Le parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir) a, certes, signé, dimanche, une nouvelle victoire électorale mais a essuyé, paradoxalement, un sévère revers électoral en treize ans ouvrant la voie à un gouvernement de coalition. Le président Recep Tayyip Erdogan, co-fondateur de l'AKP et dirigeant ayant le plus régné en Turquie après le fondateur de la république Mustafa Kemal Ataturk, a joué son va-tout dans les législatives échouant à bien négocier le dernier virage vers la nouvelle Turquie qu'il prône. Alors que l'actuelle loi suprême lui impose la neutralité, le chef de l'Etat a mené campagne pour sa formation, parti de la justice et du développement (AKP), sans jamais le nommer, cherchant à reprendre en main le pouvoir exécutif en proclamant sa volonté d'instaurer un régime présidentiel. La domination de l'AKP sur la scène politique turque a été écornée par les urnes lors d'un scrutin des plus serrés en plus de dix ans et qui a constitué un véritable tournant pour le président Erdogan dont l'objectif était de rafler les deux tiers au parlement (267 sièges) pour entériner le changement désiré et l'adoption d'une nouvelle Constitution remplaçant le texte actuel, hérité du coup d'Etat militaire de 1980. Certes, le parti remporte son 4ème scrutin législatif mais perd, pour la première fois, sa majorité absolue et les commandes de gouvernance. Cependant, il n'a ni réédité les scores précédents ni récolté assez de sièges dans un parlement, dorénavant, sans majorité. Il devrait, pour espérer rester aux affaires, monter une coalition hétérogène . Après des années de croissance de 9 pc (2010 et 2011) et plombé par l'usure de douze ans de gouvernance, le parti a vu son étoile pâlir depuis le ralentissement de l'économie (2,9 pc en 2014) et le fort taux de chômage (+11 pc) au plus haut niveau en cinq ans. Ce séisme a été provoqué par le parti démocratique des peuples (HDP, pro kurde), l'outsider qui a joué à la roulette russe en s'engageant, pour la première fois, dans ces élections en tant que parti et non à travers des candidats indépendants pour aller titiller le seuil barrage des 10 pc. Son charismatique co-leader, Selahattin Demirtas, a cassé le barrage bouleversant les donnes politiques transformant aisément ce premier coup d'essai en coup de maître. Ce succès relatif de l'AKP, qui se maintient comme l'épine dorsale de la Turquie, laisse profiler à l'horizon un gouvernement de coalition mais reste encore à monter les combinaisons et envisager les différents scénarios possibles. Les trois autres formations concurrentes ont, toutes, réitéré, lors de la campagne électorale, leur refus à s'associer avec l'AKP et surtout de faire bloc à la constitution AKP . Ayant Lancé un processus de réconciliation pour mettre fin au conflit armé avec le mouvement rebelle du PKK, l'AKP serait, tout naturellement, tenté de séduire le HDP, qui a obtenu 80 sièges. Mais cette probabilité pourrait ne pas tenir la route, Demirtas s'était engagé à entraver la présidentialisation du régime et pencherait plutôt en faveur d'une coalition avec le CHP (parti républicain du peuple, 132 sièges). Avec le parti du mouvement nationaliste (MHP), un tel rapprochement signifierait la fin de ce processus de paix avec les Kurdes, l'un des plus grands projets de l'AKP, auquel le MHP y étant résolument opposé au moment où le principal parti d'opposition (CHP) exclut cette possibilité. Il est très probable que le CHP puisse diriger un gouvernement de coalition à condition que les autres partis de l'opposition tiennent leur promesse pré-électorale de ne pas former de coalition avec l'AKP, a affirmé son porte-parole Haluc Koç. Au cas où l'AKP ne parvient pas à trouver de partenaire à rallier au gouvernement dans les 45 jours, le président Erdogan pourra dissoudre l'Assemblée nationale et convoquer à des élections législatives anticipées. Selon les analystes, aucune coalition ne sortira de ces résultats et même, dans le cas contraire, tout gouvernement de coalition serait de courte durée rendant une élection anticipée inévitable.