Par Youssef Oubejja ( Juriste et économiste) Les multiples chocs frappant l'économie mondiale provoquent des effets dévastateurs. La croissance mondiale devrait passer de 6,1 % en 2021 à 3,6 % en 2022, et l'inflation reste très élevée. En venant s'ajouter aux dégâts causés par la pandémie de COVID-19 qui continue de sévir, l'intervention russe en Ukraine a accentué le ralentissement de l'économie mondiale tout en exacerbant l'inflation. La guerre a entraîné une hausse des prix des denrées alimentaires et des produits de base, amplifié les difficultés d'approvisionnement des entreprises, et aggravé les tensions inflationnistes à l'échelle mondiale. On table désormais sur un ralentissement sensible de la croissance du PIB mondial et une inflation prolongée. Le choc causé par la guerre se transmettra de manière différenciée selon les pays, en fonction de leurs liens commerciaux et financiers, de leur sensibilité aux augmentations des cours des produits de base et de l'intensité de la poussée d'inflation préexistante. Par conséquent, la politique monétaire à mettre en œuvre pour répondre à ce choc ne sera pas la même d'un pays à l'autre. La révision à la baisse des prévisions est générale et importante dans tous les rapports des organisations internationales. Selon le FMI, la croissance mondiale devrait passer de 6,1 % en 2021 à 3,6 % en 2022 et 2023, soit 0,8 et 0,2 point de pourcentage de moins que ce qui avait été envisagé en janvier. Après 2023, la croissance mondiale devrait baisser et s'établir à environ 3,3 % à moyen terme. La croissance serait de 3,3% dans les pays développés et de 3,8% dans les pays émergents et pays en développement. L'écart de croissance entre les deux groupes de pays se resserre, traduisant les difficultés des pays en développement. L'inflation avait déjà bondi dans de nombreux pays avant la guerre, en raison de la forte hausse des prix des produits de base et des déséquilibres entre l'offre et la demande engendrés par la pandémie. Les tensions inflationnistes ont pris encore de l'ampleur avec la guerre et l'inflation devrait rester élevée plus longtemps que ce qui était prévu antérieurement. D'après les projections du FMI, l'inflation devrait atteindre 5,7 % dans les pays avancés et 8,7 % dans les pays émergents et les pays en développement en 2022, soit 1,8 et 2,8 points de pourcentage au-dessus des niveaux projetés en janvier respectivement. Les organisations financières internationales attirent l'attention sur le fait que les banques centrales devront parvenir à un équilibre délicat permettant de maintenir l'inflation sous contrôle tout en préservant le rebond économique de l'après-pandémie, notamment là où la reprise n'est pas encore totale. → Lire aussi : Inflation : l'Afrique en lutte pour maîtriser la flambée des prix Dans ce contexte incertain, les pouvoirs publics font face à des arbitrages difficiles de politique économique. Il s'agit d'une part de lutter contre l'inflation sans pénaliser la reprise et, d'autre part d'aider les populations vulnérables pénalisées par la hausse des prix tout en reconstituant une marge de manœuvre budgétaire. La conduite de la politique monétaire et de la politique budgétaire devrait en principe se faire de manière différenciée selon les pays en fonction de l'exposition à la guerre, de l'évolution de la pandémie et de la vigueur de la reprise. Dans le contexte européen où l'inflation affiche 8,6% et dépassant 20% dans certains pays, la Banque centrale européenne a officialisé la première hausse des taux d'intérêt depuis 11 ans. Ainsi dès le 27 juillet, les taux d'intérêt des opérations principales de refinancement, de la facilité de prêt marginal et de la facilité de dépôt seront relevés à respectivement à 0, 50%, 0,75%, 0,00%. Les trois principaux taux subissent une hausse de 50 points de base (0,5%). Face cette montée de l'inflation, la politique monétaire dans les pays développés, émergents et en développement parait de plus en plus synchronisée. Selon le FMI, plus des trois quarts des Banques centrales ont augmenté les taux d'intérêt, à 3,8 reprises en moyenne. Toutefois le Maroc fait exception n'ayant pas augmenté son taux directeur en raison d'une inflation qui devrait revenir à un niveau plus raisonnable en 2023. Les autorités monétaires du pays restent soucieuses de préserver les conditions d'accès aux crédits, pour favoriser la relance. Ainsi pour Bank Al-Maghrib, deux données majeures ont favorisé le maintien du taux directeur inchangé à 1,50% en juin dernier. Il s'agit de la croissance atone de 1,3% attendue cette année précédé d'un rebond qui avait atteint 7,9% en 2021. S'ajoute à cela le retour prévu et souhaité de l'inflation dans notre pays à des niveaux modérés en 2023 à 2%, après 5,3% en 2022. Pour le Haut-commissaire au Plan (HCP), lors de sa présentation du Budget économique exploratoire (BEE) 2023, il prévoit que la politique monétaire en 2022 devrait rester accommodante malgré la montée en flèche de l'inflation, priorisant le soutien d'une économie affaiblie par les crises sanitaires et géopolitiques, et par les conditions climatiques défavorables. Ainsi, le maintien du taux directeur à 1,5% devrait continuer de préserver les conditions d'accès aux crédits. L'une des principales raisons qui ont poussé BAM à maintenir le taux directeur inchangé revient au contexte marqué par un allégement du déficit budgétaire. En effet les craintes initiales de détérioration du déficit budgétaire semblent se dissiper pour le moment (-6,3% du PIB vs. -5,9% prévu par la LF 2022) puisque les finances publiques affichent une résilience à toute épreuve avec un déficit en allègement à -11,5 Mds de DH (contre -21,7 Mds de DH à la même période une année auparavant), résultant essentiellement de l'amélioration des recettes ordinaires, même si les dépenses de compensation continuent de progresser pour atteindre 12,4 Mds de DH (+73%). Cette résilience des finances publiques dans notre pays constitue un avantage de grande taille à plusieurs égards. Ainsi les pouvoirs publics manifestent une certaine mise en garde contre le recours systématique à la dette extérieure. Ils se gardent à être de bons payeurs le cas échéant. Cela se vérifie amplement notamment lorsque les autorités ont eu recours à leur ligne de crédit auprès de la Banque mondiale lors du début la crise du coronavirus, tout en veillant à rembourser une bonne partie du crédit consenti, ce qui a allégé la dette publique. A l'opposé les niveaux d'endettement atteignent des sommets historiques dans de nombreux pays notamment en temps de crise. La quasi-totalité de ces pays ont ralenti leurs projets d'assainissement budgétaire pour l'année en cours du fait de la guerre en Ukraine et de l'envolée des prix de l'énergie. À court terme, il nous semble que la politique budgétaire devrait remédier aux effets négatifs du renchérissement de l'énergie sur la redistribution, sans nuire à la viabilité des finances publiques ni à la transition vers la neutralité carbone. Dans les pays connaissant de fortes hausses des prix y compris le Royaume, il est recommandé de mettre en place une aide au revenu ciblée pour atténuer la pression sur le budget des ménages. L'aide devrait toutefois être conçue de manière à soulager au maximum les groupes les plus vulnérables à moindre coût, par exemple en appliquant des critères de ressources et en procédant à un retrait progressif de l'aide en fonction des revenus. Si les transferts liés à la pandémie devront être progressivement retirées pour reconstituer un espace budgétaire, les entreprises touchées par les perturbations liées à la guerre (notamment les pénuries d'intrants ou l'accès réduit aux crédits commerciaux) peuvent avoir besoin d'une aide temporaire et ciblée sous forme de garanties de crédit ou de transferts. La reprise de l'activité économique et l'accommodation des conditions monétaires n'ont pas pu freiner l'inflation importée qui reste à des niveaux record depuis le début de l'année, néanmoins il est incontestable que la hausse des prix de l'énergie et des produits de base qui accentue le taux d'inflation n'est aucunement d'origine monétaire dans notre pays. Nous espérons un retour d'une bonne campagne agricole en 2023 pour atténuer les effets de l'inflation ainsi qu'une croissance en adéquation avec les objectifs tracés par le gouvernement. Les fruits de cette croissance devraient à notre sens être redistribués de manière priorisée en prenant en compte les catégories les plus vulnérables.