La loi sur les violences faites aux femmes continue de susciter la polémique, même après son adoption le 14 février dernier. Alors que le gouvernement jubile d'avoir enfin sorti cette loi qui comporte un certain nombre d'avancées, le mouvement féministe affiche sa frustration. Très attendue depuis de longues années, la loi portant sur la lutte contre les violences faites aux femmes a enfin vu le jour. Elle précise les actes de violence à l'encontre des femmes et incrimine certains actes considérés comme une forme d'exploitation sexuelle, de mauvais traitement ou d'agression. De sévères sanctions sont prévues en cas de circonstance aggravante, notamment contre la femme enceinte, l'épouse ou la femme divorcée. Le texte pénalise pour la première fois le mariage forcé ainsi que l'expulsion du domicile conjugal... Bassima El Hakkaoui, la ministre ayant porté ce texte, affiche sa fierté de cette avancée en matière de protection des droits des femmes. Cependant, la loi est loin de faire l'unanimité. Les associations critiquent vertement la mouture finale, reprochant au gouvernement de n'avoir pris en considération ni leurs propositions, ni les recommandations phares du Conseil national des droits de l'Homme. «C'est une réforme "cosmétique", conservatrice, insuffisante pour combattre le fléau des violences faites aux femmes», d'après la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH), l'Association marocaine des droits de l'Homme (AMDH) et l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM). Dans un communiqué conjoint publié au lendemain de l'adoption définitive de cette loi, ces associations énumèrent les lacunes du texte, à commencer par la définition des violences faites aux femmes, qui ne prend pas en compte les standards internationaux et qui n'est pas conforme aux engagements internationaux pris par le Maroc en matière d'égalité des genres. Le texte se réfère à des concepts conservateurs tels que l'«atteinte à la pudeur publique» ou à la «morale». L'une des lacunes les plus graves, selon les acteurs associatifs, concerne l'absence de pénalisation du viol conjugal. En outre, la loi réprime les mariages précoces, mais permet en même temps aux juges de délivrer des exemptions et rallonge le délai de cinq à dix ans pour la régularisation de mariages informels (qui sont souvent des mariages coutumiers avec des mineures). De plus, cette loi prévoit l'ajout de trois nouveaux articles au Code pénal (Articles 481-1, 503-2-1 et 526-1), qui permettraient l'abandon et l'annulation de toute poursuite judiciaire si la victime en exprime le souhait. De telles dispositions seraient susceptibles d'augmenter les risques pour la victime, qui pourrait subir des pressions ou des formes de chantage la poussant à demander l'abandon des charges. De fait, les femmes violentées abandonnent leur plainte en raison de pressions familiales. Ce point a été soulevé durant les débats parlementaires. Certains députés avaient, en effet, appelé à la nécessité de maintenir la poursuite même en cas de retrait de la plainte pour mettre fin à l'impunité et prévenir la violence. Une autre critique a trait à l'insuffisance du dispositif de protection des femmes qui portent plainte pour violence. La loi limite la capacité des associations à se constituer partie civile dans les affaires de violences alors qu'il s'avère nécessaire de renforcer et de faciliter l'implication de la société civile. Les défenseurs des droits des femmes reprochent à la nouvelle loi de limiter la marge de manœuvre des associations dans les affaires de violence à l'égard des femmes en stipulant un accord écrit de la victime. Or, celle-ci peut se trouver dans l'incapacité physique ou mentale d'octroyer cette autorisation, ou faire l'objet de pressions de la part de son entourage. Les associations affichent leur détermination à rester mobilisées en faveur de l'adoption d'une véritable loi intégrale de lutte contre les violences faites aux femmes. Celle-ci devra être basée sur une approche globale de la violence à l'égard des femmes dans l'espace public et l'espace privé, et fournir une définition complète de toutes les formes de violences conformément aux standards internationaux. Le législateur est appelé à prendre en considération plusieurs points-clés. Il s'agit notamment de la nécessité d'aborder à la fois la prévention des violences (y compris la sensibilisation de l'ensemble des acteurs concernés), le soutien aux victimes, et la garantie de leur accès à la justice et à des réparations. Il faut aussi clairement définir les responsabilités des différents organes de l'Etat concernant la mise en œuvre des dispositions de la loi et prévoir l'octroi de moyens financiers à même de garantir une application effective de la loi. En dépit des critiques virulentes, le gouvernement se félicite des dispositions de ce texte qui vise à remédier aux limites de l'arsenal juridique en vigueur en matière de protection des femmes victimes de violences.