A l'occasion du 10 août, célébré depuis 2004 comme la Journée Nationale de l'Emigré marocain, l'opportunité est fournie de s'interroger notamment sur le fonctionnement et le résultat des missions imparties à divers acteurs institutionnels intervenant dans le champs migratoire marocain. Nous privilégierons dans cette contribution au débat public le cas du Conseil de la Communauté Marocaine à l'Etranger (CCME) en interpellant ses responsables sur son bilan, ainsi que le Chef du gouvernement sur le devenir de ce Conseil, qui a été constitutionnalisé depuis le référendum constitutionnel du 1er juillet 2011 et qui attend l'élaboration et l'adoption d'une nouvelle loi dans ce sens, permettant sa composition sous une nouvelle mouture, l'attribution de prérogatives, la délimitation des modalités de gestion.... Crée le 21 décembre 2007 par le dahir n°1-07-208 pour un premier mandat transitoire de 4 ans sur la base d'une composition provisoire de 50 personnes nommés par le Roi, le Conseil de la Communauté Marocaine à l'Etranger n'a vu jusqu'à présent que 37 personnes nommées. UN CONSEIL BUDGETIVORE Le CCME a bénéficié la première année de son fonctionnement (2008) d'une aide étatique de 45 millions de dirhams inscrite au budget de la Primature et pour l'année 2009, il a disposé d'un montant global de 68,5 millions de dirhams, dont 19,5 Mdh de crédits supplémentaires. Depuis 2009, y compris l'exercice budgétaire 2012, il reçoit 49 millions de dirhams pour son action inscrits toujours au budget du Chef du gouvernement. Relevons bien le fait que le CCME est doté d'un statut d'indépendance par rapport au gouvernement et d'autonomie financière et de gestion pour renfoncer sa crédibilité. Mais, à l'instar d'autres institutions nationales, ce conseil est soumis aux règles de bonne gouvernance et doit également rendre des comptes sur sa gestion financière. Voilà pourquoi, dans la mesure où, d'une part, les aides publiques conséquentes précitées, ne donnent lieu à aucune information ou précision de la part du gouvernement lors de la loi de finances et où d'autre part, beaucoup d'ONG de l'émigration posent le problème de la gestion financière du CCME au niveau du débat public, une question légitime se pose : quel usage a-t-il été fait de ces derniers publics par rapport au cahier de charges du Conseil ? UNE CONVOCATION EN BONNE ET DUE FORME QUI RESTE OUVERTE C'est d'ailleurs une des motivations essentielles qui a amené la Commission des Finances relevant de la Chambre des Représentants, à demander dés le 19 avril 2012 par le biais d'une correspondance entre le Président de la Chambre des Représentants et le Chef du gouvernement, à auditionner le président du CCME sur sa gestion financière. Ceci a été décidé le 16 avril 2012 à la demande du bureau de la Commission représentant les divers groupes parlementaires (majorité et opposition) de la Chambre des députés. Mais jusqu'à présent, cette audition prévue normalement à titre de suggestion pour le 26 juin 2012 et relancée depuis, n'a pas eu lieu jusqu'à maintenant. Les responsables du CCME ont avancé publiquement dans une mise au point, le fait qu'ils n'avaient reçu aucune demande dans ce sens de la commission parlementaire des finances à la Chambre des Représentants. Par contre, le président de la commission parlementaire a confirmé la convention qui reste en cours dans maintes déclarations publics dans divers organes de presse, la dernière ayant paru l 30 juillet 2012. Précisons à ce propos que l'agenda des auditions de divers organismes, dont le CCME avait été envoyé aux divers groupes parlementaires de la première chambre, publié sur le site de la Chambre des Représentants et envoyé également pour une large diffusion à l'agence officièlle Maghrb Arabe Presse. MISSION CONSULTATIVE ET PROSPECTIVE Certes, le CCME a mené un certain nombre d'activités culturelles et réalisé un certain nombre de publications. Ces activités conçues comme des « événements », ont contribué à animer quelque peu la discussion au niveau national en matière migratoire et à (re)mettre en débat quelques problématiques abordées depuis un certain temps déjà. Mais au-delà de cet aspect qui doit, bien entendu, être pris en considération et ne pas être occulté, le principal de la mission de l'institution a-t-il été assuré, avec l'obligation de résultat ? En effet, institution nationale consultative en vertu du dahir n°1-07-208 du 21 décembre 2007, la mission du CCME est double : consultative et prospective. En premier lieu et selon l'article 2, il s'agit d'élaborer des avis consultatifs pour les présenter à Sa Majesté le Roi, sur les politiques publiques marocaines en matière de communauté marocaine à l'étranger et fournir des propositions concrètes pour améliorer ces politiques de manière significative. Cette mission consultative qui touche aux aspects transversaux et multidimensionnels de ces politiques migratoires, concerne aussi les principaux problèmes que connaissent les citoyens marocains à l'étranger, avec la nécessité de rechercher les meilleurs moyens de les résoudre, en partenariat direct avec les intéressés. La seconde mission du Conseil est d'assurer les fonctions de veille et de prospective. Il s'agit de réfléchir sur l'avenir à moyen et long terme de l'émigration, d'analyser son processus et ses mutations, d'anticiper les évolutions quantatives et surtout qualitatives du fait migratoire et de saisir l'impact des rapports et relations du fait migratoire sur le Maroc, étant donné le fait que la migration est devenue un élément structurel et central pour le pays. Selon l'article 4 du dahir, cette seconde mission passe par l'élaboration et la présentation à S.M le Roi d'un rapport stratégique tous les 2 ans, analysant les grandes problématiques d'avenir concernant la communauté marocaine à l'étranger et leur impact sur le Maroc ou, en d'autres termes, un rapport général d'analyse des tendances de l'émigration marocaine et de ses problématiques. Une action s'appréciant dans la durée et alors que le CCME est à plus de quatre années et demi de sa création, quel bilan peut-on dresser de ses missions principales et de son fonctionnement ? L'obligation de résultat à laquelle est astreint le CCME comme toute institution nationale, a-t-elle été réellement assumée ? Sinon pourquoi ? LES DYSFONCTIONNEMENTS DU CCME EN QUESTIONS Dans cet esprit, outre la gestion financière, six autres questions principales concernant le fonctionnement du Conseil, les résultats de son action et le devenir de l'institution, méritent d'être posées pour recevoir des réponses claires. L'opinion publique a également le droit à l'information. Les responsables du CCME, qui refusent déjà dans la pratique, de se soumettre au contrôle parlementaire, ne peuvent par ailleurs légitimement prétendre comme ils le font souvent dans les colloques et séminaires publics, qu'étant donné le statut du Conseil, ils n'ont pas à répondre aux interpellations du débat public et encore moins à rendre des comptes à l'opinion publique. Les six questions sont les suivantes : 1- Pourquoi jusqu'à maintenant, aucun avis consultatif en matière de politiques publiques concernant la communauté marocaine à l'étranger, n'a été présenté par les responsables du CCME ? 2- Pourquoi, après plus de quatre exercices pleins, le Conseil n'a livré aucun rapport d'activité annuel, contrairement aux dispositions de l'article 4 du dahir ? 3- Pourquoi le rapport stratégique qui doit être remis tous les deux ans, ne l'a-t-il pas été jusqu'à présent, soit un déficit de deux rapports ? 4- Pourquoi, contrairement à l'article 14 du dahir instituant le Conseil qui prévoit une assemblée annuelle en novembre, seule jusqu'à présent, l'assemblée plénière de lancement a eu lieu à Rabat les 6 et 7 juin 2008 ? Rappelons que l'assemblée plénière qui regroupe l'ensemble des membres du Conseil a des prérogatives importantes en matière de gouvernance, de contrôle et de suivi. Elle délibère notamment sur le budget, le plan d'activité, les rapports annuels et biannuels, ainsi que sur les avis consultatifs qui lui sont soumis par les six groupes de travail du CCME. 5- Pourquoi, contrairement à l'article 25 concernant les dispositions transitoires du CCME, aucun avis consultatif n'a été fourni, s'agissant du futur Conseil ? Pourtant, la composition du Conseil établie fin 2007 était une formation provisoire qui devait travailler pour 4 ans, puisqu'une des premières missions des membres du Conseil mis en place, était de réfléchir et d'élaborer un avis consultatif sur les modalités de la composition et les missions du futur conseil. Au chapitre VI du dahir n°1-07-208 concernant les dispositions transitoires, il est mentionné que : « En outre, le Conseil mis en place est notamment chargé d'approfondit les études et consultations nécessaires en vue de soumettre à la haute appréciation de Notre Majesté, des propositions pertinentes quant à la conception de sa composition et des modalités les plus appropriées du choix de ses membres. Le Conseil doit veiller à garantir la plus efficace et meilleure représentativité des communautés marocaines à l'étranger ». RETOUR AUX FONDAMENTAUX Or sur ce point également, le constat de l'absence de l'accomplissement de la mission par les responsables du CCME est sans appel. La nécessité se fait sentir plus que jamais, de traduire dans la pratique la vision royale pertinente selon laquelle ce Conseil doit être, au plan de la composante communauté « constitué de façon démocratique et transparente et bénéficiant de toutes les garanties de crédibilité, d'efficience et de représentativité authentique » (discours du 6 novembre 2005 à l'occasion du 30ème anniversaire de la Marche Verte) ou, selon des précisions ultérieures, « alliant dans sa composition les exigences de compétence, de crédibilité et de représentativité » (discours du Trône du 30 juillet 2006), ainsi que « d'efficacité » (discours du 6 novembre 2006). Revenir aux discours royaux n'est pas « continuer à s'attacher religieusement » à des textes comme prétend ironiser celui qui aime se faire présenter comme coordinateur ou directeur du CCME, mais la référence est incontournable et le retour aux fondamentaux sont nécessaire. Il s'impose à tous, y compris aux responsables d'institutions consultatives, même si l'orientation donnée à ces déclaration royales les dérange, dans la mesure où ils ne veulent nullement entendre parler d'un Conseil élu. Par ailleurs, lorsqu'on n'est même pas capable de respecter le calendrier de ses assemblées générales, incapables de formuler le moindre avis consultatif sur les politiques publiques marocaines en matière de communauté à l'étranger, impuissant à élaborer un rapport stratégique tous les deux ans, ou même un rapport annuel d'activité en respectant le dahir créant le Conseil c'est-à-dire entériné par l'assemblée générale), il y a lieu de se poser de sérieuses questions sur la nature de la gestion suivie et d'émettre plus d'un doute sur la crédibilité de la démarche des responsables de l'institution. LA FUITE EN AVANT Les cinq questions précédentes entre autres, trouveront-elles une réponse au sein de la Commission finances de la Chambre des Représentants dont la demande d'audition, adressée au président du CCME par le biais du Chef du gouvernement, n'a toujours pas eu de suite ? La mise au point du CCME en date du 17 juillet 2012 niant avoir décliné la convocation du parlement, constitue en fait un fuite en avant et une fuite devant les responsabilité au niveau de deux points : - En premier lieu, la question n'est pas de se projeter dans l'avenir pour dire, comme l'affirment les responsables du Conseil que « conformément aux dispositions constitutionnelles (article 160), toutes les institutions constitutionnelles des droits de l'Homme et de bonne gouvernance mises en place par les articles 161 à 170 de la Constitution, sont tenues de présenter un rapport annuel. Bien entendu, le CCME le fera comme l'ensemble des autres instances ». Or à notre sens et en attendant la prochaine loi instituant le CCME dans sa nouvelle version constitutionnalisée, il y'a obligation pour le CCME de se soumettre aux dispositions du dahir de 2007 portant création du Conseil. Or comme on l'a noté plus haut à travers les questions posées, des dysfonctionnements graves sont à relever. - En second lieu, à notre sens, il ne s'agit pas ici pour le CCME de manifester pour le futur « sa disponibilité à nouer des relations de coopération et de partenariat avec les deux chambres du parlement », mais de répondre au présent à une obligation de contrôle décidée par la Commission des Finances de la Chambre des Représentants, conformément à ses prérogatives, celles notamment de contrôler la gestion financière de tout organisme public bénéficiant d'un budget de l'Etat et d'évaluer l'efficacité de ces dépenses à l'aune des missions principales dévolues à l'institution concernée. Dés lors, n'est-il pas urgent et impératif que les responsables du CCME se soumettent au principe de la reddition des comptes devant les parlementaires comme l'ont fait ou s'apprêtent à le faire les responsables d'autres institutions nationales consultatives ? QUEL DEVENIR DU CCME ? 6- Cette sixième question interpelle plus le Chef du gouvernement. Le CCME ayant été constitutionnalisé en vertu de l'article 130 de la nouvelle constitution, quand et dans quel esprit, le projet de loi le concernant sera-t-il soumis par le gouvernement au parlement, dans le cadre de l'agenda de production législative pour mettre en place ou transformer les institutions prévues par la Constitution ? Les responsables de l'actuel CCME ayant failli à leurs obligations, dans la mesure où ils n'ont pas présenté d'avis consultatif sur le prochain Conseil, qui aurait pu aider maintenant à préparer le projet de loi, la question se pose dorénavant autrement. Sous quelle forme, quand et par l'intermédiaire de quel département ministériel, le gouvernement compte t-il entreprendre des consultations préalables nécessaires avec les milieux concernés, pour jeter les bases organisationnelles d'un futur Conseil qui soit une institution représentative, démocratique transparente, efficiente et doter de prérogatives réelles ? Pour préparer le projet de loi concernant le CCME constitutionnalisé, on ne peut attendre la fin de l'étude lancée dernièrement par le ministère chargé des Marocains résidant à l'étranger, l'IRES, le CCME et la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l'étranger pour avoir des éléments d'orientation. Encore faut-il le rappeler au passage, la réalisation de cette étude sur la « stratégie nationale de l'émigration à l'horizon 2022 », doit être ouverte à l'ensemble des compétences marocaines qui travaillent réellement depuis longtemps dans le champ de la recherche sur la migration marocaine, sans ostracisme, ni volonté de sectarisme. En définitive, et à l'occasion de ce 10 août, journée nationale de l'émigré marocain, le critère démocratique et représentatif du Conseil, réclamé de surcroit depuis bien longtemps de manière quasi unanime par les associations de l'immigration marocaine et des citoyen(ne)s marocain(e)s à l'étranger, ainsi que par beaucoup de partis politiques et de syndicats au Maroc, s'avère incontournable. Il s'agit par conséquent de refonder totalement le CCME en précisant les modalités de sa composition et sa mission, avec un fonctionnement assaini, efficace et impartial, ainsi qu'une gouvernance démocratique et transparente. Le lancement de la préparation du projet de loi instituant le CCME constitutionnalisé, en responsabilisant un des départements ministériels, en respectant la démarche inclusive et participative des milieux concernés, devient une urgence. Rappelons à ce propos que diverses ONG de l'émigration, n'ont pas eu de réponse concrète à leur proposition de tenue d'un colloque national sur les modalités de transposition dans la réalité des articles de la constitution du 1er juillet 2011 (articles 16, 17, 18, 30, 163) qui concernent la communauté marocaine à l'étranger, ainsi d'ailleurs qu'en partie, les étrangers au Maroc. A quand l'annonce par le Chef du gouvernement d'un agenda législatif précis, avec la détermination du cadre et des modalités d'exécution ? La date du 10 août prochain, Journée Nationale de l'Emigré Marocain, n'est-elle pas propice et symbolique pour communiquer et annoncer des décisions concrètes en la matière ? (*) Abdelkrim Belguendouz Universitaire à Rabat, chercheur spécialisé dans le domaine des migrations.