Avec cette dernière résolution du Conseil de Sécurité sur le Sahara marocain, nous avons évité le pire, sans rien obtenir de concret. Et le plus étrange est que le ministère des Affaires étrangères, dirigé par pas moins de trois ministres, s'est félicité de cette résolution 2285 alors même qu'elle constitue un véritable coup porté au Maroc pour la question de son intégrité territoriale… Le ministère a même considéré que ce texte est un camouflet flagrant pour le Secrétariat général des Nations Unies, de même qu'il a chaleureusement remercié les membres permanents et non permanents du Conseil de Sécurité pour leur clairvoyance lors du vote de cette résolution qui permet, toujours selon le ministère, de poursuivre sereinement les efforts de l'ONU dans ce dossier. Il y a eu cependant un bémol dans le communiqué du ministère, en l'occurrence ces regrets exprimés envers les Etats-Unis –sans les citer nommément toutefois – qui ont tenu le rôle du pen holder (porte-plume), qui ont rédigé la première mouture de la résolution, laquelle a essayé de faire pression sur le Maroc et de l'affaiblir, ce qui entre en contradiction, toujours selon le communiqué, avec l'esprit de partenariat qui lie les deux Etats. Question : cette politique de communication officielle rassurante et apaisante pour (et envers) l'opinion publique sur la question de son intégrité territoriale sera-t-elle vraiment productive ? Assurément non, et pour cette simple et élémentaire raison qu'il n'y a que la vérité comme voie unique pour la mobilisation populaire dans l'évolution de notre question nationale, pour laquelle il semblerait que nous n'ayons pas d'autre soutien solide que le front intérieur. Et c'est bien cela que le ministère a ignoré, occultant par son communiqué le droit de l'opinion publique à être informée sur ce qui l'attend : 1/ La résolution impose au Maroc, en langage diplomatique certes, le retour de la composante civile de la Minurso, que nous avons expulsée. La seule et légère différence entre la première mouture américaine et le texte final de la résolution est le remplacement du retour immédiat de ces personnels par un délai de trois mois. Une sorte de sortie par le haut pour le Maroc, de volonté de lui sauver la face, sans plus ; 2/ La résolution n'a pas blâmé le secrétaire général de l'ONU pour sa visite dans les camps de Tindouf, pas plus qu'elle ne lui a reproché l'usage du terme « occupation », bien au contraire… Elle l'a félicité, et son Envoyé spécial Christopher Ross avec lui, pour les efforts qu'ils entreprennent et ont entrepris, ce qui les place pour l'avenir dans la position d'arbitres et d'adversaires en même temps ; 3/ La résolution n'évoque pas le référendum comme solution dépassée mais le confirme comme une solution possible, entre autres mesures de sortie du conflit, comme l'autonomie, mais à la condition d'obtenir l'accord des autres parties. Cela est une circonvolution linguistique qui fera perdre tout sens et toute portée à la proposition soumise par le Maroc ; 4/ Les Etats-Unis sont devenus, officiellement, un adversaire du Maroc dans la question du Sahara. Ce sont eux qui ont rédigé la version dure du projet de résolution du Conseil de Sécurité … ce sont eux qui ont lutté contre toutes les tentatives du même Conseil d'adoucir leur première mouture… Et même si, lors du Sommet qui l'avait réuni avec ses pairs du Golfe, Sa Majesté le Roi avait anticipé les choses en dénonçant le complot consistant à morceler le Maroc, visant Washington dans son propos, nous n'avons rien d'autre que nos regrets à opposer à la désormais partialité américaine ; 5/ Dans le même discours royal devant les roi et émirs du Golfe, le souverain avait évoqué le soutien russe comme alternative à l'allié américain. Las… deux mots et deux mots seulement peuvent résumer la position de Moscou au Conseil de Sécurité : la stupeur et la tromperie. La Russie et le Royaume-Uni ont refusé d'adoucir le libellé de la mouture américaine, comme la France le demandait, et le délégué russe a demandé un délai pour consulter son gouvernement, avec comme résultat une abstention de Moscou. Cela signifie que la Russie n'a pas accepté l'adoucissement du texte, mais sans pour autant voter contre car cela serait alors devenu un veto. Et la stupeur avait encore été plus grande quand, dans leur explication de leur vote, les Russes avaient affirmé que mentionner « les efforts sérieux et crédibles » du Maroc pour « aller de l'avant vers un règlement » n'étaient « pas d'actualité » ; 6/ Cette leçon assénée par la Russie est rude, car en dépit d'une visite royale et d'un long entretien entre le roi et Poutine, et malgré l'éventualité d'une volonté d'alliance forte entre le royaume et la Fédération russe, il aura suffi d'une visite éclair du premier ministre algérien Abdelmalek Sellal à Moscou pour que le maître du Kremlin privilégie son ancienne alliance avec Alger, remontant aux temps de la guerre froide, à sa nouvelle amitié avec Rabat ; 7/ La Chine, à son tour, qui a été également évoquée par le roi Mohammed VI à Riyad comme allié de substitution, s'est abstenue lors du vote de la résolution 2285, ce qui nourrit le sentiment désagréable d'alliés mort-nés ; 8/ Que nous le voulions ou non, notre problème n'est plus désormais avec le secrétaire général de l'ONU mais avec l'ONU elle-même, tant qu'elle persiste à n'absolument pas renoncer de considérer que les provinces sahariennes sont sous administration marocaine, et non sous sa souveraineté… tant qu'elle s'attache à penser qu'il existe un peuple sahraoui… tant qu'elle continue à envisager la solution dépassée de l'autodétermination qui passerait par un référendum (et rappelons ici que c'est feu Hassan II qui avait accepté cette idée de la consultation référendaire en 1982)… et tant qu'elle insiste pour n'accoler à la solution de l'autonomie que deux mots qui ne servent à rien, en l'occurrence « sérieuse » et « crédible »… Avec tout ce qui précède, nous autres Marocains devons être conscients de qui nous attend ; 9/ Le conflit du Sahara prend quelquefois la forme d'une humiliation de l'Etat marocain, comme ce retour d'Aminatou Haïdar au Sahara malgré son expulsion pour ne pas avoir accepté la citoyenneté marocaine, comme le maintien de Christopher Ross en fonction en dépit du retrait de la confiance de Rabat pour ce diplomate américain. Et cette tendance à l'humiliation se poursuivra avec le retour de la composante civile de la Minurso… … Ce qui nous conduit à nous poser sérieusement la question : Avons-nous réellement les moyens de notre politique et de nos défis ? Et donc, la réalité aujourd'hui nous dit que nous n'avons d'autre allié véritable que nous-mêmes et notre armée. C'est pour cela que nous devons nous occuper et nous préoccuper de notre front intérieur, ce qui passe par le renforcement de nos choix démocratiques, par l'atténuation des inégalités sociales et par la rupture radicale et accélérée avec la politique de la rente et la culture du chantage au Sahara. Dans l'intervalle, des moments pénibles nous attendent et cela devra commencer par dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité à notre opinion publique.