À l'initiative de la Fédération des Industries Culturelles et Créatives (FICC) et avec le soutien de l'Union Européenne (UE), un débat s'est tenu, ce mercredi, au siège de la CGEM, sur l'impact de l'intelligence artificielle sur la création culturelle. Nadim Sadek, Fondateur & CEO de Shimmr AI, a partagé son analyse sur la manière dont l'IA redessine les pratiques artistiques et créatives, ouvrant de nouvelles perspectives pour les industries culturelles. L'essor fulgurant de l'intelligence artificielle (IA) marque une révolution sans précédent au sein des industries culturelles et créatives (ICC). Si cette technologie offre des opportunités inédites, elle pose également de nombreux défis en matière de créativité, d'innovation, et de régulation. Lors d'un débat organisé par la FICC avec l'appui de l'Union européenne, Nadim Sadek, fondateur et CEO de Shimmr AI, a exploré les différentes facettes de cette transformation.
L'IA se présente, selon Sadek, comme un levier d'accélération et d'optimisation des processus créatifs. Contrairement aux idées reçues, elle ne se substitue pas aux créateurs, mais leur offre des outils puissants pour expérimenter et affiner leur vision. Le spécialiste a illustré cette idée en expliquant comment il a utilisé l'IA pour structurer une série d'histoires qu'il avait rédigées au fil du temps. Sans altérer le contenu, l'IA a su organiser ces récits en un arc narratif cohérent, remplissant ainsi un rôle de curateur intelligent.
Cette capacité à proposer des structurations pertinentes en un temps record ouvre de nouvelles perspectives pour les auteurs, scénaristes et créateurs de contenus. L'IA permet une approche itérative, où les idées peuvent être testées et affinées en quelques secondes. Toutefois, cette accélération soulève une question essentielle : jusqu'où l'humain doit-il intervenir pour garantir l'originalité et la valeur ajoutée d'une œuvre ? Selon Sadek, la supervision humaine reste incontournable. À Shimmr AI, chaque image générée par IA fait l'objet de plusieurs itérations, mais c'est toujours un œil humain qui sélectionne la version finale.
Une transformation des codes de perception et d'interprétation
L'IA ne se contente pas d'accélérer la production ; elle modifie également la manière dont les œuvres sont perçues et interprétées. Les contenus générés par IA brouillent les frontières entre le réel et le virtuel, poussant les publics à interroger la notion d'authenticité. Sadek souligne que dans ce nouvel écosystème, l'interprétation humaine devient plus importante que jamais. Ce n'est plus seulement l'œuvre elle-même qui prime, mais la façon dont elle est reçue, contextualisée et analysée.
Les ICC doivent ainsi redéfinir leur rapport au public en tenant compte de cette mutation. L'expérience utilisateur devient centrale : il ne s'agit plus uniquement de proposer un contenu, mais de susciter une réaction, une émotion, une interaction. Dans ce cadre, l'IA peut jouer un rôle déterminant en personnalisant l'offre culturelle selon les préférences des individus. Toutefois, cette hyperpersonnalisation pose des questions éthiques. Le risque est de voir les algorithmes enfermer les consommateurs dans des bulles cognitives, limitant leur exposition à la diversité culturelle.
Une réorganisation des ICC et des nouveaux modèles économiques
Avec l'intégration croissante de l'IA, l'organisation des industries culturelles est en pleine mutation. Les rôles traditionnels sont redéfinis et de nouveaux métiers émergent. Loin de remplacer les créateurs, l'IA les pousse à développer de nouvelles compétences, notamment en matière de supervision et de curation de contenu généré artificiellement.
Le marché du travail est directement impacté par cette transformation. Selon Nadim Sadek, seuls les postes où l'intervention humaine apporte une réelle valeur ajoutée résisteront à l'automatisation. Les fonctions purement exécutives risquent quant à elles de disparaître. Cette évolution nécessite une adaptation rapide des formations et des parcours professionnels au sein des ICC.
D'un point de vue économique, l'IA favorise également la production massive de contenus, ce qui entraîne une baisse des coûts mais aussi une possible dévaluation du travail créatif. Sadek cite ainsi l'exemple de la rédaction : alors que la valeur d'un texte de 1.000 mots était historiquement estimée à 400 dollars, elle est aujourd'hui descendue à seulement quelques centimes. Ce phénomène de « commoditisation » pose un défi majeur pour les créateurs, qui doivent redéfinir leur proposition de valeur dans un marché saturé. Les enjeux juridiques et éthiques de l'IA dans les ICC
L'essor de l'IA soulève de nombreuses interrogations sur la propriété intellectuelle et l'attribution des œuvres. Qui détient les droits sur une création issue d'une intelligence artificielle ? Sadek rappelle qu'en l'état actuel, une œuvre produite uniquement par IA ne peut être protégée par le droit d'auteur. En revanche, dès qu'une intervention humaine est avérée, une revendication devient possible. Cette distinction est essentielle pour les ICC, qui doivent s'assurer d'un cadre juridique clair afin de protéger les créateurs tout en tirant parti des potentialités offertes par l'IA.
Un autre défi majeur concerne l'usage des données pour entraîner les modèles d'IA. Nombre de ces systèmes exploitent des œuvres protégées sans l'autorisation des auteurs. Face à ce constat, des initiatives émergent pour encadrer cette pratique. La plateforme « Creative by Humans » permet par exemple aux créateurs de proposer leurs œuvres sous licence, garantissant ainsi une rémunération équitable et une meilleure traçabilité des contenus.
Enfin, la régulation de l'IA varie selon les pays, ce qui complique la mise en place d'un cadre global harmonisé. Aux Etats-Unis, les débats sont vifs sur la responsabilité des plateformes exploitant des contenus générés par IA, tandis qu'en Europe, la protection des droits des créateurs est un enjeu central des politiques publiques.
Vers une intelligence « alliée » plutôt qu'artificielle
Malgré les défis, Nadim Sadek adopte une vision optimiste de l'IA. Pour lui, il ne s'agit pas d'une intelligence artificielle destinée à supplanter la créativité humaine, mais d'une « intelligence alliée » capable d'augmenter les capacités des créateurs. En utilisant l'IA comme un outil d'expérimentation et de perfectionnement, les ICC peuvent explorer de nouveaux territoires artistiques et démocratiser l'accès à la création.
L'IA ouvre ainsi des perspectives enthousiasmantes : de nouvelles formes d'art émergent, des voix jusqu'alors marginalisées peuvent s'exprimer, et le potentiel créatif devient plus accessible à tous. Cependant, cette révolution nécessite un accompagnement rigoureux pour garantir un équilibre entre innovation technologique et respect des droits des créateurs.