Benhammad et Nejjar sont les héros d'un feuilleton qui élèvera la température caniculaire de cet été encore plus qu'elle ne l'est déjà, et qui fera des gorges chaudes dans les organes de presse sous toutes leurs formes, ceux qui font de l'info, ceux qui font du voyeurisme et ceux qui instrumentalisent les faits dans telle ou telle direction, en faveur de telle ou telle autre chapelle. Mais commençons par le plus facile dans cette histoire, avant de nous atteler à son aspect plus complexe. Ce qui est clair, en effet, est que Omar Benhammad et Fatima Nejjar, deux dirigeants de premier plan du Mouvement Unicité et Réforme, ont fauté en gérant leur relation sentimentale en dehors des conditions légales du mariage ; leur recours au mariage coutumier est une forme d'égotisme et même de narcissisme malvenus au regard de leur position prééminente au sein d'un organisme de prédication et d'éducation religieuses qui affirme haut et fort qu'il appelle à la piété, et qu'il recommande une spiritualité éloignée des approches orientales, bédouines, qui permettent à l'homme de faire à peu près tout ce que requièrent ses instincts, pour répondre à ses envies. C'est pour cette raison que le MUR s'est empressé de rompre toute relation avec ses deux vice-présidents afin de ne pas endosser un comportement déplacé qu'il ne reconnaît pas plus qu'il n'admet et aussi pour ne pas paraître couvrir les agissements de Benhammad et Nejjar. Quant aux concernés, le fait qu'ils roucoulent dans une voiture, en bord de mer et tôt le matin, par la grâce d'un simple acte coutumier, ne sied pas à des gens qui professent et donnent des leçons de bonne conduite, de pudeur et de pudibonderie, mettant en garde les femmes contre les hommes. Il leur appartient désormais de changer de métier et d'en trouver un autre qui réponde plus et mieux à leurs actes dans la réalité, dans la vraie vie. Nous en arrivons aux aspects plus compliqués de cette histoire et qui concernent cette fois les agents de la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) qui ont cerné et arrêté deux citoyens installés dans leur voiture, dégustant un petit-déjeuner face à la mer, admirant le splendide lever du soleil. Benhammad et Nejjar se trouvaient-ils dans une position portant atteinte à la pudeur publique, en pleins ébats sexuels dans une voiture ? Les deux nient cela et il est difficile de croire en quoi que ce soit. Seule la justice, et nul autre qu'elle, pourra trancher entre les deux versions, l'accusation et les dénégations. Dans l'intervalle et dans l'attente de cette décision des juges, il faut rappeler à tous les exigences d'un Etat de droit et du respect de la sacralité de la vie privée prônée par la constitution de ce pays. Il faut aussi rappeler les contraintes de l'action de police et des indications de la politique pénale au Maroc. Le Code pénal dispose en son article 491 qu' « est puni de l'emprisonnement d'un à deux ans toute personne mariée convaincue d'adultère. La poursuite n'est exercée que sur plainte du conjoint offensé ». L'épouse de Benhammad n'a pourtant appris les faits et l'incarcération de son mari à Bouznika, ainsi que sa mise en accusation pour adultère, que suite à l'appel de ce dernier dimanche, directement du poste de la gendarmerie royale, après 5 heures de détention dans les locaux de la BNPJ à Casablanca. Et puis, on peut se poser des questions sur les raisons qui ont conduit une équipe nombreuse de cette même BNPJ à se transporter de Casablanca à Bouznika pour confondre Benhammad et Nejjar, de s'immiscer dans leur intimité et de les accabler de lourdes accusations. Bouznika est sous la juridiction de la gendarmerie et la BNPJ, habituellement, n'agit que dans des affaires sensibles à portée nationale. Il ne lui appartient pas de s'intéresser au degré de sentimentalité entre un homme et une femme. Quelle raison a-t-elle bien pu les mener à se préoccuper de l'idylle des deux responsables du MUR et quel procureur leur a-t-il ordonné de poursuivre, traquer et interpeller les deux personnes ? Ces dernières mettaient-elles donc en péril la sécurité de l'Etat et de la société ? Et on en arrive là, aussi, à nous interroger sur la politique pénale quant aux relations sentimentales et amoureuses entre citoyens, dans l'espace public et aussi privé. Ce que je sais est que le ministère de la Justice et des Libertés a enjoint aux parquets du royaume, aux brigades de police judiciaire qui en relèvent et à tous ceux qui ont une autorité judiciaire à tenir compte du fait que le Maroc a choisi un modèle de société ouverte et que les autorités doivent faire montre de la plus grande retenue et modération face aux questions des relations entre individus, s'empêchant d'investir les domiciles, d'écouter les communications téléphoniques et d'intercepter les messages électroniques, et de n'intervenir que dans le cas d'une plainte déposée par un conjoint trompé ou d'atteinte publique à la pudeur. La justice est aveugle, dit-on, et elle ne doit donc pas se préoccuper des idéologies, des appartenances religieuses et/ou politiques des citoyens. Cela implique, entre autres, qu'un individu confondu pour une quelconque raison ne doit pas être livré à la vindicte publique, à la prédation politique et aux attaques médiatiques. Chaque année, dans le royaume, plus de 35.000 personnes contractent des mariages coutumiers et les parquets ne les poursuivent pas pour débauche. Alors pourquoi Benhammad et Nejjar constitueraient-ils une exception ? Il est certes tout à fait légitime et concevable que les médias, la société civile et les défenseurs des droits critiquent les deux responsables du MUR pour leur double discours, et il est tout à fait sain de leur rappeler, ainsi qu'à tous les islamistes, les dangers de l'atteinte aux libertés individuelles des gens et les périls à donner à l'Etat le droit de s'immiscer dans la vie privée des citoyens et de réclamer des comptes aux adultes pour leurs relations sexuelles librement consenties. Cela n'est l'affaire ni de l'Etat ni de la justice, et ceux qui, aujourd'hui, applaudissent à l'arrestation de Benhammad et de Nejjar tout en se réclamant du camp « moderniste » n'inspirent que la pitié car ils rejoignent ainsi la police des mœurs en Arabie Saoudite et les brigades du Bien et du Mal à Mossoul et à Raqqa. Voici quelques semaines, j'avais dénoncé les attaques menées contre Salaheddine Mezouar et Fouad Ali el Himma et j'avais défendu le droit de chacun à sa vie privée et à ses libertés individuelles, et avant cela, j'avais défendu aussi les droits de Nadia Yassine, de Maâti Monjib et de bien d'autres encore. Et aujourd'hui, je maintiens la même position pour Benhammad et Nejjar, et que celui qui n'ait jamais péché leur jette la première pierre. Cela n'empêche en rien de s'opposer à leurs idées consistant à vouloir importer sur notre sol les pratiques religieuses bédouines. Mais cela ne permet pas pour autant de les jeter en pâture à l'opinion publique, d'éclabousser leurs familles et de mettre en équation leur sécurité et leurs particularités.