Le premier ministre turc et son Parti de la justice et du développement ont été réélus à la tête du pays pour un troisième mandat aux législatives. Recep Tayyip Erdogan, chef de l'AKP, envisage désormais de changer la Constitution de 1982 pour, entre autres, installer un régime présidentiel. La victoire était annoncée, c'est désormais chose faite. Recep Tayyip Erdogan va pour la troisième fois rempiler pour quatre ans à la tête du gouvernement. Le parti conservateur du Premier ministre turc Recep, après dépouillement de 99% des bulletins, a été crédité de 50% des voix aux élections législatives. Même si l'AKP réunira 326 sièges au Parlement, quatre de moins que lors des législatives de 2007, il n'obtient pas la majorité des deux tiers (367) qu'il espérait au Parlement pour modifier, sans avoir à consulter l'opposition, la Constitution héritée des militaires après leur putsch de 1980. Les détracteurs d'Erdogan dénoncent ses tendances autocratiques et lui prêtent l'ambition de se hisser plus tard au poste de chef de l'Etat dans le cadre d'un régime présidentiel, une fois amendé par la Constitution. Les conservateurs vont donc devoir passer des alliances avec d'autres formations politiques pour mettre en œuvre leur projet de réforme de la loi fondamentale. Le principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche), obtient 25,9% des suffrages. La troisième force politique du pays, le parti du Mouvement nationaliste (MHP) est lui crédité de 13% des voix. Peu à l'aise avec l'étiquette d'«islamiste modéré», Recep Tayyip Erdogan , ancien maire d'Istanbul, se revendique comme un «démocrate musulman». Pratiquant, il clame haut et fort son attachement aux valeurs occidentales et à la laïcité. Mais durant ses deux premiers mandats à la tête de la Turquie, plusieurs points noirs sont venus entacher son bilan économique et politique. Entre force et faiblesse, l'AKP fait la majorité, mais pas l'unanimité. Depuis 1950, jamais la Turquie n'a été aussi stable politiquement et économiquement. Au pouvoir depuis 2002, l'AKP a marqué une véritable rupture avec toute forme d'instabilité depuis le coup d'etat militaire de 1980, dans un pays déchiré depuis par des coalitions politiques contre-productives et des gouvernements éphémères. Avec Erdogan et l'AKP, c'est désormais chose révolue. L'homme fascine par son charisme. Il est considéré comme un leader populaire, non seulement en Turquie mais dans tout le Moyen-Orient. Mais c'est certainement son bilan économique qui fait les beaux jours de l'AKP et de son leader. En faillite en 2001, la Turquie est aujourd'hui la sixième puissance économique mondiale, membre du G20. Le panier de la ménagère a triplé en 10 ans et la croissance du pays avoisine celle de la Chine, avec un taux en 2010 chiffré à 8,9%. Aussi, et cela va de pair, 450 000 logements sociaux ont été construits en 10 ans, des dizaines d'hôpitaux, des écoles, des barrages, des centrales énergétiques… en quelques années ; les infrastructures se sont considérablement développées. Elles sont de taille ! « Le pouvoir, une fois qu'on le tient, c'est lui qui finit par vous tenir, diront certains ». L'AKP en est un cuisant exemple, le goût du pouvoir – de ses représentants – les ayant éloignés, selon les observateurs, de leur électorat. La liberté de la presse en fait aussi les frais. Le premier ministre turc, jugé sévère, autoritaire et ombrageux, menace régulièrement ses opposants et ceux qui osent le critiquer. Pour exemple, Erdogan réclame deux ans de prison contre Ahmet Altan, directeur du journal Taraf, qui l'avait qualifié d'«autocrate». La corruption est aussi le principal sujet que la presse ne peut pas aborder actuellement. L'affaire Deniz Feneri, du nom d'une fondation caritative turque basée en Allemagne, soupçonnée d'avoir servi de caisse noire au parti au pouvoir, a été étouffée, alors que les sommes en jeu son jugées considérables. Autre point faible de taille – comme dans tous les pays de la rive sud méditerranéens, comme partout en Europe – le chômage chez les jeunes, que la croissance économique n'arrive pas à surmonter. Les inégalités sociales croissantes sont aussi conspuées par les détracteurs de l'AKP. La mise en sourdine de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, les relations tendues avec Israël, l'islamisation des institutions, sont aussi à mettre sur le bilan acerbe d'Erdogan et de son parti, bien parti pour régner pour de longues années encore. Said Lahlou