Des jihadistes font régner un climat de peur à Aden, deuxième ville du Yémen, où les autorités tentent d'endiguer une insécurité croissante marquée par des actes d'intimidation et des attentats, selon des habitants et des responsables. Le grand port du sud du Yémen est devenu un terrain de la rivalité entre Al-Qaïda et le groupe Etat islamique (EI). Les deux organisations jihadistes radicales ont profité de la guerre civile opposant les partisans du président Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenu par l'Arabie saoudite, aux rebelles chiites Houthis, alliés à l'Iran, pour pousser leurs pions dans le sud, notamment à Aden. Ces derniers jours, des centaines de jihadistes en armes et parfois cagoulés se sont déployés massivement dans le quartier central de Tawahi, où le gouverneur d'Aden Jaafar Saad et six de ses gardes du corps ont été tués dimanche dans un attentat revendiqué par l'EI. «Nous vivons dans la peur. Nous ne savons pas d'où viennent ces gens qui sillonnent nos rues», témoigne Ahmed, 35 ans. «Tawahi prend l'allure d'un quartier fantôme». Des groupes armés ont établi des barrages à Tawahi et parcourent d'autres quartiers comme Moualla, Dar Saad, Mansoura ou Cheikh Othman, selon des habitants. Leurs cibles sont souvent des symboles de l'Etat: un policier, un militaire ou un juge, comme Mohsen Alwane, président d'un tribunal chargé d'affaires de terrorisme, abattu samedi à Mansoura. Mais aussi parfois un simple citoyen, comme Abdel Aziz Ahmed, accusé de «sorcellerie» et tué lundi à Tawahi. «A la tombée de la nuit, ces hommes sèment la terreur à bord de leurs véhicules», se lamente Saleh Ahmed, habitant de Mansoura. Selon lui, ce sont «des hommes de Daech (acronyme arabe de l'EI) ou d'Ansar al-Charia», branche yéménite d'Al-Qaïda, en compétition dans le sud du Yémen, qui était jusqu'à cette année la chasse gardée d'Al-Qaïda. «Aden court à la catastrophe si la situation perdure et le gouvernement ne fait rien pour rétablir rapidement la sécurité», ajoute cet habitant. L'armée peine à recruter Début novembre, des jihadistes ont fermé par la force une université d'Aden où les étudiants avaient ignoré leurs injonctions de mettre fin à la mixité dans les salles de cours. La situation semble échapper au contrôle des autorités locales. Des bâtiments officiels sont tenus par des jihadistes qui ont également pris le contrôle de kiosques à journaux pour distribuer leurs tracts, selon des témoins. Pour ajouter à la confusion, des sources yéménites et des experts arabes n'excluent pas que l'ex-président Ali Abdallah Saleh, allié aux Houthis et encore influent dans ce pays à forte structure tribale, influence des groupes se revendiquant de l'EI. «Il manipule Daech pour servir ses intérêts et renforcer la position des Houthis», à l'approche de pourparlers de paix, convoqués par l'ONU pour le 15 décembre en Suisse, affirme Saleh Ahmed, l'habitant de Mansoura. Al-Qaïda et l'EI recrutent dans les rangs de la Résistance populaire, une force antirebelles dont les combattants, frustrés par les promesses non tenues de les intégrer dans la police ou l'armée, ont fini par retourner leurs armes contre l'Etat, selon des sources de sécurité. «Sur les 59.000 candidats de la Résistance populaire qui s'étaient portés candidats, seuls 1.500 ont pu être intégrés dans la police ou l'armée à Aden, Dhaleh, Abyane et Lahj», quatre des cinq provinces du sud reconquises cet été par les partisans de M. Hadi, explique un haut responsable des services de la sûreté. Faute de moyens financiers, «la liste initiale des candidats a été réduite dans un premier temps à 20.000, puis à 15.000», ajoute ce responsable ayant requis l'anonymat. Deux commandants de cette force, le général Aiderous al-Zoubaidi et Challal Ali Chaëa, nommés lundi respectivement gouverneur et chef de la police d'Aden, ont rapidement déployé quelque 500 hommes à Aden, notamment autour de Tawahi et des quartiers limitrophes, selon des sources de sécurité. Les deux nouveaux «hommes forts» d'Aden, rentrés ce week-end après des séjours en Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis, piliers de la coalition arabe, «doivent déployer jusqu'à 5.000 membres de la Résistance populaire dans la province d'Aden», affirme un responsable sécuritaire. «Ces hommes, formés dans des camps militaires de la coalition en Erythrée et au Yémen notamment, seront en charge d'assurer la sécurité à Aden», explique une autre source. Des jihadites d'Al-Qaïda sont maîtres de Zinjibar et de Jaar, dans la province d'Abyane, voisine d'Aden, s'assurant ainsi une ligne de ravitaillement avec la ville de Moukalla, dans la région du Hadramout (sud-est), qu'ils contrôlent depuis avril.