La peinture en plein air a ouvert aux artistes modernes des horizons inconnus, se situant comme l'origine d'une nouvelle vision. En quittant l'atelier, pour peindre la nature directement, l'artiste impressionniste découvre une lumière scintillante où les corps se meuvent dans des taches en mouvement ; son attitude se trouve bouleversée, ainsi que sa conception. Il n'est plus devant un paysage immobile, mais au milieu d'un spectacle de vie. C'est ce spectacle troublant que les futuristes vont essayer d'exprimer, et même de définir. Des recherches audacieuses Les qualités dynamiques de la vie ont été mises en valeur par les artistes baroques, mais le mouvement exprimé dans leurs œuvres, tourne dans un tourbillon flottant, autour d'un axe irréel. En le saisissant plus fort dans la vie moderne, tout en exprimant la lumière, l'eau et son reflet, les impressionnistes n'ont pas su résoudre le problème de sa représentation dans leurs peintures, ne s'occupant que de saisir l' « instant ». En brandissant le flambeau de la vitesse, les futuristes proposent une solution naïve, qui va être exploitée, d'ailleurs, dans la bande dessinée : un cheval au galop, selon eux, n'a pas quatre pattes mais vingt, et le mouvement effectué par les pattes est triangulaire. En se mettant à peindre, suivant cette logique, des objets et des corps dotés d'une profusion de formes et de couleurs, avec une sensation de dynamisme, les futuristes ont essayer de développer une technique. Pour comprendre cette peinture déroulante, on doit analyser la conception futuriste, en général, où la peinture et la sculpture ne préfigurent que comme des aspects symboliques. Le futurisme est né dans un jaillissement de recherches culturelles qui vont constituer les baes de l'art contemporain. Tous les domaines de la culture connaissent des bouleversements, dès l'aube du XXème siècle. Revues, manifestes et mouvements artistiques foisonnent, opposants des préoccupations divergentes. Dans ces recherches où la poésie d'Apollinaire préconise la richesse et le désordre de la vie quotidienne, s'opposant à celle de Marinetti qui se voue à la destruction des traditions, où le théâtre libre s'oppose au théâtre conventionnel, la musique de Wagner s'impose sur les grandes scènes, et l'expression musicale connaît des nouveautés avec Maurice Ravel et Debussy. Un nouvel art, le cinéma jaillit, alors, sortant de la curiosité, pour prendre sa place avec ses explorations multiples, débutées par Georges Méliès. Le manifeste provoquant Dans ce jaillissement culturel, l'attitude et le discours futuristes ont évolué vers des positions extrémistes ; le poète italien Marinetti répandit dans le monde, en 1909, un manifeste qui proclamait la mort de l'art du passé, le « Passéisme » et la naissance d'un art futur, le « Futurisme ». Il déclare « que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse ». Selon lui, la beauté n'existe que dans la lutte et la guerre, « seule hygiène du monde ». Pour cet art de l'avenir, il appelle à la destruction des musées et des bibliothèques, qui ne sont que « d'innombrables cimetières ». Chef de file de ce mouvement provocateur, qui pousse le culte de la force dynamique jusqu'à l'exaltation de la destruction, pour finir fasciste, Marinetti s'entoura d'un certain nombre de poètes et de peintres, dont les plus importants furent Boccioni, Carrà, Russolo, Balla et Severini. La conception plastique Boccioni, en tant que concepteur, écrivit un Manifeste des peintres futuristes, en 1910, à Turin, suivi la même année d'un Manifeste des techniques de la peinture futuriste, puis, en 1914, il publia un ouvrage, « Dynamisme plastique, peinture et sculpture futuristes », qui donna l'expression définitive aux idéaux du groupe. Durant ce temps, une exposition des œuvres futuristes fut organisée à Paris, à Londres et à Berlin. Les artistes futuristes ont voué leur expression violente au dynamisme de la vie industrielle, chantant la puissance de la machine et sa vitesse. Empruntant aux cubistes leur dislocation de la forme, ils l'utilisaient comme fragmentation du mouvement dans l'espace, poursuivant la compénétration des objets, tout en prétendant faire du tableau ou de la statue une sensation dynamique éternisée. La vitesse fut leur dieu, comme proclamait Marinetti. Bien qu'il soit plus logique que celui de Marinetti, le Manifeste des peintres futuristes, conçu par Boccioni, réagit contre l'art aux « teintes bitumineuses » des cubistes, « contre l'archaïsme superficiel », de Gauguin qui réduit les formes à des aplats, « contre le Nu en peinture », tout en optant pour un art qui exprime la « tourbillonnante vie d'acier, d'orgueil, de fièvre et de vitesse ». Cette peinture futuriste ne peut être que violente, fiévreuse et dynamique, comme la poésie qui l'a inspirée, et comme la musique bruitiste qu'elle va inspirer avec Russolo, tout à fait le contraire de celle des cubistes ; elle est urbaine, reflet de la vie dynamique, aux grandes foules des usines, des gares et des larges avenues, tonitruantes et multicolores. En cela, cette peinture est différente de celle des fauvistes et des expressionnistes, qui opte pour un lyrisme sauvage et primitif. Tous les peintres futuristes se sont adonnés à la représentation des forces physiques et mécaniques, voulant exprimer le dynamisme universel, dans la mouvance des corps qui s'interpénètrent, dans les couleurs scintillantes et les ombres lumineuses, épanouies dans un rythme prismatique endiablé. Beaucoup d'artistes en Europe se sont inspirés de la conception futuriste, voyant en elle un dynamisme de la vie moderne, comme Marcel Duchamp, Picabia et surtout Delaunay dans son mouvement, l'orphisme. D'autres, comme les dadaïstes, exploiteront sa rhétorique et son déchaînement, pour réagir contre la guerre, tout en optant pour la destruction des valeurs établies. Le mouvement futuriste s'éteignit en 1916, avec la mort de Boccioni et la dispersion des membres du groupe. Avec la montée de Mussolini au pouvoir en 1922, le fascisme découvrit beaucoup de valeurs communes avec le futurisme, et cherchera à rassembler de nouveaux compagnons de Marinetti. Mais même dépassées par le cinéma, les œuvres futuristes restent des symboles ; les artistes, adhérant à la conception de Boccioni, ont suscité une sensibilité nouvelle à l'égard de la machine et de l'industrie, dont ils ont voulu glorifier la puissance. Avant le futurisme, le spectateur est placé toujours devant le tableau ; avec cette expression dynamique, violente et tourbillonnante, il est placé au centre d'un spectacle vertigineux, au centre d'une vie d'acier axée sur la vitesse, où les objets ne sont pas analysés avec l'impassibilité d'un Cézanne ou d'un Braque, mais saisis dans leurs odeurs polluantes, dans leur vacarme et les vapeurs qu'ils éjectent, provoquant chez le spectateur une émotion de trouble. C'est un spectacle orienté vers la déshumanisation de l'homme moderne.