Plus qu'un roman autobiographique, "La Renaicendre ou mémoires d'une Marocaine juive et patriotique" de Nicole Elgrissy Banon se présente, à bien des égards, comme une ode tissée d'amour et de passions, de larmes chaudes et de nostalgie dévorante à la gloire de la Patrie, sa grandeur et ses splendeurs, sa chaleur et ses senteurs. Par Leila El Ouadi Dans son premier ouvrage, Nicole Elgrissy revisite avec un rare courage un pan entier des circonstances de l'exode entamé, dans les années 60 du siècle dernier, par certains de ses concitoyens marocains de confession juive, pourtant, enracinés dans ce pays depuis des milliers d'années. Le livre, écrit sous forme de kaléidoscope composé d'histoires drôles et de réminiscences éparses, s'adresse autant à ceux bernés par un départ arraché à la recherche d'un Eldorado imaginaire qu'à ceux qui, comme Nicole, ont vaincu les peurs et les appréhensions et ont choisi de rester, de rester attachés à leurs racines, dans ce même pays qui fut, de tout temps, un modèle de paix et de tolérance et une terre d'accueil et de cohabitation tranquille et intelligente entre juifs et musulmans. Le verbe concis et raffiné, le style simple, limpide, mais pénétrant, Nicole alterne humour décapant et tournures de phrases dont elle a le secret pour emporter le lecteur, au gré de péripéties narratives savamment élaborées, dans un jeu subtil de miroirs et de mémoires et parvient, tour à tour à émouvoir, à faire sourire, à arracher des éclats de rire et parfois même à attrister lorsqu'elle évoque des événements douloureux. Ainsi en est-il de ces souvenirs lointains, et pourtant si proches, de l'enfant qu'elle fut et qui passait ses journées à jouer avec ses semblables nés de parents musulmans et de ces scènes où des familles, toutes confessions confondues, pouvaient faire la fête réunies autour des mêmes repas et s'évertuaient à voler à la rescousse d'un voisin traversant un moment d'adversité ou de malheur. Au fil des 334 pages (format moyen) de cet ouvrage, l'auteur porte la brûlure de ses interrogations sur les raisons profondes ayant présidé au départ de ses coreligionnaires de confession juive et de leur éparpillement à travers les pays du monde, au risque de sacrifier dans la précipitation ce qu'ils ont de plus cher en eux, leur marocanité. Sur ce volet précisément, elle constate que le départ des Marocains juifs (1967/1990) a été attisé par un climat de peur créé autour conflit arabo-israélien et les conséquences qui en ont découlé sur la région du Proche-Orient, ainsi que par les craintes et appréhensions d'actes isolés qui, somme toute, n'ont jamais été dans la tradition de leurs compatriotes de confession musulmane et qui restèrent du domaine des rumeurs. "Personne n'a demandé aux Marocains juifs de partir et personne ne leur a fait sentir qu'ils n'étaient pas chez eux. Mais, la rumeur qui s'était propagée telle une traînée de poudre a poussé nombre d'entre eux à prendre la décision difficile et à laisser derrière eux, leur passé, leurs souvenirs, leurs amis et leurs familles", affirme l'auteur dans une déclaration à la MAP. Aujourd'hui et après toutes les années passées, renchérit-elle, "je me devais de revenir sur ce sujet, moi qui n'ai jamais quitté mon pays et qui ai décidé d'y rester. J'ai senti que je devais crever l'abcès pour pouvoir, au moins moi-même, en guérir complètement". Sur la même lancée, elle explique que ceux parmi les Marocains juifs qui ont fait le choix de partir ne se sont jamais départis de leur culture et de leur civilisation marocaines et qu'ils ont emporté, en eux et avec eux, leur musique ancestrale, leur artisanat authentique, leur art culinaire, leurs bijoux ciselés avec patience et passion et leur langage hébreu naturellement serti de dialecte marocain. Mais, le plus important c'est qu'ils ont emporté en eux et avec eux un mode de vie et des codes d'expression si spéciaux et si uniques, qui font toujours la particularité de cet humour typiquement "marocain" et que seule l'écrivaine a l'art et la manière de maîtriser jusqu'au bout. Avec verve et maestria et un sens aigu des détails, elle raconte comment des oncles, des tantes, des cousines et cousins et des voisins ont quitté le Maroc en pleurs, et décrit avec force et tendresse l'amertume et le chagrin que ces départs ont légués à ceux qui sont restés. Avec autant de courage que de dérision (et d'autodérision par endroits), elle jette un regard cinglant sur les circonstances de ces départs ayant laissé des familles déchirées et causé tant de larmes et de désespoir dans le sillage de ces séparations forcées, avant d'évoquer les désillusions de tous ceux qui sont partis à la recherche d'une Terre promise, qui s'est avérée un simple mirage. Usant du même procédé stylistique, l'auteur n'oublie ni ceux-là même qui se sont retrouvés piégés après avoir brûlé leurs attaches en vendant tous leurs biens dans leur pays d'origine, ni ses autres compatriotes marocains qui ont émigré en Europe où ils souffrent le martyr dans un continent, plus que jamais, en proie à une crise d'identité. Pour elle, les Marocains musulmans émigrés en Europe, tout comme leurs compatriotes juifs partis à la recherche d'une Terre promise, ont tous les travers de "Santiago", le personnage principal de "L'Alchimiste", le roman du célèbre écrivain brésilien Paulo Coelho. Ils se seraient vainement usé, à l'instar de ce berger du sud espagnol qui a du parcourir plaines et déserts, dans un long et pénible périple, entamé au Maroc, à la recherche d'un trésor qui ne se trouvait nulle part ailleurs que dans son village natal, son point de départ, son ultime ancrage. Un peu à l'image d'un Santiago assagi, Nicole Elgrissy Banon croit que le trésor véridique et le bonheur réel ne se trouvent que dans la contrée qui a bercé ses rêves d'enfance et l'a vue naître et grandir, là où la montagne et le vent s'échangent les murmures, où le soleil doux compose au quotidien plein de poèmes et où deux mers, la Méditerranée et l'Atlantique, se rencontrent sans se faire mal. Et pour cause, soutient l'écrivaine, le bonheur, n'étant qu'un processus ciselé et affiné au quotidien avec beaucoup de soins et de patience, pourrait peut-être atteint, une fois que l'individu serait parvenu à s'accaparer, enfin, de son objet de désir. Reste à savoir comment ceux qui ont quitté, malgré eux, un pays comme le Maroc parviendraient-ils à se départir d'un amour impossible? Pour elle, le Maroc est bien trop grand pour être réduit à l'image d'un pays ensoleillé, aux rivages vierges, aux montagnes couronnées de neige, aux ondulations dorées des sables désertiques et à l'ambiance féerique et festive de Marrakech. Quoique réel, ce descriptif ne saurait rendre compte de l'esprit spontané qui anime les petites gens, de cette chaleur humaine qui, à la faveur d'une invisible alchimie, transcende ruelles et quartiers, de ces odeurs d'épices tenaces et envoutantes et, encore moins, de cette faculté exceptionnelle à faire la fête. Le nombre des Marocain juifs a, certes, considérablement diminué par rapport aux années 60 (près de 3.000 personnes actuellement). Mais, rien n'a changé dans l'entretemps, puisque les lieux de culte sont toujours là à exprimer, avec grandeur et sublimité, les termes d'une cohabitation légendaire et d'une fraternité exemplaire, et les tribunaux juifs rendent toujours leurs jugements au nom de Sa Majesté le Roi, faisant du Maroc un pays exceptionnel en la matière. A cet égard, l'écrivaine s'est fièrement félicitée de la haute sollicitude dont les souverains marocains ont entouré leurs sujets de confession juive, rappelant que le Maroc, alors sous protectorat français, avait par la voix de feu SM Mohammed V opposé un refus catégorique aux pressions racistes que le gouvernement de Vichy voulait faire subir aux Juifs marocains, en octobre 1940. Selon l'auteur, le Maroc restera pour les juifs, ayant vécu depuis 4000 ans dans ce pays qui compte 640 mausolées rendant l'écho de leurs saints, une terre d'accueil non seulement pour les Marocains de confession juive, mais pour tous les juifs du monde et de la diaspora désireux de vivre, autrement, un retour aux sources, un retour à la chaleur humaine. Mère de trois enfants, Nicole Elgrissy Banon (52 ans) compte revenir à la charge avec un nouvel ouvrage dans une tentative de contribuer à la réconciliation des Marocains juifs des ailleurs avec leur pays d'origine. Baccalauréat en poche, Nicole est partie en France où elle a fait des études supérieures en marketing pour revenir au bercail où elle a fait sa carrière dans le secteur de la publicité et de la communication, avant de se lancer, il y a 11 ans, dans une aventure propre à elle qui consiste en un projet d'animation culturelle et artistique pour enfants.