Mercredi dernier, le chef du gouvernement désigné, Saâd Eddine El Othmani , a présenté durant une heure et demi la Déclaration gouvernementale devant les deux chambres réunies du Parlement à Rabat . Cette feuille de route doit être discutée dans chaque chambre séparément : ce lundi chez les députés, puis le lendemain mardi à la Chambre des Conseillers. Ce programme gouvernemental qui sera par la suite soumis au vote de la seule Chambre des Représentants, comporte cinq axes. Cinq volets principaux Le premier a trait à l'appui du choix démocratique, au renforcement de l'Etat de droit et de la mise en oeuvre de la régionalisation avancée. Le second est relatif au renforcement des valeurs de la transparence, de la réforme de l'administration et de la consécration de la bonne gouvernance. Le troisième axe porte sur le développement du modèle économique, la promotion de l'emploi et du développement durable, alors que le quatrième volet a trait au renforcement du développement humain, de la cohésion sociale et spatiale. Le cinquième axe enfin, concerne le renforcement du rayonnement international au service de ses causes justes dans le monde. C'est au travers de ces axes que les dossiers de l'immigration au Maroc et celui des Marocains du Monde ont été évoqués, avec certaines mesures les concernant, mais avec des formulations plus ou moins imprécises comme on le verra, et n'engageant pas expressément le nouvel Exécutif. Les Affaires de la migration Concernant le premier dossier, une indication générale mais très vague a été formulée. Il s'agit de la poursuite de l'opérationnalisation de la Stratégie Nationale en matière d'immigration et d'asile , avec notamment le renforcement des mesures destinées à permettre aux immigrés de bénéficier de tous leurs droits qui leur sont reconnus dans les pactes internationaux souscrits par le Maroc , et plus particulièrement dans le domaine de la santé et de l'enseignement. Mais rien de précis n'a été avancé sur le Ramed . De même, comme mesure très urgente, rien n'a été dit sur la nécessité de finaliser au plus vite la loi sur l'asile et la réforme en profondeur de la loi 02-03 du 11 novembre 2003 sur l'immigration étrangère au Maroc. Par ailleurs, aucun engagement concret n'a été pris par le nouveau gouvernement pour appliquer lors des prochaines élections communales, l'article 30 de la Constitution permettant aux étrangers, à certaines conditions, d'exercer le droit de vote aux élections locales. Le dossier MRE Concernant le dossier des citoyens marocains établis à l'étranger, l'engagement est pris par le gouvernement El Othmani d'opérationnaliser les dispositions de la Constitution concernant la participation des Marocains du Monde dans les institutions nationales, mais sans préciser expressément qu'il s'agit aussi de la représentation parlementaire des MRE lors des prochaines élections législatives . Si en introduction, la Déclaration affirme que le programme gouvernemental "répond aux attentes des citoyennes et des citoyens marocains de l'intérieur et de l'extérieur", un constat s'impose. Tout se passe comme si les MRE n'avaient aucune attente démocratique ni aspiration politique par rapport au Maroc, alors que la question de leur représentation à la Chambre des députés reste entièrement posée, en dépit de l'article 17 de la constitution rénovée en 2011 et de nombreux discours royaux, dont ceux du 6 novembre 2005 et du 20 août 2012. Dans ce dernier discours correspondant au 59ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple , l'engagement solennel suivant était pris en direction des générations montantes de MRE : " nous veillerons à donner pleine effectivité aux dispositions de la Constitution qui vous assurent une participation aussi étendue que possible à la construction du Maroc de demain , et une présence active dans les instances dirigeantes nouvelles " . Cette construction du Maroc se faisant à notre sens, non seulement au plan économique, social, culturel, mais également au niveau démocratique et politique. Si le nouveau gouvernement ne s'est nullement engagé formellement sur ce dernier terrain , cela veut dire que sa conception de la citoyenneté marocaine s'agissant de nos compatriotes établis à l'étranger , reste étriquée , et sa responsabilité à travers toutes les composantes de l'actuelle majorité ( PJD , RNI , MP , UC , USFP , PPS ) , est pleinement engagée dans ce déni insupportable de citoyenneté . L'opposition parlementaire, principalement les groupes du PAM et du Parti de l'Istiqlal dans les deux chambres, ainsi que les groupes et groupements syndicaux à la Chambre des Conseillers relèveront-ils le défi, même si le vote de la Déclaration gouvernementale n'a lieu qu'à la première Chambre !? Précisons ici un élément très important. À la fin de la dernière législature , à l'occasion du vote de la nouvelle loi organique relative à la Chambre des Représentants qui allait être renouvelée lors du scrutin législatif du 7 octobre 2016 , seuls les députés istiqlaliens ont maintenu , défendu et voté jusqu'en séance plénière finale les amendements du groupe parlementaire istiqlalien tendant à l'élection de député(e)s MRE , à partir de circonscriptions électorales législatives de l'étranger . Sur un autre plan, la nécessité exprimée par le gouvernement El Othmani d'activer la finalisation de la loi portant création du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME), n'est nullement assortie d'une échéance précise. Sur ce point , certaines des propositions de lois destinées à opérationaliser l'article 163 de la constitution relatif à ce Conseil , vont-elles être déposées à nouveau par certains groupes parlementaires, ou bien va t-on attendre le projet de loi gouvernemental en la matière, sachant qu'à la fin de chaque législature, le compteur est remis à zéro concernant les propositions et les projets de lois !? Par conséquent, hâter l'institution du nouveau CCME qui connaît actuellement de multiples dysfonctionnements et n'assume nullement ses fonctions consultative et prospective, dépend aussi bien du nouveau gouvernement, que des parlementaires des deux chambres. Par ailleurs , dans un document daté du mois de septembre 2016 , faisant le bilan de son action durant la période 2013-2016 ( cabinet Benkirane II), le ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration prétend qu'il "a milité pour la prise en considération de la participation des MRE dans les lois lors de la création de ces instances" consultatives et de bonne gouvernance , alors que sa propre élaboration du projet de loi portant création du CCME ( qui n'a pas dépassé le stade du secrétariat général du gouvernement ), s'est faite en vase clos , sans consultation aucune de la société civile MRE. Identité culturelle et religieuse des jeunes MRE : que faire ? Le programme présenté par le chef du gouvernement désigné, indique sur un autre plan que le gouvernement sera au service des Marocains du Monde, qu'il défendra notamment leur identité culturelle et religieuse. Ce faisant, la Déclaration gouvernementale ne fait que reprendre à son compte certains éléments de la formulation de l'article 16 de la Constitution, mais sans envisager de mesures concrètes précises concernant la protection de l'identité culturelle et religieuse. Ainsi rien n'est dit sur les réformes à introduire concernant les institutions chargées en partie de ces dimensions : aucun engagement n'est pris à propos de la nécessaire refonte de la loi relative à la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger, qui s'occupe des aspects éducatifs liés à l'enseignement de l'arabe (et de l'amazigh) et de la culture marocaine aux générations montantes de MRE. Cette institution restera t-elle sans révision profonde de la loi la régissant ( loi n'°19/89), alors qu'il y'a 19 ans de cela (dix neuf ans !!!), fin avril 2008, le Premier ministre de l'alternance consensuelle, Abderrahmane El Youssoufi, s'était engagé publiquement, mais sans suite, à réformer son statut en affirmant ceci lors du débat à la Chambre des Conseillers sur la Déclaration de politique générale du gouvernement : " En vue de défendre les intérêts matériels et moraux des Marocains résidant à l'étranger et en application des hautes directives royales, le gouvernement dotera la Fondation Hassan II des Marocains résidant à l'étranger d'un nouveau statut pour lui permettre d'accomplir sa mission dans le cadre de l'application de cet aspect important du programme gouvernemental." Par conséquent, la réforme de cette institution nationale aurait dû être menée depuis bien longtemps. Cependant, même dans le cadre du "Plan Législatif" élaboré par l'équipe Benkirane, l'idée ne semble même pas l'avoir effleurée , en dépit de l'apport du débat public. Voilà pourquoi, il devient très urgent que la "commission chargée de l'actualisation des textes, en collaboration avec les départements concernés", annoncée par le chef du gouvernement désigné pour actualiser les textes de lois en vigueur, se penche sérieusement sur le cas de la Fondation Hassan II pour les MRE. Nécessité d'analyses responsables et objectives, non complaisantes À ce sujet , on ne peut suivre les conclusions d'un "relevé du terrain" qui part soi disant du "concret" , du "réel" , préférant "parler avec coeur de là où le bas blesse" et non pas de manière "académique, intellectuelle ou procédurale", mais qui tient en fait des propos complaisants caressant dans le sens du poil les responsables institutionnels du dossier MRE , en se contentant de dire le dimanche 16 avril 2017 dans le cadre d'une émission marocaine diffusée hebdomadairement sur une radio française , que "cette institution ( la Fondation), elle a fait du travail , je la connais très bien et elle n'a jamais fermé ses portes aux Marocains du Monde ". Précisons bien que ces propos n'engagent que le chroniqueur, non l'animateur de l'émission. Par contre, rien n'a été dit par le chroniqueur sur l'absence d'efficience de l'action de la Fondation , sur ses dysfonctionnements et sa mal gouvernance, sur le fait que son comité directeur ne s'est pas réuni depuis l'an 2000 et que sa composition est anti-démocratique, sa composante MRE n'étant représentée que par les "Amicales" anti-démocratiques connues pour leur action répressive durant les "années de plomb" et dénoncées à juste titre dans le Rapport de l'IER. Où est alors cette ouverture de ses portes aux Marocains du Monde ? Assurer des actions cohérentes Un meilleur encadrement religieux pour défendre l'identité religieuse des jeunes MRE dont parle le chef du gouvernement désigné, nécessiterait également la révision des textes régissant le Conseil Européen des Oulémas Marocains (CEOM), ainsi que les modalités de sa gestion et son action même, mais cette refonte n'est nullement à l'ordre du jour au vu de la feuille de route présentée devant le parlement. Par ailleurs, comment prétendre comme le fait le programme gouvernemental présenté par Saâd Eddine El Othmani , que l'on va poursuivre "d'accorder un intérêt à la protection de l'identité nationale des générations montantes" , alors que toute l'action des responsables d'une institution nationale consultative comme le CCME , consiste à faire en sorte que ces jeunes s'intègrent politiquement dans les pays de vie et se "désintègrent" politiquement par rapport au Maroc !? Comment défendre l'identité nationale alors qu'au même moment, on ne reconnaît pas à ces "nationaux" les attributs de cette identité nationale, à savoir la totalité des droits liés à cette appartenance identitaire, en particulier le droit de vote et d'éligibilité parlementaire à partir du pays de résidence !? Relativiser les actions supposées déjà menées Annoncer comme le fait la Déclaration gouvernementale du 19 avril 2017 " le parachèvement du chantier de la réforme consulaire et du processus de modernisation des survives consulaires et sociaux liés à la communauté marocaine à l'étranger ", signifierait que l'on est déjà sur la bonne voie, ce qui est contraire à divers témoignages de MRE. Il en est de même de "l'intérêt accru" dont "bénéficiera" la protection des mineurs d'âge marocains non accompagnés à l'étranger ... La révision et l'extension des accords bilatéraux de sécurité sociale entre le Maroc et les pays d'immigration, annoncées dans la Déclaration gouvernementale, s'avèrent aussi une nécessité impérieuse, mais de notre point de vue à une condition : conforter et élargir les droits et non pas les restreindre, comme ce fut le cas en 2016 avec les Pays-Bas , aux dépens des droits sociaux acquis des Marocains de Hollande . Par contre, la révision des accords de main-d'oeuvre dont certains ont plus d'un demi siècle (Allemagne le 23 mai 1963, la France le 1er juin 1963, la Belgique le 17 février 1964) et sont "caducs" depuis longtemps, n'offrirai pas d'intérêt pratique, l'émigration de main-d'oeuvre vers ces pays étant arrêtée depuis bien longtemps ... Le CCME très loin de la CCME Le chef du gouvernement désigné a fait observer que la consolidation de la démarche participative se fera à travers la multiplication des consultations avec l'opposition, les syndicats, les partenaires économiques et sociaux et la société civile "dynamique, plurielle et diversifiée". Mais sur ce plan, quelle place accorde t-il à la société civile MRE lorsque l'on constate que le CCME ( Conseil de la communauté marocaine à l'étranger) est loin de s'ouvrir sur la CCME , c'est à dire sur la communauté des citoyens marocains à l'étranger , que la Fondation Hassan II pour les MRE est régie sous le régime du "parti unique" ( les "amicales"), et que le ministère chargé notamment des MRE, décide de manière bureaucratique, dans une véritable tour d'ivoire, des actions à mener. Impératif d'une stratégie nationale concernant Al Jaliya Enfin, on ne peut passer sous silence le fait suivant. Celui du refus du nouveau gouvernement de s'engager pour l'élaboration et l'adoption d'une stratégie nationale globale, cohérente et intégrée en matière de communauté des citoyens marocains établis à l'étranger, qui fait encore défaut , contrairement à diverses déclarations du gouvernement sortant et à divers documents officiels du département chargé notamment des MRE. Seule cette stratégie est à même de donner du sens aux politiques publiques marocaines en leur direction et de déterminer la nature des liens à sauvegarder et à raffermir avec Al Jaliya. Cette stratégie devrait, de notre point de vue, faire l'objet d'un débat national compte tenu du caractère stratégique d'intérêt national du dossier de la communauté des citoyens marocains de l'étranger. Au total , alors qu'avec le report de quelques jours de sa présentation au parlement , on promettait un programme gouvernemental avec l'énoncé de mesures concrètes dans tous les domaines , voilà que la Déclaration gouvernementale s'est avérée une simple déclaration d'intentions concernant les dossiers MRE et Affaires de la migration , n'ayant pas pris d'engagements précis. Elle n'est pas à la hauteur des enjeux pour combler l'énorme passif légué dans ces domaines par les gouvernements qui se sont succédés depuis bien longtemps, y compris les gouvernements Benkirane I et II et pour relever les défis du futur. Rappelons au nouveau gouvernement le fait suivant en particulier. Celui de prendre toutes ses responsabilités liées d'un côté à la coprésidence du Maroc avec l'Allemagne en 2017-2018 du Forum Mondial Migration Développement relevant de l'ONU, et de l'autre côté au rôle assigné par l'Union Africaine au Maroc au plus haut niveau de l'Etat, concernant le dossier migratoire africain, dont ne l'oublions-pas, celui du Maroc fait partie, bien entendu. ----------------------- *Universitaire à Rabat, chercheur en migration