Le rejet par la conférence de la Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction (CITES), actuellement en réunion à Doha, d'une proposition d'interdire la commercialisation du thon rouge, a soudain braqué les projecteurs sur une autre organisation: La Commission Internationale pour la Conservation des Thonidés de l'Atlantique (ICCAT). Par Mohamed REDDADI Dans les coulisses de la CITES, la phrase qui revient en effet dans la bouche des observateurs depuis le vote qui a rejeté jeudi la proposition de Monaco demandant l'inscription du thon rouge sur la liste des espèces interdites à la commercialisation, c'est dire que "la balle est désormais dans le camp de l'ICCAT". Et celle-ci n'est autre qu'un cartel de 48 pays pêcheurs, dont l'Union européenne en tant que membre unique représentant ses 27 Etats. L'existence et les attributions de l'ICCAT, créée en 1966 et dont le secrétariat exécutif est basé à Madrid, ont constitué les arguments massues que la majorité des membres de la CITES ont évoqués pour contrer le projet d'interdire le commerce international du thon rouge. Pêcheurs et consommateurs se sont ainsi ligués pour affirmer qu'il faut laisser à l'ICCAT, jugée plus proche des réalités de la pêche, le soin de décider du sort de ce poisson migrateur très prisé dans la gastronomie mondiale, japonaise en particulier. Un autre argument retient cependant l'attention, c'est que l'introduction d'une espèce, telle que le thon rouge, dans la première annexe de la CITES, qui était l'enjeu à Doha, ne pouvait aucunement en arrêter la pêche, mais seulement la commercialisation internationale. Combien même cette commercialisation internationale serait-elle interdite, que la pêche pourrait se poursuivre au profit d'une commercialisation possiblement intense sur de grands marchés internes comme ceux de l'Union Européenne ou du Japon. De l'avis de nombre d'observateurs, il y a là non seulement incertitude quant à l'efficacité d'une telle protection voulue pour l'espèce, mais surtout un risque d'iniquité que certaines nations ne sont pas prêtes à se laisser subir. Grand pêcheur de thon rouge, le Maroc est l'un des principaux membres de l'ICCAT. Mais il serait inutile de chercher ce poisson dans nos ports ou nos criées, car il s'agit d'un des poissons les plus précieux. Les agences de presse et les journaux rapportent souvent des ventes où un seul poisson, lourd de plusieurs quintaux, se vend à des dizaines de milliers de dollars. Madragues et senneurs dirigent entièrement leurs captures à l'export, générant devises et emplois. Des pays de l'UE font concurrence au Royaume, avec une production renforcée par des fermes d'élevage et un fort ciblage des grands marchés européen et japonais. Mais, outre les arguments procéduraux, le doute sur la véracité même d'une menace d'extinction du thon rouge a également prévalu. "Non, on ne peut pas parler de menace d'extinction", a affirmé à la MAP le Marocain Driss Meski, expert et Secrétaire exécutif de l'ICCAT, pour qui il existe certes "une surpêche que tous les scientifiques admettent, mais les critères qui peuvent être appliqués à une population en danger ne s'appliquent pas pour l'instant au thon rouge". Et le Secrétaire Exécutif de citer les nombreuses mesures protectrices que ne cesse de prendre l'ICCAT, notamment depuis 2006, avec en particulier la présence d'observateurs internationaux à bord des navires et l'exigence d'une "transparence totale" dans les évaluations des captures et des livraisons, en usant de documents de douane reproduits sur le site Internet de l'ICCAT pour faciliter les vérifications. En même temps, l'ICCAT a exigé des navires d'être dotés du système de localisation GPS, ainsi que la réduction drastique de la flotte thonière (-25 pc) et des plafonds de pêche, tombés de 30.000 T à 13.500 T en 4 ans. De même qu'elle a interdit la capture de thons de moins de 30 kg, et surtout ramené de deux à seulement un mois le temps de pêche, permise dès cette année du 15 mai au 15 juin seulement. De surcroît, les pêcheurs en mer, tout comme les chasseurs en terre, veulent se présenter comme régulateurs des espèces, et par là comme porteurs d'une mission de protection de l'environnement. Mais les défenseurs des espèces ne semblent pas trop croire en ces efforts. Pour le délégué de Monaco, Patrick Van Klavern, l'ICCAT "n'est pas du tout suffisante". N'ayant été dissuadé que par le verdict d'un vote qu'il a jugé "inconvenant", il dit espérer seulement que l'initiative de son pays puisse "apporter davantage d'énergie à l'ICCAT qui se trouve maintenant devant un grand challenge". Le diplomate monégasque cite les scientifiques, y compris ceux de l'ICCAT, pour affirmer que si l'on veut atteindre une chance sur deux de voir les stocks retrouver une productivité maximale d'ici 2023, il faudrait réduire le plafond de pêche non pas aux 13.500 tonnes/an actuelles, mais à 8000 t/an seulement. "L'ICCAT se voit ainsi remettre la responsabilité de la gestion durable du thon rouge, et les Etats membres disent lui faire grandement confiance", fait remarquer, également à la MAP, M. Van Klavern, avant d'ajouter: "mais cela veut dire une grande confiance en eux-mêmes. On va suivre et on verra". La balle est donc bel et bien dans le camp de l'organisation de M. Driss Meski. L'ancien fonctionnaire du ministère des Pêches du Maroc en est évidemment conscient, au point même qu'il s'en félicite, car, dit-il, "cela va nous aider, en mieux sensibilisant les parties contractantes, à se conformer aux mesures de l'ICCAT et à respecter les avis scientifiques". Il rappelle ainsi qu'une nouvelle évaluation des stocks est prévue pour septembre 2010, et que la réunion annuelle de son Organisation se tiendra en novembre à Paris. "C'est alors que des décisions seront prises", dit-t-il, avant d'ajouter: "Oui, la balle est bien dans le camp de l'ICCAT, mais cela veut dire aussi que la question est entre les mains des Etats membres". Car, l'évaluation des stocks se fait toujours sur la base des données qu'ils fournissent eux-mêmes".