquer un billet de 100 DH). « Bih fih », c'est « chan tan, bih fih, il a été rapide »… « pila » ou « l'anssiana », qui serait une femme proxénète… et « ksida », un être humain disgracieux ou indélicat… exemple de « ksida », en darija toujours ? « Il s'est marié avec une ksida », et vlan pour la dignité des femmes !! etc… 4/ Ce sont là des mots que je ne saurais reproduire ici car, en toute simplicité, ce sont des termes qu'aucun Marocain ne pourrait prononcer devant sa mère, son frère, son père, en milieu professionnel ou à l'école. Leur place est dans la rue. J'ai bien essayé de les écrire ici, ces termes contenus dans le dictionnaire, mais ils sont tellement orduriers que cela m'est apparu impossible… encore pardon de prendre tant de précautions, mais les choses sont ainsi que cela est nécessaire. Vous avez là tous les termes vulgaires et insanes qui pourraient vous traverser l'esprit. Je donnerai les définitions et quelques lettres pour aider à la compréhension… On commence par ce terme qui commence par « h » et qui signifie acte sexuel. Le terme a deux déclinaisons dans le dictionnaire : l'acte sexuel donc et aussi l'action qui va avec, la relation sexuelle… venons-en à l'organe sexuel féminin, « qui commence par la lettre t », et la définition continue, par la précision que « dans les aréopages officiels ou scientifiques, on l'appelle 'faraj' » ! …comme si dans le langage usuel, on employait ce terme avec « t » pour désigner un vagin… Encore une… « L'homme qui séduit les femmes parce qu'il les aime », et qui est donc un « louatte ». Et voilà qu'on change le harcèlement par la séduction ! On en est maintenant au « plaisir solitaire », dont le mot commence par « k » mais qui est expliqué en arabe classique, contrairement aux indications de départ du dictionnaire. Et encore, le « testicule », qui commence par un « q » et qui est défini par cette phrase, comme si le terme était utilisé partout : « Il est parti chez le médecin car son 'q' le fait souffrir »… Quant à l'homosexuel, il est indiqué par un terme débutant par « z », alors même que ce mot, sous d'autres cieux arabes, est un nom de famille. Mais là, on va plus loin avec un vocable commençant par « tzou… », et qui serait l'attirail porté par un homosexuel et « qui le montre efféminé »… Définition des fesses, ou « ter… » : « Partie de l'anatomie humaine située au-dessus des jambes et en bas du dos ». Exemple : « il s'est assis sur sa ter… ». Je m'arrêterais là, en citant quand même quelques définitions particulières. « Bourjoizi » est quelqu'un « qui est aisé et qui porte les valeurs de la bourgeoisie » ; exemple, « la révolution française a défendu les valeurs de la bourgeoisie ». Autre mot : « acsissoire », qui est un élément obligatoire au travail, et exemple : « l'acssissoire de la pub est cher » ! Et hop, pour qui comprend vite et bien, le lien est établi entre pub et bourgeoisie… Cette perle pour la fin, la chimie, ou « kimia », sans la dernière lettre en arabe, la hamza. Définition, en darija toujours : « Science qui étudie la formation et la composition de la matière, de même que ses états originels et les réactions et lois qui la régissent ». A qui donc est adressé ce dictionnaire de la darija, en darija ? Question sans réponse… tant est que les rédacteurs de cet ouvrage n'ont pas besoin des définitions qu'ils proposent. Mais il peut être utile à la communauté des Marocains résident… au Maroc et qui ne parlent ni n'éduquent leurs enfants qu'en français et qui leur procurent ce dictionnaire pour qu'ils puissent échanger avec les bonnes, le « jardiniyi », le « assass » et « li zarabouphounes » sous-développés. Merci donc aux auteurs de cette splendeur, auxquels nous donnons gratuitement cette idée pour la marketter : « Zine lli fik a darija » ou « this much loved darija « .