L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels l'agriculture africaine, et plus particulièrement marocaine, doit faire face aujourd'hui ? Rachid Serraj: L'agriculture africaine est confrontée à une multitude de défis, ce que l'on qualifie parfois de « polycrise ». Il ne s'agit pas d'un seul problème, mais d'une combinaison de facteurs : pauvreté, insécurité alimentaire, forte croissance démographique... L'Afrique reste le seul continent où la population continue de croître de manière exponentielle. D'ici 2050, elle devrait presque doubler, exerçant une pression accrue sur les ressources agricoles. En parallèle, les contraintes environnementales se font de plus en plus pressantes. Le changement climatique bouleverse profondément l'agriculture : certaines régions subissent des sécheresses plus fréquentes, d'autres sont touchées par des inondations de plus en plus violentes. L'élévation des températures modifie les cycles agricoles et réduit les rendements. À cela s'ajoutent des tensions géopolitiques persistantes. Plusieurs régions du continent sont encore marquées par des conflits qui compliquent l'accès aux terres et aux ressources, entravant ainsi le développement agricole. Le Maroc, quant à lui, est moins exposé à certaines de ces crises, mais il fait face à une sécheresse historique et à un déficit hydrique préoccupant. Ces défis nécessitent des solutions adaptées pour garantir la sécurité alimentaire et la pérennité du secteur agricole. L'intelligence artificielle pourrait-elle être une solution pour relever ces défis et améliorer la productivité agricole ? L'IA est en plein essor et transforme déjà de nombreux secteurs, y compris l'agriculture. On assiste depuis plusieurs années à la montée en puissance de l'agriculture digitale, qui permet d'optimiser la gestion des sols, l'irrigation, et la lutte contre les parasites. L'intelligence artificielle apporte une couche supplémentaire d'innovation en offrant des outils de modélisation, d'analyse prédictive et d'aide à la décision. Cependant, un problème majeur demeure : l'accessibilité. Une grande partie des agriculteurs africains n'a toujours pas accès aux technologies numériques, ce qui crée une fracture numérique. Il ne suffit pas de développer des outils performants, encore faut-il qu'ils soient utilisables par ceux qui en ont le plus besoin. Ces avancées technologiques suffisent-elles à lutter contre les effets du changement climatique ou est-il déjà trop tard ? Malheureusement, les scientifiques s'accordent à dire que certains impacts du changement climatique sont irréversibles. Le taux de CO2 dans l'atmosphère dépasse désormais les 420-430 ppm et continue d'augmenter. Lors des COP21 et COP22, l'objectif était de limiter le réchauffement à 1,5°C, mais plus le temps passe, plus cet objectif semble hors de portée. La technologie ne pourra pas inverser ces effets, mais elle peut nous aider à nous adapter. Il est impératif que les politiques publiques s'orientent vers des solutions durables et que les innovations technologiques soient intégrées dans les stratégies agricoles. Comment favoriser une meilleure collaboration entre chercheurs, agriculteurs et entreprises pour développer des solutions adaptées aux réalités du terrain ? À l'UM6P, nous avons placé la coopération au cœur de notre stratégie. Nous travaillons en partenariat avec des acteurs clés comme l'OCP, ainsi qu'avec des institutions publiques et privées. Nous avons également développé un réseau de collaborations en Afrique, car nous sommes convaincus qu'aucune institution ne peut, seule, répondre à tous les enjeux agricoles du continent. L'UM6P a récemment rejoint la RUA (Réseau des Universités Africaines avancées), qui regroupe une vingtaine d'établissements parmi les plus performants du continent. En juillet, nous accueillerons l'Association des Universités Africaines, qui représente la majorité des établissements d'enseignement supérieur du continent. L'objectif est de renforcer les synergies entre chercheurs, agriculteurs et entreprises afin d'élaborer des solutions concrètes et adaptées aux réalités locales. Le changement climatique, la sécurité alimentaire et l'innovation technologique sont des défis globaux. C'est en unissant nos efforts que nous pourrons apporter des réponses durables à l'agriculture africaine.