Le Parlement turc a voté dans la nuit de lundi à mardi en faveur de la poursuite du débat sur un projet de réforme de la Constitution visant à renforcer les pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan, une étape de plus vers la formation d'un régime présidentiel. Le Parlement avait entamé, le même jour, l'examen d'une révision constitutionnelle renforçant les pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan, dont les détracteurs dénoncent la dérive autoritaire. Ce projet décrié par l'opposition prévoit le transfert au président du pouvoir exécutif du Premier ministre et pourrait potentiellement permettre à M. Erdogan, élu chef de l'Etat en 2014 après trois mandats à la tête du gouvernement (2003-2014), de rester au pouvoir jusqu'en 2029. L'instauration d'un système présidentiel donnera une assise légale au mode de fonctionnement actuel de M. Erdogan, devenu la principale figure de l'exécutif au détriment du Premier ministre, contrairement à ce que prévoit la Constitution datant du coup d'Etat militaire de 1980. "Il n'y aura pas de Premier ministre. Oui. Pas de Premier ministre. Nous ne sommes pas fous de pouvoir", a clamé au parlement Binali Yildirim, un proche d'Erdogan, qui remplit actuellement la fonction. "Deux capitaines coulent le bateau. Il ne doit y avoir qu'un capitaine", a-t-il plaidé. Le texte, adopté par une commission parlementaire avant le Nouvel An, sera débattu en deux temps par les députés, une procédure qui devrait durer 13 à 15 jours, selon l'agence de presse progouvernementale Anadolu. Le renforcement des prérogatives de M. Erdogan inquiète ses opposants, qui l'accusent de dérive autoritaire, en particulier depuis la tentative de coup d'Etat du 15 juillet et les purges qui ont suivi. Une manifestation d'opposants au texte s'est tenue devant le Parlement peu avant l'ouverture de la session. Les forces de l'ordre sont intervenues pour la disperser, blessant notamment plusieurs députés du parti d'opposition sociale-démocrate CHP. Rejet de l'opposition Le parti islamo-conservateur au pouvoir, l'AKP, affirme qu'un système présidentiel est nécessaire pour assurer la stabilité au sommet de l'Etat et qu'il permettrait selon lui de s'aligner sur les systèmes en vigueur en France ou aux Etats-Unis. Aux termes de la révision proposée, le président n'aura plus à couper les liens avec son parti politique une fois élu, nommera et révoquera les ministres et aura un ou plusieurs vice-présidents. La proposition doit désormais recueillir l'aval d'au moins 330 des 550 députés pour pouvoir être soumise à un référendum. L'AKP et la formation de droite nationaliste MHP, qui soutient le texte, disposent ensemble d'un total de 355 sièges. Le référendum devrait ensuite se tenir la première semaine d'avril, a affirmé lundi le vice-Premier ministre Nurettin Canikli. La réforme constitutionnelle suscite un fort rejet du CHP et du parti prokurde HDP, qui accusent M. Erdogan de profiter de l'état d'urgence en vigueur pour mener à bien la présidentialisation du système. "Est-ce que (un président) avec de tels pouvoirs pourra être supervisé ?" s'est interrogé lundi soir le député CHP Deniz Baykal qui s'exprimait au nom de son parti devant le Parlement. "Il n'y aura ni motion de censure, ni vote de confiance, ni enquêtes parlementaires." Un tel changement de la constitution représente pour lui "la plus grande des erreurs" et ne ferait que renforcer les divisions au sein de la société turque. Le chef de file du HDP, Selahattin Demirtas, actuellement emprisonné avec une dizaine de députés de cette formation a fait parvenir au Parlement une pétition contre ce projet dans laquelle il a fait valoir que le débat parlementaire était faussé par l'absence des élus de son parti détenus par les autorités, a rapporté l'agence Dogan. Président jusqu'en 2029 Le député AKP Mustafa Elitas, a néanmoins affirmé à la presse, avant les débats au Parlement, que, selon lui, "près de 20 députés CHP voteront "oui"" au projet de réforme. Dans une chronique publiée lundi, Murat Yetkin, rédacteur en chef de Hürriyet Daily news, affirme que ce projet divise même au sein de la majorité, plusieurs députés de l'AKP ayant exprimé leur "malaise et leur mécontentement". "C'est également un secret de polichinelle que les députés AKP d'origine kurde sont mécontents de l'alliance avec le MHP" nationaliste, poursuit M. Yetkin. Le projet prévoit l'organisation simultanée, en novembre 2019, d'élections législatives et présidentielle. Le chef de l'Etat serait élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. Si le nombre maximum des mandats était réinitialisé à partir de 2019, Erdogan pourrait potentiellement rester au pouvoir jusqu'en 2029. Avec les récents attentats, l'incertitude politique alimentée par cette réforme et le référendum censé suivre a été l'une des principales causes de la chute de la livre turque, qui a atteint un plus bas historique lundi, s'échangeant à 3,73 contre un dollar. Le projet de loi, qui compte 18 articles, a été approuvé par 338 voix, ce qui suggère que certains élus de l'AKP (Parti de la justice et du développement, conservateur, au pouvoir) et du parti d'opposition MHP (Parti d'action nationaliste, extrême droite), qui s'est rangé derrière la réforme, n'ont pas voté en faveur du texte. L'AKP compte 316 députés et le MHP 39. Au total, 480 députés sur 550 ont voté, dont 134 contre le projet. Chaque article va désormais être discuté et l'AKP espère achever le débat d'ici le 24 janvier. Pour être adoptée, une modification de la Constitution doit être votée par au moins 330 députés sur les 550 que compte la Grande Assemblée nationale turque, le Parlement monocaméral.