Décidée le 6 novembre 2005, à travers le discours royal qui a fait date, à l'occasion du 30ème anniversaire de la Marche Verte, la création du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME) a été officialisée le 21 décembre 2007, après la remise par l'ex-CCDH au Roi, de l'avis consultatif concernant la mise en place du CCME. En effet, il y'a pratiquement 7 ans, Sa Majesté le Roi Mohammed VI recevait et nommait par dahir les deux principaux responsables de cette institution : Driss El Yazami, en tant que président et Abdellah Boussouf comme secrétaire général. Rendant compte de cette activité royale, le communiqué du Cabinet royal du 21 décembre 2007 donnait au même moment la liste des 37 membres nommés au Conseil, en attendant d'y adjoindre 13 autres pour boucler le chiffre de 50 fixé par dahir. Sept années après la création de cette institution qui constitue un acquis, quel bilan peut-on en faire ? Placé auprès du Roi, en tant qu'institution ayant une mission consultative, de conseil, de prospective et d'évaluation des politiques publiques en matière de MRE, le CCME qui est régi par le dahir n°1-07-208 du 21 décembre 2007, a-t-il rempli ses missions et quels enseignements peut-on tirer de son fonctionnement ? Pour l'avenir, comment par ailleurs opérationnaliser l'article 163 de la Constitution de juillet 2011 concernant ce Conseil, à la lumière des leçons retenues de l'expérience de ces sept années d'exercice ? Un conseil consultatif sans aucun avis La mission consultative du Conseil, revenant à présenter au Roi des avis consultatifs sur les politiques publiques marocaines en direction des citoyens marocains à l'étranger, n'a nullement été assumée conformément à l'article 2 du dahir, aucun avis consultatif quel qu'il soit n'ayant été formulé. Pourtant, les attentes et aspirations des MRE sont diverses et variées, allant de l'économique au social, du culturel au cultuel, de l'administratif au juridique, du politique au démocratique.Toutes ces préoccupations sont à prendre en compte. Aucune des attentes ou aspirations n'est à privilégier ou au contraire à minimiser par rapport à d'autres. Dés lors, et tout en tenant compte du fait que le CCME ait d'un côté mené un certain nombre d'activités culturelles, organisé des rencontres, édité et présenté des livres et que d'autre part, certains membres du conseil ont beaucoup travaillé durant les deux premières années dans leurs commissions respectives, comment se fait-il qu'aucun des six groupes de travail du Conseil n'ait réussi à préparer et faire aboutir au moins un avis consultatif chacun, ce qui serait la moindre des exigences ? Rappelons l'intitulé et le champ de préoccupations de ces six groupes de travail ad-hoc : - droit des femmes et nouvelles générations, - cultures, éducation et identités, - administration, droit des usagers et politiques publiques, - compétences scientifiques, techniques et économiques pour le développement solidaire, - cultes et éducation religieuse, - citoyenneté et participation politique. L'activité des groupes de travail précités, chacune avec la méthodologie adaptée à sa problématique, aurait dû déboucher concrètement sur la formulation et la présentation d'avis consultatifs, à entériner préalablement en assemblée générale du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger, après débat nécessaire. Or, la défaillance en ce domaine est manifeste. Les raisons peuvent diverger d'un groupe de travail à un autre, mais dans l'ensemble et selon divers témoignages à la source concordants, c'est l'amateurisme des principaux responsables du Conseil, la désorganisation, le manque de professionnalisme, la prépondérance des mauvaises pratiques, la gestion autoritaire, voire même dictatoriale par la présidence de l'institution, le sentiment d'impunité chez les concernés et l'absence de demande des autorités supérieures aux responsables du Conseil de reddition des comptes, expliquent partiellement cette réalité. Ni rapport stratégique, ni gouvernance démocratique La mission prospective du Conseil, consistant à suivre l'évolution structurelle de la communauté marocaine à l'étranger, ainsi que l'environnement des pays d'accueil pour proposer des mesures anticipatrices aux autorités du pays d'origine, n'a également nullement été assumée. Alors que l'article 4 du dahir portant création du Conseil, impose la présentation dans ce sens d'un rapport stratégique tous les deux ans, on relève fin 2014 un déficit de trois rapports dans ce domaine. Au plan de la gouvernance proprement dite de l'institution, l'assemblée générale qui doit se tenir impérativement chaque année au mois de novembre (article 14 du dahir), n'a eu lieu qu'au moment du lancement, début juin 2008. De même, durant sept ans, aucun rapport financier, ni même rapport d'activité, n'a été fourni. Par ailleurs, même la composition du Conseil qui devait être complétée entre temps en ajoutant 13 autres membres pour atteindre les 50 prévus par le dahir, n'a pas été achevée en cette fin 2014. Contrairement à ce qu'affirment certains qui plaident pour "un CCME affranchi", en sous-entendant notamment qu'il faut se libérer des simples préjugés que l'on a à l'égard du Conseil, le fait de formuler ces critiques sur la base de constats et de faits avérés, ne signifie nullement pour nous que le CCME soit devenu "un exutoire de tous les maux", en permettant de se soulager et de se débarrasser des difficultés du monde, en constituant un dérivatif, une diversion, voire même un "défoulement". Ceux qui avancent ce type de pseudo-arguments visent en réalité à faire en sorte que leurs mentors ou protecteurs soient exemptés et exonérés des critiques objectives qui leur sont adressées, qu'ils soient "affranchis"des responsabilités qu'ils devraient au contraire assumer concernant les multiples dysfonctionnements dans la gestion du Conseil et le non respect flagrant du cahier de charges. Heureusement qu'avec la Constitution rénovée de juillet de 2011, le CCME a été constitutionnalisé au travers de l'article 163 de la constitution. Mais cette disposition qui constitue une avancée, n'est pas encore opérationnalisée. Si le "Plan législatif" du gouvernement s'était donnée la période 2013-2014 pour mettre en place la nouvelle institution, même le projet de loi la concernant n'a pas encore été préparé. De même que le CCME lui même n'a présenté aucun avis consultatif concernant son propre devenir durant les quatre premières années de son existence (avant sa constitutionnalisation) comme le stipule l'article 25 du dahir portant création du Conseil. Il est vrai qu'entre temps, des groupes parlementaires à la Chambre des Représentants ont pris leurs responsabilités, en déposant des propositions de lois concernant le CCME. Il en est ainsi du groupe parlementaire du PAM (juillet 2013), celui de l'USFP (février 2014), de l'Istiqlal (avril 2014), enfin les quatre groupes parlementaires de la majorité (PJD, RNI, MP, PPS). Mais la Commission des Affaires étrangères ne les a pas encore inscrit à son ordre du jour. Pourtant, il est urgent que cette loi voit le jour, qui permettra notamment de préciser les missions du Conseil et les modalités de sa composition, pour passer réellement à l'action selon les objectifs attendus. Pour une institution de qualité Au total, il s'agit de tirer les leçons des divers dysfonctionnements du CCME durant les sept dernières années, de faire en sorte que le trio responsable du Conseil rende des comptes au plan financier et politique, sur sa mauvaise gestion et son inefficacité. De même, alors que la Cour des Comptes a ėté défaillante en dépit de plusieurs alertes médiatiques, de la société civile MRE et de groupes parlementaires marocains, un audit objectif est à mener d'urgence pour tirer les enseignements adéquats. Au niveau du Parlement, il devient impérieux de sortir de l'immobilisme pour parvenir à un consensus sur un prochain CCME démocratique, représentatif et efficient, tel que largement développé dans le discours royal du 6 novembre 2007, qui a privilégié pour l'avenir la méthodologie démocratique concernant la constitution du Conseil. Il y va de la crédibilité de l'institution-Conseil et de la confiance à restaurer auprès de la communauté des citoyens marocains à l'étranger. Sept ans de perdu, c'est déjà trop et n'en perdons pas davantage. En raisonnant en termes de "capital immatériel", selon l'approche judicieuse mise en avant par le Discours du Trône 2014, on dira que ce capital a été dilapidé. Il s'agira par conséquent de le restaurer et de le conforter. Dans le cadre de cette "pause introspective", parmi les rectifications ou réajustements qu'il serait souhaitable d'entreprendre à l'échelle de la nation, figurent la refondation du CCME sur des bases crédibles et l'instauration le concernant, d'une gouvernance saine et démocratique. La qualité des institutions fait partie intégrante de ce capital immatériel. Dans la mesure où la réforme doit toucher également la loi portant création de la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger, ainsi que la loi organique de la Chambre des Représentants, pour qu'enfin les citoyens marocains à l'étranger soient représentés à la Chambre des députés, conformément à l'engagement solennel du discours royal fondateur du 6 novembre 2005 et de l'article 17 de la constitution rénovée de juillet 2011, l'organisation par le Parlement avec ses deux chambres d'un dialogue national pour l'opérationnalisation des divers articles constitutionnels concernant les MRE (articles 16, 17, 18, 163 et même l'article 30), est hautement souhaitable. Ceci nécessite une implication étroite, centrale, démocratique et plurielle notamment de la société civile MRE, sans tirer prétexte de la "faiblesse" de ce tissu associatif pluriel ou de sa "non représentativité". Il ne s'agit nullement d'imposer en contrepartie un nouvel interlocuteur associatif "transnational", mis en place à la va-vite. Ce dialogue national est à organiser AU Parlement et PAR le Parlement, et nullement sous forme d'"assises" externes à Ifrane, comme le veulent les responsables du Conseil avec l'appui franc du gouvernement, en mettant en place un comité d'organisation "indépendant" pour la création institutionnelle d'une structure organisationnelle "internationale" qui s'appellerait Forum des Marocains du Monde depuis le vendredi 19 décembre 2014, à l'issue d'une réunion en catimini à Rabat. Si les responsables du CCME ont réussi, non pas à rassembler et à fédérer les MRE, mais à les diviser notamment par un comportement dédaigneux et méprisant, la solution consiste à instaurer un réel dialogue, à respecter la dignité des citoyens marocains à l'étranger et non pas à les soumettre à de nouvelles formes d'embrigadement. Une nouvelle tentative d'emprise sur les MRE ? Un article datant du 10 octobre 2014 intitulé "Marocains du Monde : pour un Forum MRE" et publié sur de nombreux sites, dont le site officiel du Conseil, est présenté comme une version à la "sauce niçoise" à travers la signature apposée. Il constitue en fait la conception d'un certain numéro 3, dont la marque de fabrique a été de chercher durant toutes ces dernières années à déconsidérer le mouvement associatif MRE, en mettant tout le monde dans le même sac, à savoir que ce milieux associatif s'est caractérisé jusqu'à très récemment par "des centres d'intérêt dont les préoccupations n'étaient pas celles de l'immigration marocaine". Par la faute de ce milieux associatif, la communauté marocaine à l'étranger a été, selon cette vision, confrontée à une situation "qui l'empêchait de construire sa propre personnalité autour de la défense de ses intérêts propres". L'article reproche à ce milieux associatif les "préoccupations politiques propres au Maroc, loin des réalités de l'immigration marocaine et ses exigences". En lisant entre les lignes, il s'agirait notamment des revendications politiques par rapport au Maroc, avec la demande démocratique pressante de bénéficier d'une pleine citoyenneté effective, y compris par l'exercice effectif du droit de vote et de représentation parlementaire au Maroc, à partir de circonscriptions électorales législatives de l'étranger. Sur ce plan et à d'autres moments, comme sur les colonnes de l'hebdomadaire casablancais "Actuel" n° 99 du 17 au 24 juin 2011, le plaidoyer antidémocratique, arrogant et méprisant était tenu par le n°3 du Conseil à l'intention des partisans de la représentation parlementaire au Maroc des MRE : "Tous ceux qui veulent devenir députés aujourd'hui, ont le même profil. Ils ont échoué dans leur projet de vie dans les pays de résidence. Ils veulent se notabiliser sur le dos des Marocains". Ce faisant, le n°3 s'alignait sur le numéro 1 du CCME qui déclarait à la mi-novembre 2008 à New-York dans le cadre d'une ONG de Marocains aux USA, que la revendication du droit à l'éligibilité parlementaire des citoyens marocains à l'étranger, est une revendication "purement personnelle et égoïste", renvoyant aux "intérêts personnels de certains". (Propos tenus par le président du CCME, dévoilés par une cassette diffusée fin novembre 2008 sur You Tube). Le n°2 du Conseil n'est pas en reste, estimant que la revendication politique des MRE est de la "pure surenchère politicienne", des "slogans réducteurs". Le fond de son analyse a été largement développé à la mi-août 2014 dans une interview fracassante à un journal arabophone. Dés lors, l'objectif de l'article "Marocains du Monde : pour un Forum MRE" évoqué plus haut, est explicité sans détour : " La création d'un Forum MRE, un réseau de réflexion et d'échange entre acteurs associatifs et politiques peut être dans un premier temps une formule adéquate, qui devra pour commencer établir un constat et dans un deuxième temps, ouvrir un large débat, serein et responsable sur toutes les questions qui intéressent la communauté MRE". Encore une fois et encore, le mouvement associatif MRE a besoin de voir son indépendance sauvegardée, qu'il soit reconnu dans sa personnalité et qu'on ne prenne pas des initiatives l'amenant à succomber à une nouvelle tentative d'emprise. Dans la Déclaration finale de la rencontre-débat "Cri d'Al Jaliya", à Strasbourg du 8 décembre 2013, et de manière pertinente, l'attention était attirée "sur les risques de contrôle politique du tissus associatif de l'émigration marocaine, de remise en cause de sa nécessaire indépendance et autonomie et sur les tentatives de sa marginalisation et exclusion" Gare au chant des sirènes du "Forum MRE" ! Rabat, le 20 décembre 2014 *Universitaire à Rabat chercheur spécialisé en migration