Durant la dernière période, le numéro 1 du CCME (Driss El Yazami) garde le mutisme. On ne sait pas s'il s'agit d'un silence diplomatique ou alors d'un réel « abandon de terrain », ou bien s'il a subi une « déposition » de fait, équivalant à une « révolution » blanche, téléguidée par certains milieux. Au même moment, on assiste au contraire à une offensive médiatique des numéros 2 et 3 du CCME (respectivement Abdallah Boussouf et Driss Ajbali) soit en personne(s), soit par « procuration » institutionnelle ou individuelle. Dans ce qui suit, on s'attachera essentiellement aux déclarations du numéro 2, en relevant à l'occasion ce qu'a pu dire le numéro 3 dans une vidéo en 4 parties, sachant que l'objet de la discussion, ce ne sont pas les personnes, mais les idées défendues et les pratiques publiques assurées dans le cadre des responsabilités publiques. Dans cet esprit de débat pour aller de l'avant, mais sans complaisance, on se basera d'abord sur la dépêche MAP en date du 01 octobre 2012, intitulée « les jeunes MRE doivent être au cœur de la dynamique de mise en œuvre des dispositions de la nouvelle constitution (SG du CCME) », publiée sur le site du Conseil et dans des organes de la presse nationale. Cette synthèse de l'interview du secrétaire général du CCME, réalisée par l'agence officielle Maghreb Arabe Presse, appelle de notre part les huit observations et les commentaires suivants. Une initiative étroite de la MAP 1- L'initiative prise par l'agence officielle de presse, à l'occasion de la rentrée politique, de faire le point sur la situation du CCME et de ses projets à moyen terme avec son secrétaire général, est à saluer. Cependant, s'agissant d'une institution nationale comme le CCME, il aurait été souhaitable que la MAP ne se limite pas à la vision et version officielles, mais que dans le cadre du pluralisme, elle s'ouvre à la société civile au Maroc, aux ONG de l'émigration, ainsi qu'aux acteurs politiques marocains, aux acteurs associatifs et aux observateurs nationaux de la scène migratoire, pour leur permettre de donner également leurs points de vue sur la gestion et l'action de l'institution elle-même. Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire, d'autant plus que dans le cadre du débat public, matérialisé notamment par les contributions analytiques dans la presse écrite, audiovisuelle ou électronique (« Dounia-News », « Yabiladi.com » poursuivi aujourd'hui en justice par le n°3 du CCME, « Al Jaliya », Maghreb.observateur (Canada) jusqu'à une période récente, « Bladi.net », « Cscme.org » jusqu'à une période récente, « Maglor.fr » depuis quelque temps), le tissus associatif de l'émigration marocaine interpelle avec insistance les responsables du CCME sur leur bilan. Au même moment, le Parlement marocain les interpelle sur leur gouvernance et leur gestion financière, sans que les responsables du Conseil n'aient accepté, jusqu'ici, de rendre des comptes. En matière de communication, l'opinion publique à l'intérieur du Maroc et au sein de la communauté marocaine à l'étranger, aurait été très intéressée d'avoir des éléments d'information et des précisions sur l'ensemble de ces aspects à l'occasion de cette interview, mais ceci n'est pas du tout le cas. Pas d'amnésie sur les 5 dernières années 2- Certes, le journaliste de la MAP a bien rappelé que, créé le 21 décembre 2007, donc voilà bientôt 5 ans, le CCME a comme cahier de charges, d'assurer le suivi et l'évaluation des politiques publiques du Maroc en direction des citoyens marocains à l'étranger. Sa mission consiste également à assurer les fonctions de veille et de prospective sur les problématiques migratoires et d'anticiper leur impact sur le Maroc. Pour assurer ces deux missions fondamentales, aurait-il fallu préciser, le CCME est tenu d'une part d'émettre des avis consultatifs pour améliorer ces politiques, d'autre part de produire tous les 2 ans un rapport stratégique. Or justement, aucun bilan n'a été fait sur ce plan dans le cadre de l'interview. Celle-ci s'est limitée à une interpellation sur les grandes axes de l'action du CCME pour l'année en cours. Bien entendu, l'institution est jeune. Mais tout se passe comme si le Conseil venait juste de démarrer, ou bien qu'il fallait mettre les compteurs à zéro pour n'avoir pas à faire le bilan des cinq dernières années... La ficelle est trop grosse ! On ne peut de la sorte faire l'économie du bilan des cinq dernières années, en tant que responsable n°2 du CCME. La responsabilité des conséquences de la direction du Conseil, à travers les numéros 1, 2 et 3, incombe à tous. Elle est pleine et entière, et personne maintenant, ne peut se décharger de cela sur les autres. Bien entendu, des «événements» culturels et d'autres manifestations ont été organisés, qualifiés par le n°2 de «travail extraordinaire» et des publications ont été éditées. Mais ce n'est pas être « injuste » ou « destructeur » envers le Conseil, que d'observer calmement qu'aucun avis consultatif n'a été formulé, aucun rapport stratégique n'a été élaboré et même aucune assemblée générale annuelle (en novembre selon l'article 4 du dahir) n'a été tenue, en dehors de celle de lancement les 6 et 7 juin 2008. 3- Pire que cela, même l'avis consultatif qui devait être présenté pour concevoir le futur Conseil au niveau de sa formation, de ses prérogatives, des modalités de sa gestion etc, n'a pas été élaboré, alors que le CCME a largement dépassé la période transitoire de 4 ans prévue par le dahir n°1-07-2008 et 21 décembre 2007. Par conséquent, c'est un échec total de la mission des responsables du CCME, dans leur totalité, que ne soulève nullement l'interview réalisée par la MAP. Les responsables se doivent d'expliquer le pourquoi de toutes ces défaillances flagrantes et de tirer, pour eux-mêmes d'abord, les conclusions qui s'imposent... De la pure récupération 4- Par rapport au débat constitutionnel enclenché au lendemain du discours royal historique du 9 mars 2011, le secrétaire général du CCME se prévaut du fait que le Conseil a largement contribué aux réflexions et au débat en amont. Certes, le 28 avril 2011, soit bien un mois et demi après le discours royal, un communiqué du CCME avait été publié à très grande échelle, annonçant notamment la mise en place d'un forum de discussion à travers une page dédiée sur son site internet. Or cette page n'a jamais vu le jour. De même, le colloque international qui devait avoir lieu fin mai 2011 pour clôturer la campagne de communication et de rencontre avec les MRE, pour contribuer à l'enrichissement du projet de texte constitutionnel, n'eut lieu que les 18 et 19 juin 2011 à Casablanca. L'échéance était bien tardive. En effet, le projet de réforme constitutionnelle était déjà terminé et ses acquis dans le détail étaient déjà dévoilés par le discours royal du 17 juin 2011, qui avait au même moment, annoncé la tenue du referendum constitutionnel le 1er juillet 2011. Déformation des faits 5- Le secrétaire général du CCME affirme dans cette interview, que le Conseil a poursuivi depuis cette période, cette dynamique d'ouverture sur les ONG de l'émigration et de concertation avec les acteurs politiques au Maroc, dans le cadre d'un dialogue ouvert et fécond, ayant pour objectif la préparation de l'opérationnalisation des dispositions de la Constitution concernant les MRE. Or ceci est totalement inexact. Le groupe de travail du CCME sur « Citoyenneté et participation politique » est resté pratiquement bloqué par les responsables du Conseil, et ce n'est que tout dernièrement, en marge de la tenue de la réunion très controversée du 15 septembre 2012 à Casablanca, mais sans impliquer les membres de ce groupe de travail, que l'avis sur certains points a été demandé aux acteurs associatifs qui y ont participé. Ceci n'a pas empêché un journaliste de Montréal de considérer qu'une « révolution » s'est opérée « au sein du Conseil autrefois impopulaire auprès des Marocains du Monde » ( !!!). Selon les dire à la vidéo du numéro 3 du Conseil qui, « ne voit pas actuellement d'autres responsables », il s'agit d'une « initiative prise en concertation avec le secrétaire général ». Bel aveu qui contredit l'autre interprétation véhiculée, selon laquelle la rencontre-débat de Casablanca, s'est faite sous la stricte initiative et responsabilité des ONG de l'émigration qui y ont participé. Quant au dialogue qui aurait été ouvert avec les acteurs politiques à l'intérieur du Maroc, il est dénué de toute matérialisation. Une interprétation antidémocratique de la Constitution 6- S'agissant de la transposition des articles de la Constitution avancée du 1er juillet 2011, le secrétaire général du CCME invite tout un chacun à s'abstenir de toute « spéculation politique ou politique politicienne » s'agissant de l'interprétation à donner à la constitution. Or, que signifie cette formulation affectionnée et utilisée par le secrétaire général lorsque par exemple, dans le cadre du débat public, on lui fait observer qu'il y a la nécessité d'avoir une interprétation démocratique de la Constitution, notamment de son article 17...? Au lieu de contribuer à la concrétisation d'une réelle représentation parlementaire au Maroc des citoyens marocains à l'étranger à partir des pays d'accueil, en faisant mûrir la formule démocratique adéquate, le secrétaire général ainsi que d'autres responsables du CCME, s'évertuent au contraire à faire mourir l'idée et l'empêcher de se matérialiser dans la réalité concrète. Ainsi en est-il de l'intervention du président du CCME le 15 février 2012, lors d'un débat au Salon International de l'Edition et du Livre à Casablanca, qui a déclaré que, pour qu'à l'avenir le vote et l'élection des députés MRE puissent se faire à partir des pays de résidence, il faut impérativement réviser la Constitution du 1er juillet 2011 !!! Et dire que le président du CCME, qui est aujourd'hui en même temps président du Conseil national des droits de l'Homme, était de ceux qui ont participé à l'élaboration du projet constitutionnel. Au même moment, en marge de la réunion de Casablanca du 15 septembre 2012, dans le cadre d'une vidéo élaborée et diffusée sur un site par un journaliste résidant à Montréal, le numéro 3 actuel du CCME, continue à tenter de décrédibiliser et de délégitimer la représentation politique au Maroc des citoyens marocains à l'étranger, en invoquant notamment la question de la double allégeance !!! Dans cette vidéo, le numéro 3 a tenté également d'esquiver toute responsabilité du CCME par rapport à la non représentation politique des citoyens marocains à l'étranger à partir des pays de résidence, alors qu'une des missions centrales du CCME était de concevoir les modalités pratiques et les outils concrets permettant cette participation. Or au lieu d'agir dans ce sens, les responsables du Conseil, non seulement n'ont pas laissé le groupe de travail « citoyenneté et participation politique » faire son travail, mais de plus, ils n'ont cessé à travers des déclarations publiques, d'exprimer leur opposition catégorique à cette participation, en invoquant des arguments fallacieux : problèmes techniques, parasitage de l'intégration dans les pays d'accueil, refus de la double nationalité par les pays d'immigration... Même pendant la période du débat constitutionnel, les responsables du CCME ont diffusé à très grande échelle des documents dans ce sens pour « sensibiliser » dans cet esprit les acteurs politiques, syndicaux, associatifs, médiatiques et de manière générale l'opinion publique marocaine... Pour l'avenir Dans la même vidéo, le numéro 3 a estimé qu'à l'avenir, le CCME devrait être « la maison de tout le monde, dans laquelle l'émigré sente qu'il a délégué la défense de ses propres intérêts avec une certaine rigueur, une certaine rectitude et une certaine honnêteté ». On ne peut être que d'accord pour le futur, en précisant toutefois qu'il s'agit d'une rigueur certaine, d'une rectitude certaine et d'une honnêteté certaine. Mais en matière de gouvernance et de gestion globale, qu'en est-il du présent et de la période passée depuis la création du Conseil ? Comment expliquer le gaspillage des deniers publics (49 millions de dirhams de subvention annuelle), lorsqu'on constate, en liaison avec ce soutien financier public très important, qu'aucune des missions essentielles et fondamentales du CCME n'a été remplie ? Sans personnaliser aucunement et sans un quelconque procès d'intention, la reddition des comptes pour tout responsable public, dont le principe a été constitutionnalisé, devrait être une procédure des plus normales, et ne soulever aucune réticence des concernés. 7- S'agissant du mode de composition du futur CCME, le secrétaire général n'a apporté aucune précision dans l'interview. Par contre, le numéro 3 a avancé des éléments inquiétants, qui nous ramèneraient bien arrière s'ils étaient suivis. La méthodologie démocratique n'est pas à retenir selon son point de vue, parce qu'il ne s'agit pas d'un conseil représentatif mais d'un conseil consultatif, dont la composition est simplement significative. « Le mot consultatif, dit-il, annule la notion de la représentation, car quand on est consulté, on a affaire à des experts ». Et d'ajouter en rapport avec les modalités de constitution du CCME en 2007 sur la base des nominations : « Nous n'avons jamais dit que le Conseil doit être représentatif » ( !). Pour qu'il y'ait élection du CCME, il faut, toujours selon son analyse, que préalablement, le tissus associatif des MRE soit démocratique !!! Pour notre part, nous privilégierons et de très loin, le balisage tracé par S.M le Roi Mohammed VI dans divers discours, qui a bien parlé à deux reprises d'un conseil représentatif. Dans cette vision pertinente, le Conseil doit être au plan de la composante communauté : « constitué de façon démocratique et transparente et bénéficiant de toutes les garanties de crédibilité, d'efficience et de représentativité authentique » (discours du 6 novembre 2005 à l'occasion du 30ème anniversaire de la Marche Verte) ou, selon des précisions ultérieures, « alliant dans sa composition les exigences de compétence, de crédibilité et de représentativité » (discours du Trône du 30 juillet 2006), ainsi que « d'efficacité » (discours du 6 novembre 2006). La reddition des comptes d'abord 8- Au total, l'interview du secrétaire général du Conseil de la Communauté Marocaine à l'étranger, a raté le but qu'elle aurait dû se donner. Au lieu de contribuer à une réelle communication, elle constitue objectivement un véritable acte de désinformation par « oubli » volontaire du bilan du CCME, par tentative de récupérer à son profit le débat sur le projet de constitution, par dénaturation du sens de la rencontre de Casablanca du 15 septembre 2012 et par déformation de la réalité exacte des initiatives en cours de certains responsables du CCME, épaulés en cela par certains milieux. Il est tout à fait légitime que le numéro 2 d'une institution nationale aspire à en être le numéro 1, même s'il est talonné par le numéro 3. Mais à condition de procéder d'abord à la reddition des comptes pour la gestion passée qui doit être saine, transparente et efficiente sur tous les plans, et que la campagne de promotion médiatique soit objective et non pas instrumentalisée ou téléguidée. Entre la « realpolitik » (qui présuppose souvent non pas des compromis mais des compromissions) et la politique du vrai, et loin de tout esprit de rigidité ou d'absence de souplesse, nous optons résolument pour la politique du vrai. Insistons pour terminer, sur la nécessaire application du principe de parité dans la nomination de la prochaine direction du CCME.