Finalement, le projet de loi statuant et réprimant les violences contre les femmes a trouvé son chemin dans le circuit institutionnel ; la ministre de la femme, de la famille et du développement social Bassima Hakkaoui en a fait l'annonce à la Chambre des représentants mardi 5 janvier, affirmant que le texte a été remis au Secrétariat général du gouvernement. Mais les choses se compliqueront une fois que le parlement en sera saisi... Les faits, d'abord... Une enquête du Haut-commissariat au Plan avait été réalisée en 2009 et avait indiqué que près de 6 millions de femmes étaient victimes de violences physiques, sexuelles, juridiques et économiques au Maroc. C'était il y a six ans... Et sur cet effectif, 3,4 millions étaient soit battues soit sexuellement abusées ! Pour la députée PAM et ancienne vice-présidente de la Chambre des représentants Khadija Rouissi, interrogée par PanoraPost, 40% du total des femmes victimes de violences renoncent à aller en justice et 50% des plaintes déposées sont classées sans suite par les enquêteurs (police ou justice). Il reste 10% de cas examinés par les tribunaux, avec seuls 2% de jugements en faveur des victimes. De plus, ajoute notre interlocutrice, voici quatre ans, le taux des femmes actives était de 28% de la population féminine. Ce taux n'est plus aujourd'hui que de 25%, ce qui indique que la part des femmes économiquement dépendantes a augmenté de 3%. Pour 2014, La Fédération de la ligue démocratique des droits des femmes (FLDDF) a recensé 2.472 plaintes et 8.432 actes de violences. Et pour la même année toujours, l'association « Oyoune Nissa'iya » a relevé 38.318 cas de femmes violentées, dont 14.400 cas l'ont été dans le cadre de « violences psychologiques » (chantages, menaces, délaissements…), 8.743 cas ont subi des « violences physiques » (coups et blessures), 1.770 ont été victimes de « violences juridiques » (divorces ou pensions qui traînent, contestations de droits…), 12.561 femmes ont connu des « violences économiques » (refus de verser son dû par l'homme, tracasseries financières…) et 844 femmes ont été violées. Une juge de la famille a par ailleurs expliqué à PanoraPost que depuis la promulgation de la Moudawana, « les cas de divorce sont bien plus nombreux que du temps de l'ancien code de la famille. La nouvelle Moudawana a donc favorisé les séparations au lieu d'aider les médiations et de soutenir la préservation des couples ». C'est une magistrate qui dit cela... Que prévoit le nouveau texte de loi ? Le texte n'étant pas encore public, puisque même les députés n'en ont pas encore eu connaissance, dans l'attente de sa programmation en Conseil de gouvernement, PanoraPost a pu obtenir certaines informations, « discrètes et anonymes », précise notre source, tant le sujet semble délicat... Ainsi, seront considérés comme des actes de violence contre les femmes le mauvais usage (et de mauvaise foi) de l'argent familial, le mariage forcé, l'expulsion du domicile conjugal et, bien évidemment, le viol et le harcèlement sexuel. Ces actes seront réprimés comme « crimes », et les condamnations seront plus lourdes si cette violence contre l'épouse est commise en période de grossesse et/ou en présence des enfants. Le projet de loi prévoit également des dispositions comme la prise en charge des femmes victimes de violences dans le cadre de structures centrale et régionales. Les enfants sont aussi concernés par ces centres d'accueil. Le projet introduit également des définitions des actes de violences (coups, blessures, harcèlement, chantage...) et des méthodes précises pour les identifier. C'est en effet le grand problème des femmes victimes de violences que de prouver les exactions dont elles ont été victimes. Faut-il nourrir des inquiétudes sur la qualité et la pertinence de ce texte ? La question est légitime car, ainsi que le faisait remarquer le CNDH dans son rapport sur l'état de l'égalité et la parité, publié le 20 octobre 2015, « la prégnance des stéréotypes de genre (érigeant les différences biologiques en principes de valorisation/dévalorisation) a d'autant plus d'impact dès lors qu'elle concerne des acteurs qui ont pour mandat de protéger et de promouvoir les droits humains des femmes, notamment le législateur, le magistrat et le système de sécurité. Or, ce sont précisément des corps peu féminisés et ayant, souvent, tendance à privilégier la morale et les valeurs patriarcales aux dépens de l'application stricte et équitable des lois en vigueur ». En effet, et avant même d'en arriver à la police puis à la justice, on peut raisonnablement douter de la réelle volonté du gouvernement mené par le PJD de promulguer une loi efficace quant à la protection des femmes contre tous types de violence ; plusieurs raisons à cela : 1/ La ministre Bassima Hakkaoui a, depuis qu'elle est en fonction, c'est-à-dire 4 ans, multiplié les déclarations d'intention mais la loi aura quand même attendu tout ce temps, et elle n'est toujours pas programmée en Conseil de gouvernement. 2/ Les cadres du PJD ont toujours, durant ces 4 ans, privilégié les notions de « médiation » et de « réconciliation des conjoints pour la préservation du couple », au lieu de faire passer une loi sévère, surtout au vu des chiffres exposés supra. Selon des informations venant du PJD même, ce sont des pressions en interne qui auraient présidé au retard de l'élaboration du texte. 3/ Le projet de loi en question n'a pas suivi une démarche participative, les députés n'en ayant pas eu connaissance à ce jour, sachant que la loi-cadre présentée par le PAM à ce sujet a été enterrée. 4/ Le projet, en discussion en 2013, a été curieusement escamoté depuis, au bénéfice de la création d'une commission ministérielle... « Si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission », disait Clemenceau il y a un siècle de cela... 5/ Les associations féminines, bien au fait des arcanes des législations et de leurs institutions, ont démissionné des structures mises en place par le ministère, mettant en cause leur bonne foi. 6/ La ministre avait annoncé voici quelques temps la création de 40 centres d'accueil pour femmes violentées, mais sans préciser leurs lieux... Ce qui avait conduit les associations Injad, Najda, Bat al-Hikma à s'interroger sur la réalité de ces créations. 7/ Last but not least, on se rappelle de l'envolée verbale de Benkirane contre le SG du CNDH Mohamed Sebbar lorsqu'il lui avait incongrument lancé : « Que feriez-vous si vous surpreniez votre femme avec un homme dans votre chambre ? », puis la relance de son ministre de la justice Ramid quand Sebbar avait répondu qu'il s'en remettrait à la justice : « Dieu merci, les Marocains ne sont pas tous d'un sang aussi froid que le vôtre »... On comprend donc mieux pourquoi le projet de loi sur la violence contre les femmes a été élaboré en partenariat avec le ministère de la justice mais non avec le CNDH, pourtant intéressé au premier chef par le problème. Enfin, selon un ministre qui s'est confié, sous réserve d'anonymat, à PanoraPost, « la levée de boucliers au sein de la société contre le retard d'élaboration de la loi et l'adoption d'un texte sur la question par les Algériens a réveillé Benkirane, le plaçant dans une situation intenable »... Sans doute. Attendons donc de connaître les détails du texte de Bassima Hakkaoui.